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CHAPITRE II : DE L’IDENTITÉ CULTURELLE

III. L’identité culturelle

III.2. Contact des cultures et altérité

III.2.2. Acculturation et contexte postcolonial

Formé à partir du latin ad, qui exprime le rapprochement, le terme acculturation, propre à l’anthropologie nord-américaine, utilisé à partir des années 1880, devient le plus usité, par rapport aux autres notions proposées, telles que les termes : anglais de « cultural change », espagnol de « transculturation » ou français « d’interpénétration des civilisations ». Ce sont les travaux de Bastide qui ont permis la découverte de l'anthropologie américaine de l'acculturation en France. Dans un article paru dans l’Encyclopédie Universalis, Bastide (1998) définit l’acculturation comme, l'étude des processus et phénomènes qui se produisent lorsque deux cultures sont en contact et agissent et réagissent l'une sur l'autre. Les principaux processus étudiés sont ceux : de conflits, d'ajustement, de syncrétisation, d'assimilation ou de contre-acculturation, qui peuvent être mis en relation avec les processus sociologiques : de compétition, d'adaptation et d'intégration, tout en étant parfois distincts.

Le concept acculturation est apparu aux Etats-Unis dans les années 1930, Le Memorandum de Redfield, Linton et Herskovits (1936), en donne la définition suivante : « L'ensemble des

phénomènes qui résultent du contact direct et continu entre des groupes d'individus de cultures différentes avec des changements subséquents dans les types de culture originaux de l'un ou des autres groupes. » (Cité par Bastide, 1998), cette définition suppose le fait

que l'acculturation doit être distinguée : du changement culturel, dont elle fait partie, de l'assimilation, qui représente une de ses phases et de la diffusion (aspect de l’acculturation) qui, se produit dans tous les cas d'acculturation, mais qui peut se réaliser sans qu'il y ait contact de groupes. Abdallah-Pretceille (1990), propose un certain nombre de distinctions entre le terme d’acculturation et d’autres qui lui sont proches, par exemple, selon l’auteur,

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Le terme d’endoculturation, se réalise au cours de l'apprentissage par la transmission d'une génération à l'autre de traits culturels, l'acculturation porte essentiellement, sur des individus déjà endoculturés.

 L'acculturation vise un processus acquisitif et transformationnel, qui n’implique pas forcément l’idée de gain ou de perte. Les termes déculturation et déculturer sont chargés d'une connotation négative, notamment par rapport à l'identité culturelle originelle du sujet ou du groupe, où à sa "personnalité de base", et sont le plus souvent employés comme synonymes d'une aliénation ou de "marginalisation culturelle".

La notion d’a-culturation a un sens plus privatif qui reste péjoratif et négatif, elle porte sur l’individu qui est privé de culture, comme si, d'

ailleurs, cela était sociologiquement possible. Tous les individus, à des degrés différents, sont endoculturés et acculturés.

L’intégration est un processus plus sociologique, elle peut représenter la suite d’une acculturation, cependant l’intégration peut se produire sans acculturation.

L'acculturation est dépendante du contexte socioculturel, en tant que rapports historico-économico-politiques entre les groupes et des cultures en présence, elle varie en fonction du degré de rapprochement/éloignement, de l’homogénéité/hétérogénéité et du prestige dont jouit chacune des cultures présentes. L'acculturation reste un processus complexe, qui met en jeu un certain nombre de variables, ce phénomène peut engendrer des conflits, surtout dans le cas où une des cultures en présence est présentée en tant que culture supérieure à l’autre et devrait dominer, Abou (2002).

Le terme acculturation varie de sens, selon l’approche, dans le domaine de la psychologie sociale, il porte sur le processus d'apprentissage à travers lequel l'enfant reçoit la culture de l'ethnie ou du milieu auquel il appartient, les chercheurs, notamment Bastide, préfère l’appellation d’enculturation, ou de socialisation. En anthropologie culturelle, il indique les phénomènes de contacts et d'interpénétration entre civilisations différentes.

