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L’état national — ou la légitimation culturelle de la

Dans le document Workfare, citoyenneté et exclusion sociale (Page 126-135)

ethnicité, culture et pouvoir politique

F. Les acteurs sociaux et les sentiments nationaux

III. L’état national — ou la légitimation culturelle de la

Weber, nous l’avons souligné, tente de dévoiler les motivations sous-tendant l’action sociale. Sa discussion des

éléments principaux auxquels s’attache l’idée nationale et son analyse du rôle de trois d’acteurs sociaux dans la définition du projet national montrent l’hétérogénéité des . De plus, en soulignant qu’une collectivité peut acquérir la qualité d’une nation en très peu de temps (Weber, 1980!: 529) et en mettant l’accent sur l’intentionnalité subjective des acteurs, Weber nous permet de penser la nation comme processus, comme nation-building!:

(Vujacic, 1996!: 766). En fait, la construction nationale est un processus de définition et de redéfinition du projet politique qui dépend des acteurs sociaux, de leurs motivations et de leurs possibilités d’action politique, donc de l’accès au pouvoir.

D’une manière ideal-typique, le projet national s’appuyant sur l’idée d’une culture authentique est plutôt motivé irrationnellement par les intérêts idéels des intellectuels. En revanche, l’organisation étatique et la monopolisation du pouvoir politique correspondent plutôt aux intérêts matériels et rationnels des leaders politiques. L’interprétation de Beetham (1974) concernant l’interrelation entre la nation et l’État en termes de communauté et société nous semble donc fort éclairante.

Néanmoins, l’auteur ne s’éloigne pas assez de la dichotomie développée par Tönnies. Ainsi, il n’arrive pas à cerner le point crucial de la pensée wébérienne. En négligeant le caractère changeant des relations sociales, il n’est pas en mesure de transcender une vision statique de la nation et de l’État. Selon Weber, chaque concept sociologique doit être considéré comme l’ensemble des actions mouvantes des acteurs sociaux (McCaughan, 1993). Plus précisément, Weber pense les relations sociales comme un processus permanent de va et vient dans l’histoire entre les relations de type (Vergesellschaftung) et (Vergemeinschaftung). La se réfère au processus de concertation rationnelle entre des acteurs pour la réalisation d’objectifs communs. Ces buts peuvent être de nature matérielle ou idéelle.

La est fondée sur un compromis d’intérêts. La , quant à elle, repose sur un fondement affectif, émotionnel ou traditionnel (Weber, 1971!: 41-43). Elle se réfère donc au processus de naissance de sentiments de solidarité et d’appartenance commune parmi les acteurs. En réalité, il est difficile de dire par laquelle des deux motivations débute une relation sociale. Généralement, il s’agit d’un mélange des deux formes, car l’une s’enchaîne directement avec l’autre.

Le rapport entre la nation et l’État chez Weber ne peut se comprendre que si l’on fait référence aux termes de

Vergemeinschaftung et de Vergesellschaftung. La vie en commun, les guerres politiques et les luttes existentielles engendrent des liens affectifs parmi les membres de la collectivité. Elles les incitent au développement de projets politiques, un processus qui aboutit à l’idée de nation. Dans la conceptualisation de la nation, le projet politique suit le processus de Vergemeinschaftung (qui, par contre, n’est pas terminé) et renforce les éléments d’une Vergesellschaftung rationnelle.

Dans la mesure où ce processus est continu et renforcé par les intérêts matériels et idéels des membres de la collectivité, le besoin d’établir un ordre rationnel augmente. Les intérêts économiques et capitalistes demandent l’organisation rationnelle et la mise en place de droits formels. Le projet politique est le début d’une évolution vers un État rationnel. Ce dernier est caractérisé à la fois par la V e r g e s e l l s c h a f t u n g et la Vergemeinschaftung (Weber, 1980!: 13). L’organisation rationnelle et la mise en place des droits formels favorisent des relations sociales de type . En même temps, les capacités bureaucratiques et institutionnelles unissent le et créent des liens de type !:

Même une organisation étatique peut, devenir le facteur décisif de la création d’un sentiment de communauté, bien que son âge d’or n’est pas ressenti par les masses et en dépit des différences internes importantes. (Weber, 1969!: 50, notre traduction).

