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Assimilation et différentiation

Dans le document Workfare, citoyenneté et exclusion sociale (Page 144-147)

Conclusion!: Citoyenneté et droits

III. Assimilation et différentiation

Un autre élément, la structure interne de la nation, joue un rôle important dans le sens d’une approche différente de l’assimilation des étrangers. En France, le modèle assimilateur interne (assimilation de la périphérie par le centre) a été transféré inconsciemment aux immigrés15. Dans ce cadre mental, l’assimilation a été perçue à la fois comme l’expression d’une tradition, comme un objectif réaliste et comme une chance pour les immigrés. Inversement, contester cette assimilation comme un objectif possible et souhaitable, c’est contester l’État républicain.

En Allemagne, pays traditionnellement fédéraliste et respectueux de la diversité de ses composantes, la reconnaissance des droits particuliers et le respect de l’intégrité des différents groupes ethno-culturels constitue une démarche traditionnelle. Même si ce

«différentialisme bienveillant» n’a pas atteint l’ampleur qu’il a connue dans l’empire habsbourgeois du tournant du siècle, le respect de l’identité particulière est considéré comme un impératif de civilisation. Dans l’imaginaire politique des Allemands, comme d’ailleurs dans celui des immigrés en Allemagne (majoritairement des Turcs très attachés à leur nation d’origine), il est difficile de concilier cette préservation d’une identité culturelle avec

15 Brubaker, p. 169 et 175.

l’acquisition de la citoyenneté allemande. Ainsi, rien dans le contexte culturel et social allemand n’est favorable à l’assimilation, même du point de vue de l’intérêt des immigrés.

L’assimilation est perçue comme une violence symbolique contre les immigrés tout comme elle serait perçue comme une trahison à l’égard des entités particulières constituant traditionnellement l’Allemagne16.

Sur un plan pratique, la différence entre le droit français et le droit allemand de la nationalité ne peut d’ailleurs être résumée comme correspondant dans un cas au droit du sol et dans l’autre au droit du sang. En effet, les possibilités d’acquisition par naturalisation de la nationalité allemande sont devenues de plus en plus souples17. La principale et la plus importante différence entre les systèmes français et allemands du droit de la nationalité, en ce qui concerne le problème des immigrés, réside dans une attitude différente par rapport à la double nationalité. Celle-ci est facilement admise en France alors qu’elle reste refusée en Allemagne. Aujourd’hui, le grand débat en Allemagne porte sur ce point, les socio-démocrates y étant favorables et les chrétiens-démocrates hostiles18. En France, l’acceptation de la double

16 Ainsi pose-t-on en Allemagne la question de savoir comment les immigrés naturalisés allemands vont se comporter par rapport au devoir de mémoire et au sentiment de responsabilité à l’égard de la Shoa. Le IIIe Reich a, d’une certaine manière, créé un élément d’identification spécifique pour les Allemands, autour du poids de l’holocauste. Celui qui n’a pas eu de parents ou de grands-parents allemands qui vivaient au moment de la 2ème guerre mondiale ne peut guère participer à cet élément d’identification.

17 La loi sur les étrangers (Ausländergesetz) du 9 juillet 1990, modifiée notamment en 1993, prévoit un droit pour un étranger d’obtenir la nationalité allemande s’il la demande entre l’âge de 16 et 23 ans et s’il a résidé 8 ans régulièrement en Allemagne et y a été scolarisé.

Un étranger adulte a le droit d’obtenir la nationalité française s’il a résidé régulièrement 15 ans en Allemagne et s’il est en mesure de subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille. Un projet de loi prévoit de ramener ce délai de 15 à 8 ans. L’acquisition de la nationalité allemande est cependant en règle générale subordonnée à l’abandon d’une autre nationalité.

18 Postérieurement à la rédaction de la présente contribution, la nouvelle coalition SPD-Bündnis 90 — die Grünen a annoncé une

nationalité, facilite une transition en douceur des immigrés de leur nationalité d’origine vers leur nouvelle nationalité. Elle permet de combiner une double loyauté à l’égard de la culture d’origine et du pays d’accueil. En Allemagne, le refus de la double nationalité place les immigrés dans l’obligation de «trahir» et de rejeter leur pays d’origine pour pouvoir accéder à la nationalité du pays d’accueil. Comme la plupart des immigrés en Allemagne proviennent d’un pays dans lequel l’identité nationale est très forte (la Turquie), ils se refusent à cette rupture, même encore au niveau de la deuxième ou de la troisième génération. On peut être surpris de cette attitude rigide à l’égard de la double nationalité alors que les Allemands ont eux-mêmes l’expérience d’une loyauté plurielle!: on peut être farouchement attaché à son identité bavaroise, patriote allemand et européen convaincu. L’idée de pluralisme culturel est mieux reçue en Allemagne qu’en France.

Inversement, l’attitude rigide de l’État français à l’égard des cultures régionales aurait été en harmonie avec un refus de la double nationalité. On reconnaît dans ces choix respectifs l’esprit de pragmatisme qui finalement l’emporte en France alors qu’en Allemagne l’obsession de poser des problèmes de principe aboutit à des solutions rigoristes. L’idée qu’il faut être clair et conséquent, qu’il faut savoir tirer les conséquences de ses choix aboutit souvent en Allemagne à des positions manquant de nuances. On peut aussi dire que chaque pays place ses tabous à un endroit différent!: en France, on est prêt aux compromissions en ce qui concerne la combinaison de deux nationalités, mais on refuse le foulard; en Allemagne, on tolère les immigrés avec leurs différences, mais de

réforme du droit de la nationalité élargissant les possibilités de naturalisation et de double nationalité. Ces projets ont suscité un débat virulent qui s’est cristallisé sur une opposition à la double nationalité laquelle, comme relevé ci-dessus, constitue un aspect essentiel de la différence avec le droit français. D’autres aspects, pourtant audacieux par rapport au droit français, à savoir que la naturalisation constitue un droit lorsque certaines conditions (notamment la durée du séjour) sont remplies ne sont guère contestées. Avec la perte de la majorité absolue au Bundesrat, pour la nouvelle coalition gouvernementale, suite aux élections du début février 1999, les perspectives d’une modification en profondeur du droit de la nationalité s’estompent, notamment en ce qui concerne l’admission large de la double nationalité.

ceux qui veulent accéder à la nationalité allemande, on exige une manifestation de volonté sans concession.

Dans le document Workfare, citoyenneté et exclusion sociale (Page 144-147)