Dans son œuvre, Bastide, différencie entre l'acculturation formelle et l'acculturation matérielle, pour cet auteur, l’acculturation matérielle porte sur les éléments perceptibles comme la diffusion d'un trait culturel, le changement d'un rituel, la propagation d'un mythe, l'acculturation formelle, plus idéelle, porte sur la psyché au niveau perceptif, mnémonique, logique et affectif. Dans le même sillage, Abou (2002) effectue une distinction entre différents processus d'acculturation selon leurs cadres sociaux :

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 Le processus de réinterprétation est dominant, dans l'acculturation matérielle, et porte exclusivement sur les contenus de culture du groupe récepteur et sans toucher sa manière de les vivre, de penser et de sentir,

 Le processus de synthèse est dominant, dans l'acculturation formelle, et touche les structures de pensées et de sensibilité du groupe récepteur. Les sujets, inconsciemment, tentent d’innover, par rapport aux cultures en présence, de nouveaux modèles de penser et de sentir intermédiaires

 Le processus de syncrétisme porte sur la combinaison d’éléments matériels et formels, des cultures en présence, et donne naissance à un produit culturel autonome et nouveau.

 Le processus de l’assimilation qui vise l’abandon complet, par les individus, d’une culture au profit de l’adoption totale de l’autre.

 Le processus de contre-acculturation, mécanisme de défense par principe, porte sur les attitudes de réserve, de repli voire du rejet de l’autre culture.

Le processus de contre-acculturation peut véhiculer une certaine résistance qui, pour Bastide, est essentiellement située au début du processus d'acculturation, par contre, pour Devereux l’acculturation antagoniste est la forme finale de cette résistance. Sous formes de nativisme, prophétisme, messianisme ou millénarisme, la contre-acculturation, surgit quand l'acculturation est déjà opérée et que les sujets sont conscients de ses effets désorganisateurs et destructeurs par rapport à leur identité ethnique, alors des efforts de « retour en arrière » apparaissent.

Dans sa théorie de l’acculturation antagoniste, Devereux distingue trois modalités différentes : l’isolement défensif où les sujets, pour ne pas entrer en contact avec l’autre, avec tous les dangers que cela représenteraient, vont s’isoler dans un territoire précis qui leur appartient ; l’adoption de moyens nouveaux inspirés de l’autre culture, mais avec un rejet de fins correspondantes à ces moyens ; l’acculturation dissociative surgit lorsque le groupe A afin de se dissocier culturellement du groupe B, tente de créer des items culturels qui lui sont propres. (Abdallah-Pretceille, 1990)

Abou (2002) présente trois procédés principaux d’acculturation : l’acculturation spontanée : quand il y a contact, non permanent, entre les cultures en présence, cas des échanges commerciaux ; l’acculturation obligée : quand des sujets s’installent, pour études, immigration, exil, etc., dans un autre pays et sont obligés d’adopter certaines formes de la

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culture d’accueil et l’acculturation forcée : quand un pays occupe, de force, le territoire d’un autre et lui impose sa culture, le cas de colonisation.

Pour Berry, l’acculturation peut être appréhendée en tant que changement d’identité qui découle du contact entre des groupes culturels différents. Des transformations, des tensions internes comme des crises identitaires, remise en cause de soi et externes telles que les conflits avec les représentants de la culture, peuvent apparaitre. Selon cet auteur, le contact entre les cultures peut s’accompagner de changements, qui peuvent être d’ordre physique : milieu différent comme habitat, urbanisation, etc., biologique : alimentation nouvelle, risque de maladies nouvelles, etc., politique : risque de perte d'autonomie, système idéologique nouveau, etc., culturel : différence linguistique, religieuse, éducationnelle, etc., social : nouvelles relations interindividuelles et intergroupales, etc., psychologique : épanouissement individuel, ou au contraire confusion identitaire, stress, etc. Les travaux de Berry (1989) et de Bourhis et al. (1997), proposent certains modes d’acculturation, (Kanouté, 2002), qui peuvent se résumer comme suit :

L’intégration : pour Berry, l’intégration consiste en une synthèse du code culturel d’origine avec celui de la culture d’accueil, plus les différences entre les deux codes culturels sont moindres, plus la synthèse sera facile à réaliser.

L’assimilation : surgit à la déculturation complète, au reniement de la culture d’origine, avec une resocialisation active dans la société d’accueil.

