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CHAPITRE II : DE L’IDENTITÉ CULTURELLE

I. L’identité : Un concept complexe

I.2. Approches de la notion d’identité

Les notions de soi et de l’identité ont été l’objet de diverses études inspirées de différentes sciences et approches, qu’elles soient dans une visée psychanalytique (Freud, Jung, Winnicott, Erikson…), socioculturelle (Baldwin, Cooley, Mead…), génétique, interculturelle ou cognitiviste (Wallon, Zazzo, Tap, Camilleri…)

On s'accorde sur le fait que, pour la période contemporaine, c'est le psychanalyste Erik K. Erikson qui, dans les années soixante, a donné à la notion d'identité une élaboration rigoureuse. Il est intéressant de noter qu'il l’a utilisée au départ pour cerner une certaine forme de pathologie (la « confusion d'identité »), ou pour rendre compte de la « crise » traversée par certains adolescents. Il faut souligner aussi que, d'emblée, il a placé l'étude de l'identité dans une démarche « multiréférentielle », faisant converger les points de vue de la psychanalyse, de la psychologie sociale et de l'anthropologie culturelle.

Selon Erikson (1972), l’identité renvoie au sentiment subjectif et tonique d’une identité personnelle et d’une continuité temporelle, l’identité résulte d’un double processus, psychosociologique transformable et évolutif, qui s’opère en prenant en considération les volets personnel et culturel :

« En termes de psychologie, la formation de l'identité met en jeu un processus de réflexion et d'observations simultanées, processus actif à tous les niveaux de fonctionnement mental, par lequel l'individu se juge lui-même à la lumière de ce qu'il découvre être la façon dont les autres le jugent par comparaison avec eux-mêmes et par l'intermédiaire d'une typologie, à leurs yeux significative ; en même temps, il juge leur façon de le juger, lui, à la lumière de sa façon personnelle de se percevoir lui-même, par comparaison avec eux et avec les types qui, à ses yeux, sont revêtus de prestige. Heureusement et nécessairement, ce processus est en majeure partie inconscient, à l'exception des cas où des conditions internes et des circonstances externes se combinent pour renforcer une conscience d'identité douloureuse ou exaltée. » (1972 : 17).

Cette approche de l’identité met l’accent sur l’aspect interactif qui existe entre : l’identité personnelle (pour soi à travers des notions telles que la conception de soi, l’image de soi, l’estime de soi…) et l’identité sociale (pour autrui, à travers des notions telles que le rôle, l’attitude…), le jugement personnel et l’évaluation sociale, les valeurs individuelles et les références culturelles, les processus conscients et inconscients.

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Pour cet auteur, la psychanalyse ne suffit pas, à elle seule, pour appréhender la dimension psychosociale de l’identité, mais elle permet de rendre compte des aspects inconscients présents dans la formation de prototypes qui résultent des identifications au cours de l’enfance et s’enracinent dans les modèles culturels et dans les figures imaginaires du corps telles que les représentations inconscientes relatives à la virilité ou la féminité.

Le sentiment d'identité découle d'un processus évolutif qui prend racine dès l'enfance ; ce processus ne se réalise pas sans crises, ni heurts ou ruptures, au contraire, l’enfant devra s’adapter aux transformations d’ordre biologique et social afin d’atteindre un sentiment d’équilibre et de paix. Parmi les phases existentielles, les plus délicates, où l’individu fait face à des changements d’ordre biologique et social, se trouve l’adolescence, avec la puberté, le corps change et le statut d’enfant prend forme en vue de la préparation à l’entrée à l’âge adulte, selon Erikson, l'adolescence est une période de rupture où le jeune délaisse quelques identifications pour en choisir de nouvelles en fonction de ses bandes d’amis, les figures valorisées, ses modèles. Cette identité, dépend de l’intérêt qu’accorde le jeune individu au sentiment collectif identitaire présent dans les groupes d’appartenances : classe, nation, culture, etc.

La psychanalyse a contribué au rejet de l’idée que l’identité est substantielle, homogène, unifiée et constante. Dans cette optique, l’être humain connait une division qui peut se situer selon trois dimensions (Marc, 2005) :

 La première se situe, selon la première topique, au niveau du conscient et de l'inconscient, où le moi refoule certains sentiments, certaines représentations, incompatibles avec le sens moral ou son narcissisme.

 La deuxième porte sur la division entre les sexes et les générations et qui donne lieu à l'ordre symbolique où chaque individu va essayer de trouver une identité en jouant un rôle avec une place qui lui préexiste et qui résulte notamment du rapport phallique, de la situation œdipienne et de l'identification aux images parentales.

 La troisième, selon la seconde topique, se situe entre les diverses instances de la personnalité qui donnent lieu à une sorte de pluralité personnologique à l'intérieur d’un même sujet. Chaque instance offre à la conscience de soi sa teinte et ses représentations propres, sujettes, selon les cas, au principe de plaisir, de désir et des pulsions, au principe de la réalité et perception de l'extérieur ou par l'idéal et l'interdit.

