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l’état de la jurisprudence avant l’arrêt Mabo 1

Section II : la mise en pratique

A. l’état de la jurisprudence avant l’arrêt Mabo 1

l’arrêt General Attorney of New South Wales v. Brown128 .

128 Attorney-General v. Brown (1847) 2 S.C.R. App 30. Sir Alfred Stephen C.J.

Dans l’arrêt General Attorney de la Nouvelle Galles du Sud v. Brown129, la Cour Suprême de la Nouvelle Gales du Sud a refusé en 1847 le statut de terre allodiale, c'est-à-dire le statut de la terre qui n’a été prise par aucun seigneur supérieur. Dans l’ensemble de notions que la Common Law a accumulé au fil des siècles, le statut de terre allodiale aurait pu servir pour reconnaître la propriété traditionnelle des peuples autochtones. A partir de cet arrêt, l’Australie s’est acheminée vers le principe juridique féodal de l’acquisition par la Couronne de la propriété originaire du sol sur l’ensemble du territoire.

Les raisonnements de l’arrêt s’enchaînent de la manière suivante : depuis que les premiers ressortissants britanniques ont pris possession en 1788 du territoire de la Nouvelle Gales du Sud en nom de leur souverain, la Couronne s’est attribué la souveraineté sur ce territoire.

Etant devenu domaine royal selon les lois du Parlement et les actes du gouvernement colonial, c’est le droit d’Angleterre le droit applicable130. D’après le droit d’Angleterre, la Couronne a acquis la propriété absolue de tous les territoires inhabités de la colonie131, de sorte qu’il ne peut pas y avoir d’autre droit ou intérêt sauf ceux qui dérivent de la Couronne.

Il convient de souligner comment la colonisation et le droit colonial se renforcent mutuellement dans le raisonnement de la Cour. La Cour Suprême en a déduit, comme si tous les territoires étaient inhabités, que la souveraineté de la Couronne s’est implantée dans la totalité du territoire sans aucun obstacle. Dans cet arrêt, les peuples autochtones semblent ignorés voire inexistants.

Juridiquement, il s’agit des colonies de Sa Majesté et non des colonies du peuple Anglais ni des colonies de l’Empire Britannique. Le principe du système juridique féodal signale que toutes les terres appartiennent indirectement ou immédiatement à la Couronne. Le souverain est l’occupant universel de tout le territoire et toute propriété est réputée trouver en lui son origine. Mais dans un pays récemment découvert, ce sont les colons qui ont emmené la Common Law avec eux.

2. l’arrêt Cooper v. Stuart

L’arrêt Cooper v. Stuart132 de 1889 est la jurisprudence qui a le plus marqué la Common Law australienne. Axé sur la doctrine de la terra nullius, l’arrêt a reconnu le droit des autochtones à la terre, selon les politiques impériales, en donnant la responsabilité au Gouvernement colonial de civiliser les autochtones en leur apprenant l’agriculture133. Suite à l’arrêt Cooper v. Stuart, les autorités coloniales ont eu l’intention de faire apprendre l’agriculture aux autochtones pour éviter qu’ils soient dépossédés de leurs terres. Aujourd’hui on ajouterait que dans cette intention figurait également l’objectif de mettre fin à leur rapport traditionnel avec la terre.

L’arrêt Mabo s’est appuyé également sur la doctrine134 de l’introduction du droit Anglais dans un pays en dehors des domaines royaux contenue dans l’arrêt Cooper v. Stuart. Ainsi

129 1 Legge 312, cité par DORSETT, Land law and Dispossession : Indigenous Rights to Land in Australia, 1998, p. 282.

130 Selon les circonstances coloniales, comme le dit BLACKSTONE.

131 http://www.austlia.edu.au/au/special/rsjproject/rsjlibrary/archives/Mabo/30.html

132 14 AC 286, cité par DORSETT, Land law and Dispossession : Indigenous Rights to Land in Australia, 1998, p. 282.

133 Ibidem, p. 287.

134 1992. 175 CLR § 34

lorsque les colons britanniques sont arrivés avec leurs droits politiques135 en tant que sujets de la Couronne, «les dits colons apportent avec eux seulement autant du droit anglais qu’il serait applicable à leur propre situation et aux conditions d’une nouvelle colonie »136. Les prérogatives de la Couronne sur les colons étaient donc limitées et la Common Law devait s’adapter aux circonstances des colonies.

Une autre conséquence juridique de la migration en Australie fut que les colons sont arrivés sous la protection de la Couronne, avec leurs titres, garanties et libertés qu’ils tenaient de leur origine. Parmi ces droits figurait celui de constituer une assemblée législative analogue au Parlement impérial. Créer un autre parlement avec des pouvoirs législatifs a signifié un début d’autonomie pour les colonies.

3. l’arrêt Geita Sebea v. Territory of Papua .