La marginalisation : c’est une forme de distanciation que prend le sujet vis-à-vis de sa culture d’origine, sans pourtant qu’il y ait attachement à la culture d’accueil.

La séparation : forme de repli total sur la culture d’origine et un rejet du code culturel de la société d’accueil.

L’individualisme : pour Bourhis, les sujets adoptant un comportement individualiste se distancient par rapport à leur code ethnoculturel d’origine et à la culture d’accueil car ils veulent se singulariser en tant qu’individus.

Le stress d’acculturation : une personne en contexte d’acculturation, sous les exigences et impératifs de codes culturels différents voire conflictuels, cherche à atteindre une unité de sens à sa vie au moindre coût, face à ce genre de situation, Berry traite de stress d’acculturation, qui peut se traduire par des effets se situant à divers niveaux de confusion, d’anxiété et de dépression. Ce stress est fonctionnel du mode d’acculturation, il est plus bas au niveau de l’intégration, contrairement à la

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marginalisation et à la séparation, des facteurs tels que l’âge, le sexe et l’éducation influencent aussi le degré et l’intensité du stress.

La notion d’identité culturelle a pris beaucoup d’ampleur avec la décolonisation, à partir des années 1960, ce concept véhicule, désormais, l’idée d’autonomie, d’indépendance culturelle, de prise de conscience de la spécificité et de valeur par rapport à l’image de l’autre ancien colonisateur. Ainsi, l’identité culturelle revendiquée, par les peuples du tiers monde récemment indépendants, vise la liberté et rejette toute forme de domination. Pour Abou (2002 : 12), il existe deux types de comportements des colonisés face aux colonisateurs, et plus particulièrement de leur langue, ces comportements peuvent persister même après l’indépendance :

 Le premier fruit d’un ressentiment collectif, plus ou moins vif, contre la puissance coloniale, se traduit par le rejet prématuré de la langue de la colonisation, qui représenterait une menace identitaire. Cette forme de contre-acculturation se réalise à travers un rejet violent de contacts culturels avec l’autre, avec tous ses éventuels avantages, la culture dominée, menacée de disparition, afin de survivre, favorisera une approche ontologique (traditionaliste) et tentera de restaurer les modes de vie antérieurs.

« Un double phénomène illustre ce processus : le messianisme politique, qui mobilise, autour d'une figure héroïque réelle ou mythique, les forces vives de la population dominée contre la puissance colonisatrice ; l'idéologie du retour aux sources, qui assigne au peuple la tâche de redécouvrir son identité originelle ou son "authenticité", un moment aliénée par la colonisation et l'acculturation » (Abou, 2002 : 72-73)

 Le second issu d’une vision plus pragmatique, trouve que l’acculturation pourrait apporter des avantages qui permettraient l’accès au modernisme, avec la distanciation du fait historique, les générations futures, essentiellement postcoloniales, considéreront la langue de la colonisation comme un moyen de reconnaissance internationale, elle est « la seule voie d'accès à la communication internationale et à

la civilisation moderne » (Abou, 2002 : 12).

Tout comme Camilleri, Montero (1996, 1987) trouve que les groupes anciennement colonisés (Amérique latine, Asie et Afrique) peuvent avoir, d’eux et de leurs groupes nationaux d’appartenance, une image négative et contrairement surévaluer les groupes nationaux du premier monde. Montero élabore le concept d’ « altercentrisme » qu’il oppose à celui d’ethnocentrisme.

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« À ce phénomène amenant à se référer à un autre social externe, à savoir un pays, une ethnie ou un groupe opposé au nous social, autre qui est institué comme modèle positif, qui est valorisé et qui contraste avec la dévalorisation de son propre groupe, nous avons donné l'appellation d'altercentrisme, parce qu'il fait de l'autre le centre de la comparaison, l'axe et le modèle positif autour duquel on organise sa propre identité qui est alors définie de façon négative » (Montero, cité dans Deschamps et al., 1999 : 46-67 ).

