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L’étude de la pluralité linguistique

CHAPITRE III : LA DIVERSITÉ LINGUISTIQUE EN ALGÉRIE ET AU

I. La diversité linguistique

I.1. L’étude de la pluralité linguistique

Afin d’analyser les cas de présence sociale de deux ou plusieurs langues, les études sociolinguistiques tendent à opposer le terme de bilinguisme, perçu comme non conflictuel, à celui de contact de conflit diglossique. Les modèles de traitement du bi ou du plurilinguisme, sont considérés comme des constructions théoriques qui s’inspirent de configurations linguistiques réelles, que subissent des individus et des groupes. Le terme de diglossie d’origine grecque désigne aussi une situation sociolinguistique où les deux systèmes linguistiques sont bien maitrisés, mais jouissant de modalités spécifiques sujettes à des représentations et attitudes.

Pour Psichari, dans les années 1920, la diglossie est une configuration linguistique, où deux variétés d’une même langue sont en concurrence, l’une est plus valorisée (dominante) que l’autre (dominée). La sociolinguistique européenne doit à ce chercheur le fait qu’il a introduit l’aspect idéologique et conflictuel en relation avec ce phénomène. Pour Ferguson (1959), représentant de la sociolinguistique américaine, la diglossie est envisagée comme un instrument conceptuel utilisé lors de l’analyse sociolinguistique, pour spécifier le caractère concurrentiel existant entre deux variétés d’une même langue et qui jouirait d’un statut différent, l’une est langue relative aux usages quotidiens et de communications ordinaires (L pour Low) et l’autre plus officielle relative aux systèmes : scolaire, judiciaire, médiatique, etc.

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(H pour High) (Boyer, 2001). C’est un état accepté par la communauté, plus ou moins, stable qui peut perdurer dans le temps, mais cela n’empêche pas le fait qu’il puisse exister des dynamiques dues aux : contact des populations, la scolarisation, l’édification d’une langue nationale témoin de revendications identitaires et linguistiques, cette approche est adoptée, de nos jours par la sociolinguistique française pour traiter des aspects dynamiques et politiques. (Baylon, 1996)

A travers les études de Gumperz (1962) et Fishman (1967), la diglossie fut plus liée à l’aspect sociologique, c’est désormais une situation sociolinguistique où deux langues (idiomes) de statut socioculturel différent, la première est vernaculaire et la seconde est imposée par les autorités. Seule une partie de la population peut y être affectée, par exemple ceux qui n’utilisent que l’idiome vernaculaire ne sont pas conscients de cette dualité et les individus qui ne parlent que la langue imposée qui jouit du prestige, ainsi que ceux qui sont bilingues individuels vivant dans une communauté unilingue ayant appris l’autre langue par le biais des parents ou de l’école.

La sociolinguistique suisse propose, une nouvelle approche de la diglossie, critiquant la vision Fergusonienne jugée comme étant trop restrictive, l’équipe de Lüdi (1997) va offrir une conception plus souple, amoindrissant l’aspect prestige lié à une langue par rapport à une autre et favorisant le concept de choix de langue dans tout contact inter-linguistique, qui est le résultat d’un travail interactif fondé sur l’interprétation et la définition, c’est le degré de liberté accordé à chaque individu qui détermine son choix linguistique. Lüdi voudrait réduire l’aspect conflictuel de la diglossie, selon lui, il existe une forme de diglossie consensuelle, présente par exemple au sein du panorama helvétique.

C’est la conflictualité ou non de la diglossie qui est le point divergent entre la sociolinguistique suisse et la sociolinguistique périphérique, avec les travaux de Lafont et Boyer, qui a porté sur les situations catalane et occitane qui valorisent l’aspect conflictuel politico-idéologique relatif aux représentations sociolinguistiques. Pour Loubier (2008) le concept de diglossie est nécessaire dans l'analyse des situations sociolinguistiques, car il permet de voir et de démontrer l'inégalité socioéconomique des langues en coexistence à travers l'examen de leurs fonctions, de leur statut et de leurs champs d'utilisation à l'intérieur des espaces sociaux. Pour cet auteur, ce concept offre une dimension proprement sociologique en favorisant la désignation d’une situation sociolinguistique où l’emploi des langues en coexistence (ou variétés de langues) renvoie à une répartition fonctionnelle qui fait qu'une, ou plusieurs langues, jouissent d’un statut socioéconomique supérieur à une autre ou à d'autres

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langues. L’analyse des situations diglossiques est particulièrement intéressante dans l’étude des dynamiques sociolinguistiques des collectivités plurilingues.

