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Citoyenneté et droits des minorités

Dans le document Workfare, citoyenneté et exclusion sociale (Page 53-56)

Guy Rocher *

II. Citoyenneté et droits des minorités

Se référant explicitement à Marshall, Alan Wolfe écrit, parlant de l’évolution des droits sociaux dans la démocratie moderne!: «First the middle classes, then working men, then women, then racial minorities all won not only economic rights but political and social rights as well (Marshall, 1964)»12. Il n’est malheureusement pas exact d’attribuer cette description à Marshall, car celui-ci n’a rien écrit ni sur les droits des femmes

—!ce qui lui a été rudement reproché!— ni sur les minorités.

Faisant une sorte d’inventaire de l’œuvre de Marshall, Bulmer et Rees écrivent!: «Many commentators have noted that Marshall’s schema contains significant omissions... The omissions have come to be if anything more obvious as we move closer to the twenty-first century. The principal gaps are women and the family; persons lacking in self-determination; the very poor; racial and ethnic minorities; and other countries (than England)»13. Les politiques sociales auxquelles Marshall s’est intéressé portaient sur les soins de santé, la lutte à la pauvreté, la sécurité sociale, le logement,

12 A. WOLFE, «Democracy Versus Sociology!: Boundaries and their Political Consequences» dans Cultivating Differences!: Symbolic Boundaries and the Making of the Quality, Michèle Lamond et Marcel Fournier (dir.), Chicago, The University of Chicago Press, (1992), p. 309.

13 M. BULMER et A.M. REES, «Conclusion!: Citizenship in the Twenty-first Century», dans Citizenship Today, op. cit., p. 275.

mais sans aucune référence ni aux femmes en particulier, ni aux diverses minorités.

Ce qui est frappant, c’est qu’en dépit de ce fait, on revienne à l’analyse de la citoyenneté de Marshall au moment où la question des diverses minorités a surgi depuis une dizaine d’années comme problème majeur. On n’a cependant pas vraiment fait le lien entre l’analyse marshallienne de la citoyenneté et la question des minorités. Cette réflexion est à faire, et c’est à cette tâche que cet essai se veut une invitation.

Rappelons d’abord que la notion même de minorité est récente dans l’histoire politique et la question des rapports entre majorité et minorité ne date que d’à peine plus d’un siècle. L’enjeu des minorités n’est apparu que lentement et progressivement à travers l’histoire occidentale du dernier siècle, et plus encore des dernières décennies. Joseph Heim a bien mis en lumière le fait qu’il a fallu attendre le déclin et l’éclipse de l’État confessionnel pour voir surgir la question des minorités14. La conception politique qui a longtemps présidé à la domination de l’État confessionnel ne pouvait, de sa nature même, avoir à l’égard des minorités qu’une attitude de «tolérance» toujours provisoire accompagnée de politiques restrictives des droits et libertés. C’est ce qu’ont connu les Juifs à travers l’Europe, les Catholiques en pays protestants et les Protestants en pays catholiques.

Et même au 20e siècle, la protection juridique des minorités ne s’est élaborée que très lentement, depuis les traités de paix de 1919-1920, et à travers bien des vicissitudes, comme l’a bien illustré Bernard Michel15. C’est la présence des minorités nationales, linguistiques et religieuses des nations découpées et reconstituées par ces traités, notamment en Europe centrale, qui a obligé à rechercher des mesures susceptibles de les protéger. Mais

14 J.C. HEIM, «The Demise of the Confessionnal State and the Rise of the Idea of a Legitimate Minority» dans Majorities and Minorities, sous la direction de J.W. Chapman et A. Wertheimer, New York, New York University Press, (1990), ch. 1, p. 11-23.

15 B. MICHEL, Nations et nationalismes en Europe centrale. XIXe-XXe siècle, Paris, Aubier, (1995). En particulier, le chapitre X, «Vers la protection des minorités».

plus on a recherché la protection des minorités au cours des dernières décennies, plus on a fait face à l’extrême diversité des minorités et à l’extrême variété des rapports entre majorités et minorités. La notion de minorité recouvre des réalités très diverses, ayant apparemment peu en commun. Ainsi, des minorités régionales, tels les Basques et les Catalans, n’ont rien en commun avec la minorité des Noirs aux États-Unis, ni celle-ci avec les minorités ethniques et religieuses de l’Europe centrale et de l’Europe de l’Est, ni ces dernières avec les minorités d’immigrants reçus comme travailleurs temporaires («les travailleurs étrangers») en Europe de l’Ouest, ni ces derniers avec la minorité séfarade en Israël, la minorité acadienne au Nouveau-Brunswick, la minorité italophone en Suisse. Bernard Michel note de son côté!:

«Il y a une énorme différence entre les minorités nationales d’Europe centrale, installées depuis des siècles sur leur territoire et les minorités d’émigrants, arrivés depuis peu en Europe occidentale qui ont, eux, pour vocation l’assimilation et l’intégration dans la vie nationale. Les minorités d’Europe centrale, au contraire, veulent garder de manière permanente leur personnalité linguistique, culturelle»16. Cette infinie diversité des minorités explique la grande difficulté qu’il y a à simplement définir la notion de minorité17 et à construire une typologie des minorités. Bryan Turner a proposé une typologie des minorités basée sur une typologie des cultures politiques. Il propose de distinguer les contextes politiques selon deux axes!: l’axe opposant l’initiative politique qui vient d’en haut et celle qui vient d’en bas;

l’axe qui distingue les sociétés selon que la sphère publique ou la sphère privée est dominante18. La typologie de Turner est intéressante. Mais c’est en réalité une typologie des cultures politiques, ce n’est pas une typologie des minorités.

Je n’ai l’intention de proposer ni une définition, ni une typologie des minorités et des rapports majorité/minorité. Un

16 B. MICHEL, ibidem, p. 240-241.

17 Voir notamment le Report on the Definition of Minorities, prepared by Oldrich Andrysek, Utrecht, Netherlands Institute of H. Rights, (1989).

18 B.S. TURNER, «Outline of a Theory of citizenship», Sociology, (1990), vol. 24, n° 2, 189-217.

autre thème nous occupe ici. Si l’on aborde la question des minorités dans la perspective des droits fondamentaux, comme on nous invite à le faire dans ce Colloque, il faut l’entreprendre dans une double perspective!: celle de concevoir la citoyenneté non plus d’une manière statique, mais dynamique; celle d’ajouter les droits culturels aux trois types de droits que Marshall avait distingués.

Je voudrais traiter de ces deux points successivement.

III. Une conception dynamique de la

Dans le document Workfare, citoyenneté et exclusion sociale (Page 53-56)