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a.4. L’évolution du rôle de l’éditeur, de l’auteur et du lecteur ainsi que leur relation

Dans le document Autoédition en ligne : stratégies (Page 27-32)

Comme énoncé plus haut, la filière des livres connaît, depuis cinquante ans, beaucoup de transformations et la diffusion numérique des ouvrages, considérée comme une révolution dans ce domaine, pourrait bien être la dernière étape de tous ces changements. Que ce soit le rôle de l’auteur, celui de l’éditeur ou la relation entre les deux, nous allons ici, observer leur évolution.

C’est d’abord la manière d’écrire qui a évolué. Un auteur n’écrit plus forcément avec les limites que le papier impose. Effectivement, d’après Brigitte Chapelain, une littérature d’écran est apparue en France depuis les années 1980 (Chapelain, 2007).

Elle reprend la notion d’écrilecteur avancée par Pedro Barbosa (Barbosa, 1992). Un écrilecteur est un lecteur qui participe à la construction de l’histoire, une sorte d’écriture collective. Seulement, si l’écriture collective n’est pas un phénomène nouveau, il a évolué avec l’avènement du web mais surtout celui des réseaux et plateformes sociales. Des interactions entre lecteurs et auteurs ont pu se développer de façon instantanée, ou presque, les commentaires des uns infléchissant parfois le cours du récit des autres.

Si l’écriture a évolué, la lecture n’est pas en reste. Il y a une différence rentre la lecture sur papier et la lecture sur écran. La lecture sur écran, mais plus spécialement sur le web tend à devenir plus superficielle que celle sur papier. Le phénomène de scrolling en est la cause. En effet, faire défiler une page sur un écran pour un visualiser le contenu va impliquer une perte de temps car cela entraine une instabilité dans la portée du regard. Le lecteur doit souvent revenir sur le texte afin de le mémoriser, et plus particulièrement si le lecteur n’a pas de connaissances préalables quant au sujet

de ce qu’il lit. La lecture sur le web mène alors à de la perturbation, ce qui nuit à la compréhension. En outre, la mémorisation du texte est plus difficile. C’est pour ces raisons que lorsqu’on lit en ligne, nous avons tendance à être centrés sur la recherche d’informations tout en faisant fi du reste afin d’éviter une surcharge au niveau cognitif (c’est-à-dire, une saturation de la mémoire) (Premat, 2012).

Quant aux éditeurs, ils sont confrontés aujourd’hui à toute une série de défis.

Beaucoup se lancent dans une édition multi-support. Par exemple, ils publient le livre en format papier mais aussi en format numérique dans lequel les éditeurs ajoutent des liens, des images ou autres médias qu’il n’est pas possible d’intégrer dans le format papier. De cette façon, ils créent une valeur ajoutée au format numérique.

En ce qui concerne le multi-support : Il y a d’abord les liseuses et ebooks qui sont des supports dédiés à la lecture, sur lesquels on télécharge des fichiers afin de les lire. Ils sont conçus pour apporter un confort optimal au lecteur en matière de lumière et de taille des caractères par exemple. À côté de ces canaux, il y a aussi les appareils multifonctions, ceux qui ne sont pas créés spécialement pour la lecture. Dans cette catégorie, on trouve pêle-mêle ; les ordinateurs (portables et fixes), les smartphones et les tablettes. De ces machines, les smartphones, et plus encore, les phablettes (les téléphones portables avec un grand écran) sont ceux qui sont les plus vendus de par leur grande mobilité. En outre, ils détiennent un avantage considérable par rapport aux liseuses (d’où leur plus grande popularité) ; leur multifonctionnalité. Malgré, leur faible confort de lecture et leur autonomie limitée, ils restent beaucoup plus utilisés que les liseuses (Premat, 2012).

Les éditeurs doivent faire face à des choix ; éditer un livre au format numérique en utilisant « simplement » le fichier au format PDF (appelé livre homothétique) ou réaliser un réel travail éditorial pour en adapter l’usage ?

Du livre homothétique, au livre enrichi, et au livre-appli. Les éditeurs doivent prendre parti et décider des formats sur lesquels ils parieront sachant que plus le livre est adapté à des formats différents, plus le coût de production est élevé. Les stratégies éditoriales varient en fonction des régions du monde mais surtout selon le genre d’écrits. Les éditeurs qui publient des livres professionnels pourront mettre davantage d’argent dans les ouvrages qu’ils produisent car ils les vendent chers. Alors que les maisons d’édition grand public vendent leur livre à un prix moins élevé et doivent investir leur argent dans d’autres services (Le Crosnier, 2018).

En France, seules quelques maisons d’édition marginales se consacrent exclusivement à la production de livres numériques. Ce sont en général les maisons d’édition traditionnelle qui produisent la plupart des livres dans ce format-là. Cela-dit, il y a aussi les plateformes d’autoédition en ligne, comme Edilivre par exemple, qui publie les œuvres de ses auteurs en format numérique.

Les plateformes de littérature en ligne sont plutôt récentes dans le paysage francophone. En revanche, celles-là existent depuis presque vingt ans en Chine. En effet, le site chinois Qidian.com a plus ou moins la même fonctionnalité que la plateforme Wattpad et a été lancé en 2002 (Liu ; Li ; Liao ; Yang & Li, 2019). Des épisodes gratuits sont proposés aux lecteurs, puis, s’ils marchent bien, l’internaute qui aura envie de lire les chapitres suivants rapidement devra payer quelques yuans afin d’avoir un abonnement VIP. De plus, la publicité présente (bien que discrète) sur la plateforme aide aussi à financer le site.