Blausser et Hechter (cités dans Vinsonneau, 2002 :131) expliquent, à travers la notion du colonialisme interne, la situation des afro-américains aux Etats-Unis et le développement des ethno-nationalismes dans les sociétés industrielles. Ce concept part du principe que les trais culturels observables seront utilisés pour assigner aux personnes qui les portent des types d'emploi et des rôles spécifiques, selon un mode de distribution hiérarchisé. Selon Hechter, les mobilisations collectives de l'ethnicité vont s'ériger en tant que dispositif de lutte collective, basé sur la solidarité réactionnelle, réagissant contre les inégalités sociales vécues. L’'ethnicité, dans ce cas, devient conscience politique des peuples qui défendent leur droit à l’égalité et qui tentent de changer la logique de domination.

Conclusion

Le phénomène identitaire est à entendre en tant que processus mettant en jeu des aspects relationnels, interactionnels et dynamiques, l’identité d’un individu peut être, aussi, appréhendée en fonction de ses choix d'appartenance groupale, qu’ils soient d’ordre familial, régional, national, ethnique, religieux, professionnel, artistique, idéologique, linguistique, etc., qui restent fonctionnels des concepts de similitude/similarité et différence vis-à-vis de l’autre. Le groupe d’appartenance avec qui l’individu partagera l’impression de similitude avec les autres membres car ils ont la même vision du monde ou poursuivent le même but, par contre avec l’exogroupe c’est la différenciation qui sera mise en exergue. Cette double approche de similitude/différenciation est importante même sur le plan individuel, car l’identité est à la fois ce qui rend l’individu pareil aux autres et distinct d’eux.

En tant que représentation, l’identité est élaborée à travers l'image de soi dans son rapport à l'autre et à la société, où l'individu choisit sciemment de se présenter de la manière la plus avantageuse pour lui. L’identité n’est pas seulement caractéristique individuelle mais aussi produit interactif entre l’individu et son milieu social. C’est dans ce dernier que le sujet puise ses identifications, appartenances et références, et en même temps, l’individu influe sur ce

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milieu, appartenir, donc, à une culture, en tant que forme identitaire, c'est à la fois concourir à sa production et subir son influence.

L’identité est un processus évolutif, adaptatif, régulateur, pluriel, qui n’est jamais stable et acquis une bonne fois pour toute, elle reste revendiquée, en cas de perte d’autonomie et en cas de menace de crise provoquée par autrui. Dès ces premiers jours et jusqu’à sa fin, l’individu affronte continuellement des épreuves de la vie qui l’incite à modifier son système identitaire afin de s’adapter. Lorsque l’individu dans sa vie sociale, doit faire face à des événements, opinions ou personnes qui remettent en cause ses habituelles façons de penser et de voir le monde, sa culture en somme, un malaise survient et il tentera au plus vite de retrouver son équilibre cognitif.

Dans des situations d’acculturation, dans le sens de contact de cultures, et afin de retrouver son équilibre, l’individu adoptera des stratégies, qui peuvent aller du déni égocentrique, à la reconnaissance de l’autre, qui sera catégorisé, en fonction des similarités et des différences qu’il présente.

A cause de la complexité des informations environnantes, le traitement de cette altérité ne sera que plus simplifié, l’individu aura recours aux stéréotypes et préjugés, qui se base sur la surgénéralisation, pour produire sa représentation de l’autre et de son groupe. L’individu adoptera, inconsciemment ou non, certaines modalités pour négocier ce contact culturel, il peut choisir une démarche visant l’intégration, l’assimilation, la séparation ou l’individualisme, mais n’empêche pas le fait que tout contact avec l’autre est producteur de stress et d’éventuelle crise, car l’autre peut être la représentation de l’inconnu et de la menace. L’identité culturelle est fortement liée à l’Histoire d’un groupe, d’une société ou d’une nation, que ce soit à travers l’aspect religieux, politique, idéologique ou ethnique, le poids sociohistorique est à prendre en considération dans toute approche de l’identité culturelle d’un groupe, car son histoire représente un pôle organisateur de son identité revendiquée, du moins publiquement.

C’est ce que nous allons tenter de faire dans la partie suivante, qui traitera de la situation de la langue française, en tant que représentation liée à la présence de la France sur les territoires de deux pays qui connaissent une situation particulière vis-à-vis de cette langue, car tout en étant officiellement monolingue, ils réservent une place de choix pour le français dans leurs panoramas linguistiques, il s’agit en occurrence de l’Algérie et du Liban.

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CHAPITRE III : LA DIVERSITÉ