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Une instance qui s’axe sur l'ensemble idéal du moi-surmoi, la constitution de l'idéal n’est pas seulement sujette à l'idéalisation des images parentales ; elle englobe aussi des valeurs, des symboles, des images héroïques ou prestigieuses, des idéologies, à ce stade-là, l’intérieur se mêle à l'extérieur, le psycho-familial au social. L'anthropologie culturelle, marquée par la psychanalyse a connu des développements considérables aux États-Unis, cette science s’est intéressée tout spécialement à la dimension collective présente dans la structure identitaire. Cette conception s’est inspirée de la psychologie américaine, notamment des travaux de Kardiner, Erikson, Mead, Fromm, etc., sur la personnalité de base et le rôle de la culture en tant que moyen de transmission de modèles identitaires, des types de personnalité, du caractère social des cultures. Tandis qu’en France, cette approche a été marquée, principalement, par les travaux de Devereux (1972) portant sur les problèmes d'identité liés à l'immigration et aux contacts entre les cultures.

Ce genre de recherches culturelles à visée anthropologique a statué sur l’existence d’un processus d'inter-structuration entre les institutions qui engendrent la culture et les identités individuelles et collectives. Elles ont établi aussi que chaque culture possède ses propres conceptions et modèles identitaires qui diffèrent de ceux des autres systèmes culturels. La perspective génétique a donné lieu à d'importantes études relatives à la genèse et au développement du sentiment d'identité, principalement chez l’enfant et l’adolescent. Les études de Wallon (1932, 1941, 1942) peuvent être considérées comme étant pionnières dans ce domaine, en effet, il a mis l’accent sur le rôle primordial de la relation soi-autrui dans la construction de la conscience du soi ainsi que les stades de différenciation entre soi et autrui chez l’enfant. L’approche wallonienne inspira différents chercheurs tels que : Zazzo (1960, 1972) sur la reconnaissance de soi, le « stade du miroir », les problèmes gémellaires, Rodriguez-Tomé (1972, 1987) sur l’adolescence, Malrieu et Tap (1980,1985, 1988) sur l’identité masculine et féminine, l’interstructuration entre l’individu et les institutions, L’Ecuyer (1978, 1980) sur la quête identitaire.

L'approche psychosociologique des phénomènes identitaires repose sur le postulat que le soi est principalement une structure sociale qui apparait avec les interactions quotidiennes, conception présente dans l’œuvre de Mead, pour qui le soi se développe chez un sujet donné comme étant le résultat « que ce dernier soutient avec la totalité des processus sociaux et

avec les individus qui y sont engagés » (1963 : 115). L'individu prend conscience de son

identité en optant pour la vision des autres membres de son groupe social d’appartenance. Sarbin (1954), traite de la notion du « rôle », selon lui, le soi est la somme des rôles tenus par

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un sujet, le soi devient fonctionnel de ses rôles, ainsi l’identité devient multiple car il y a autant de soi que de rôles joués, et quelques fois l’identité devient conflictuelle dans le cas où les rôles s’avèrent contradictoires. Gordon (1968) rejoint cette vision en insistant sur l’aspect multidimensionnel de l’identité, le soi n’est plus désormais considéré comme un phénomène statique et permanent, mais un processus complexe et interprétatif, c’est « un système

organisé de perceptions et de représentations, une structure hiérarchique de significations qui résultent de la socialisation et situent toujours le sujet dans un rapport à autrui » (Marc,

2005 : 33).

Gordon distingue dans le concept de soi huit grandes dimensions : les caractéristiques attributives (sexe, âge, nom, race, nationalité, religion), les rôles et appartenances (rôles familiaux et professionnels, affiliations idéologiques, statut social, participation à des associations...), les identifications abstraites (individualisantes, idéologiques ou catégorielles), les intérêts et les activités, les références matérielles (image corporelle et possessions), les sensations systémiques du soi (compétences, actualisation du soi, sensation d'unité, valeur morale), les caractéristiques de la personne et les jugements sur soi imputés aux autres. (Marc, 2005 : 33). Ce modèle aide au classement et à la hiérarchisation des réponses au test du « Qui suis-je ? » de Kuhn et McPartland. Test qui fut repris par Zavalloni, selon une approche « d’introspection focalisée », qui lui permet d’étudier de manière relativement standardisée les diverses identifications perceptives du soi et leurs appartenances. Cette partie sera plus développée ultérieurement dans le cadre méthodologique, car nous avons eu recours dans notre recherche au test du « Qui suis-je ? »

L’approche de Tajfel (1972), portant sur les relations existantes entre l'identité sociale, la catégorisation, l'appartenance groupale et l'estime de soi, montrent que les individus procèdent à une négociation de leurs appartenances groupales en fonction de la valorisation qu'ils croient en retirer. Codol (1980,1984) a exploré les processus cognitifs de la construction de l'identité et principalement les mécanismes d'assimilation et de différenciation à travers lesquels les individus, en contexte social, édifient leur identité ; selon lui, ces mécanismes sont fondés par des stratégies de valorisation de soi et de reconnaissance sociale produites à travers le regard d'autrui : « La quête d'une reconnaissance sociale de l'identité personnelle

oblige […] sans cesse les individus à présenter d'eux-mêmes à autrui un double visage. S'affirmant similaires, mais se considérant différents, […] s'exerçant sans répit à une gymnastique sociale » (Codol, 1980 : 162). Cette approche psychosociologique sera reprise

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