Beaucoup d’éditeurs ont eu peur de voir disparaître une partie de leurs revenus à cause du prix de vente trop bas du livre numérique. La stratégie adoptée par l’éditeur traditionnel varie donc en fonction de la politique qu’il a choisie pour éviter cette baisse de revenus. Certains grands groupes comme Hachette ont décidé d’accompagner le changement en nouant des partenariats, notamment avec la plateforme Wattpad en 2017 (Oury, 2017). Amazon ou Apple, nouveaux acteurs sur cette scène du livre, ont réussi à tirer leur épingle du jeu en se consacrant à la diffusion et/ou en créant sa propre plateforme d’édition. Les maisons d’édition moyennes telles que Gallimard ou Flammarion ont créé avec La Martinière leur propre plateforme de distribution numérique. Enfin, pour ce qui est des petites maisons d’édition elles ont le choix de suivre le mouvement ou non. Cela dit, en ce qui concerne la diffusion numérique, le Centre national du livre propose des subventions pour la numérisation des œuvres et les maisons d’édition y font souvent appel.

L’analyse de l’autoédition est difficile en terme de chiffres car Amazon, l’un des principaux acteurs, ne publie pas de données précises. Du livre imprimé aux réseaux sociaux, en passant par les plateformes spécifiquement dédiées à l’autoédition, l’autoédition recouvre de nombreuses pratiques. Il arrive aussi que l’autoédition mène à l’édition traditionnelle. Cette explosion de l’autoédition est facilitée par la baisse des coûts de production, l’existence de longue date de l’édition aprofessionnelle et la

possibilité d’imprimer à la demande (propos rapportés d’Ivan Slatkine lors de l’interview). En outre, une donnée sociologique entre aussi en ligne compte, c’est le fait qu’une plus grande part de la population a aujourd’hui accès aux études et donc, que l’écriture n’est plus réservée à une élite. Cependant, si on observe une offre plus vaste et variée, la consommation ne s’est pas diversifiée de manière aussi évidente.

Le phénomène d’autoédition rend plus floue la frontière entre édition professionnelle et édition non professionnelle. Aujourd’hui le plus gros de la valeur des éditeurs traditionnels consiste en la légitimité qu’ils donnent à une œuvre qu’ils publient (propos rapportés d’Ivan Slatkine lors de l’interview). De par leur ligne éditoriale mais aussi leur formation, leur professionnalisme et leur expérience, un énorme tri est fait en amont en ce qui concerne les manuscrits. Evidemment, on pourrait aussi y voir une censure de certains sujets mais quoi qu’il en soit, les ouvrages que les maisons d’édition publient sont de qualité car le lecteur est assuré que le texte est passé par un travail éditorial poussé. L’autoédition est, elle, beaucoup plus libre et moins contrôlée (dans tous les sens du terme). Tous ceux qui ont envie d’écrire et d’être publiés le peuvent et c’est au lecteur ensuite de faire le tri dans le bon et le moins bon.

C’est donc sur ces aspects de légitimité et de qualité que l’éditeur traditionnel doit se faire valoir afin de rester dans la course (Premat, 2012).

Rüdiger Wischenbart (Wischenbart, 2017) a observé que la part globale des ventes chez les dix plus grands éditeurs du monde a dégringolé en 2009, au moment de la crise économique. Néanmoins, il y a eu un réel redressement du marché de l’édition, presque tous pays confondus, en 2015. Au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, le marché des livres numériques s’est beaucoup développé au même moment et atteindrait des parts de plus de 20% alors qu’en Europe continentale, ces parts n’atteindraient même pas 10% (3% en France). Chez les grands éditeurs français cela dit, la valeur de ces parts concernant la diffusion de livres numériques est tout de même de 9%.

Nonobstant, les abonnements et l’autoédition étant plutôt mal comptabilisés, ces statistiques sont à considérer avec précaution.

L’écrivain Thierry Crouzet résume bien le nouveau défi de l’auteur novice. Pour lui, aujourd’hui, les écrivains doivent prouver ce qu’ils valent aux éditeurs traditionnels avant de leur soumettre un manuscrit. Cette preuve doit consister à montrer que l’auteur a déjà réussi à former une communauté autour de lui et qu’il a su gérer son image et s’auto-promouvoir. Il doit en quelque sorte donner une garantie et montrer

que son livre a un potentiel commercial certain : « Pour les éditeurs, publier un texte issu de l’auto-édition, c’est s’assurer une certaine rentabilité financière dès lors que le texte aura fait ses preuves en diffusion numérique sur les plateformes de sites libraires. » (Deseilligny, 2017).

« À quoi ressemblera l’éditeur du futur ? Je le vois comme une structure émergente, née de l’interaction entre un réseau d’auteurs. Chacun d’eux sera le point de diffusion de ses propres œuvres et l’éditeur sera une sorte de portail. Il n’aura peut-être pas d’existence juridique, pas d’employé, pas de contrat. Ce sera à chacun des

auteurs de promouvoir les autres. » (Crouzet, 2010).

Dans le document Autoédition en ligne : stratégies (Page 27-32)