Sur un plan individuel, et d’un point de vue didactique, l’acquisition de deux ou plusieurs langues est généralement présentée comme étant un enrichissement personnel et culturel, dans cette optique, le sujet parlant sera capable d’élargir sa vision du monde, d’enrichir sa capacité d’agir, d’influer, d’accroitre le cercle des individus avec lesquels, il est, potentiellement, prêt à communiquer, comme le confirme Duverger (2008), dans son article sur l’enseignement bilingue à l’éducation plurilingue, pour qui

« Le fait d’utiliser deux langues très jeune pour travailler, apprendre, jouer, permet de vivre vraiment et en profondeur l’altérité linguistique, le caractère arbitraire du signe, la relativité des lexiques (souvent on le sait, les champs sémantiques ne se recouvrent pas), mais aussi celle des grammaires, des syntaxes, des codes. Parce que le fait de vivre au quotidien les problèmes de traduction, d’interprétation, le fait de chercher des relations entre les langues, des transparences, des dissemblances, des étymologies, toutes ces activités métalinguistiques permanentes ne peuvent que favoriser le développement de compétences d’ouverture à d’autres langues et donner à penser au niveau de la relation langue/culture.»

Néanmoins, cela n’empêche que certains spécialistes s’accordent pour dire qu’être bilingue n’est pas toujours chose facile. Seuls les individus appartenant à une élite et possédant un bon niveau culturel peuvent faire du bilinguisme une source d’enrichissement, car le risque d’interférences, d’emprunts, d’erreurs, etc. peut engendrer l’appauvrissement de la pensée du locuteur qui vacillera entre ces deux mondes linguistiques et sera obligé d’être constamment vigilant et sur ces gardes, et cette situation peut être source d’une éventuelle souffrance. « Quelle que soit sa maitrise de l’une ou l’autre langue, un locuteur vit rarement dans la

sérénité, avec l’écartèlement de son moi entre plusieurs champs linguistiques. On observe cela, dans le monde, dans de nombreuses situations dites de multilinguisme institutionnalisé. » (Yaguello, 1988 : 83)

Cet écartèlement peut provoquer sur le plan culturel des conflits, du fait que le risque « d'affrontement » entre les différentes visions, véhiculées par les langues, devient intéressant à étudier, parce qu'il fait, dès lors, appel à des opérations que Camilleri nomme "stratégies identitaires", dans le sens de négociation (compromis, ajustements, synthèses…). La multiplicité d’appartenance peut engendrer des conflits sur un plan personnel, groupal voire sociétal, se définir comme étant appartenir à une culture donnée, c’est adhérer, d’une façon consciente ou pas, au système de valeurs véhiculé par cette culture.

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Les choix linguistiques, par exemple, déterminent l’appartenance à un groupe, cela permet aux membres de ce groupe de se démarquer par rapport aux autres. Et l’appartenance culturelle peut être appréhendée comme le fruit de décisions et choix collectifs et individuels, il est nécessaire de prendre en considération, afin de saisir la construction et le fonctionnement de cette appartenance, le poids sociohistorique que subit tout sujet.

La relation entre le Moi et l’Autre est toujours présente dans la construction identitaire, ce sont deux éléments à prendre en considération, l’un ne va pas sans l’autre. Ce dernier est toujours là, il peut être source d’épanouissement ou au contraire, source de conflit, la relation entre ces deux pôles identitaires peut produire un sentiment d’identité positif ou négatif. Une image propre de Soi va naitre de la manière dont se perçoit le sujet lui-même, où il se décrit selon sa propre représentation, et une image sociale de Soi est définie par les différentes représentations de soi chez autrui, telle qu’elles sont perçues ou supposées par le sujet lui-même, où il se décrit selon l’avis, connu ou supposé, des autres, il va de même pour les attitudes vis-à-vis des situations bi ou plurilingues, où tout sujet évolue.