L’État, en tant qu’organisation étatique, peut alors aboutir à un processus de communalisation. Weber n’ignore évidemment pas la capacité de l’État d’évoquer des sentiments de communauté, mais il n’élabore pas cet élément8. Néanmoins, si l’on poursuit cette idée, il est possible de penser la nation comme une étape de la rationalisation du monde qui aboutit à un État multiculturel.

Grâce à ses capacités bureaucratiques et institutionnelles, l’État a la capacité de transformer le caractère authentique (nationale

8 Weber diffère sur ce point des réfléxions de Benedict Anderson (1992). Ce dernier élabore notamment l’aspect unifiant et homogénéisant de la bureaucratie de l’État national. Weber, quant à lui, souligne la fonction de l’État comme des sentiments nationaux.

Eigenart) de ses membres ainsi que les valeurs sur lesquelles la communauté s’est établie.

Selon Weber, la nation se base sur la croyance en l’authenticité de son caractère et une supériorité des patrimoines culturels. La conviction subjective que la nation est précieuse, qu’elle nous est propre, qu’il faut la conserver et la protéger, donne un sens à l’existence de la collectivité et à l’organisation politique.

L’État national, par contre, n’est que (Weber, 1989!: 49). Afin de justifier son existence, l’État renvoie à la nation qui, pour sa part s’est appropriée la culture et l’histoire des diverses collectivités qu’elle inclut. Elle possède une existence légitimée que l’État lui-même en tant que communauté politique n’a pas encore acquise.

Alors que Weber refuse la poursuite de la puissance comme une fin en soi (Beetham, 1974), il ne peut renoncer à la qualification nationale de l’État (Mommsen, 1985) sans que celui-ci devienne un instrument de puissance arbitraire et perde toute légitimation9. Pour être légitime, l’État doit être en mesure d’incorporer les normes et les valeurs de la collectivité nationale dans son système juridique10. Dans un tel cadre, l’extension de droits égaux et légitimes pour les citoyens, quelle que soit leur origine ethnique, devient possible sans que la nation, à son tour, perde son authenticité!:

L’État ne doit pas être nécessairement un État national, au sens où il s’oriente explicitement en fonction des intérêts d’une seule de ses nationalités dominantes. Il peut également servir les intérêts culturels de plusieurs

9 Weber n’est donc pas disposé à conceptualiser un État multinational. Cependant, il affirme la possibilité d’une cohabitation de plusieurs nationalités dans un seul État à condition qu’il y ait une autonomie culturelle (Weber, 1988!: 128).

10 En repensant la définition wébérienne de la en tant qu’un groupe composé d’hommes qui ont accès, grâce à leurs caractères authentiques, à certains services spécifiques considérés comme Kulturgüter (patrimoines culturels; Weber, 1980!: 560), et en élargissant le sens de la notion de , il semble alors possible de penser l’État-providence comme un exemple de cet État offrant certains services sociaux nés du système des valeurs collectives de la communauté politique.

nationalités, et cette politique être bénéfique pour la nationalité dominante lorsque ses intérêts sont bien compris. (Weber, 1988!: 128; notre traduction).

Somme toute, bien que Weber soit loin d’abandonner les fondements culturels de la nation, il ne montre pas seulement la capacité de l’État à créer une identité et des sentiments d’appartenance à une communauté chez les citoyens (Guibernau, 1996). Il est également en mesure de penser l’autonomie culturelle des différents groupes ethniques () à l’intérieur de l’État. Il nous semble donc possible, en prolongeant la pensée wébérienne, de transcender le clivage entre ce qu’on appelle souvent la et la ainsi que de détacher la citoyenneté de toute connotation généalogique ou monoculturelle.

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lumière d’une comparaison

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