La Haut Cour d’Australie a reconnu dans l’arrêt Geita Sebea v. Territory of Papua137 de 1941 le titre sur la terre selon le droit traditionnel des autochtones, conformément au régime de l’indirect rule colonial adopté par le Territoire de Papua. Cette jurisprudence sera repris en 1973 par l’arrêt Administrateur de Papua et de la Nouvelle Guinée contre Daera Guba138 au moment pour la Haute Court d’Australie de reconnaître le titre sur la terre selon le droit traditionnel139. Ces deux précédents jurisprudentiels sur la protection des intérêts natifs traditionnels furent invoqués dans l’arrêt Mabo : il ne s’agissait pas de reconnaissance de titres natifs conformes à la Common Law mais de la reconnaissance du droit autochtone et des titres natifs qui en découlent.

4 . l’arrêt Milirrpum v. Nabalco Pty Ltd 140

L’affaire Milirrpum v. Nabalco Pty Ltd a commencé en 1963 lorsque deux clans, le peuple Yolngu et le peuple Yirrkala, ont demandé à la Chambre de Représentants la reconnaissance des droits à leurs terres contre une entreprise minière141. Après l’échec d’une Commission parlementaire chargée de résoudre le cas, le peuple Yirrkala a tenté de réclamer ses droits auprès des Cours.

En 1971 dans l’arrêt Milirrpum v. Nabalco Pty Ltd la Haute Cour n’a pas accepté le titre natif par deux raisons :

les peuples autochtones ont invoqué, dans cette occasion un lien de nature spirituelle et religieuse avec le territoire ;

ils n’ont pas réussi à prouver que leurs ancêtres habitaient le même territoire au moment de l’annexion de la Nouvelle Galles du Sud142.

135 http://judgments.fedcourt.gov.au/2002/J021342.yes.htm

136 “Such colonists carry with them only so much of the English law, as is applicable to their own situation and the condition of an infant colony". Commentaries of Blackstone, 5e. édition, 1773, Bk I, ch.4 § 107

137 67 CLR 544 cité par DORSETT, Land law and Dispossession : Indigenous Rights to Land in Australia, 1998, p. 292.

138 130 CLR 353 § 397

139 DORSETT, op. cit., p. 292.

140 1971. 17 FLR 141

141 Ruth KERR, Aboriginal Land Rigths. A Comparative Assessment, Brisbane, Queensland Parlamentary Library, novembre 1991, p. 2.

142 Shaunnagh DORSETT, Land law and Dispossession: Indigenous Rights to Land in Australia, 1998, p. 291.

Quant à l’exigence de reconnaître l’annexion des territoires à l’Etat, elle impliquerait de situer les peuples autochtones à l’intérieur de l’Etat. Shaunnaugh Dorsett refuse cet axiome implicite lorsqu’elle affirme que les titres natifs, par définition se situent avant l’établissement de l’Etat et que si l’on suppose que les titres natifs et étatiques ne peuvent pas exister simultanément, la validité d’un titre exclue forcément l’autre. Les titres natifs dont parle l’arrêt Mabo ne sont pas les mêmes titres natifs que Dorsett revendique. La continuité historique exigée par la jurisprudence Mabo a son origine avant l’établissement de l’Etat, puis elle reconnaît l’établissement de la Common Law et, enfin, l’hybridation de l’ordonnancement autochtone et de la Common Law à l’intérieur de l’ordre juridique de l’Etat australien.

B. l’évolution de la jurisprudence après l’arrêt Mabo 1. l’arrêt People Wik v. State of Queensland .

Dans l’arrêt People Wik v. State of Queensland143, la Haute Cour a décidé en 1996, par une majorité de 4 contre 3 que le titre natif ne s’éteint pas du fait des droits de pâturage accordés sous une des formes du droit statutaire144. Ainsi, 70% du continent australien est concerné, possédé selon de diverses formes du droit statutaire145 qui ont en commun de ne pas conférer la terre en exclusivité.

L’arrêt Peuple Wik a orienté la jurisprudence australienne vers la co-existence des titres natif et statutaires, tout en confirmant la subordination du titre natif aux intérêts de la Couronne146. La Haute Cour a établi que les droits de pâturage ne confèrent pas la possession exclusive et qu’un titre natif peut co-exister avec les droits de lease. De la sorte, l’arrêt peuple Wik rendait possible de nombreux procès de réclamation de titres natifs vu l’étendu des terres sous droit de lease : 41% de l’Australie du Sud ; 49% du Territoire du Nord ; 37% de l’Australie du Ouest, et 65% de Queensland147.

A la suite au débat national intense soulevé par cette jurisprudence, le Gouvernement Howard a amendé la Native Title Act en 10 points malgré l’opposition des peuples autochtones et du parti travailliste alors dans l’opposition.

2. la jurisprudence récente.

Après l’arrêt Peuple Wik, la Haute Cour australienne a adopté plusieurs décisions limitant la signification et la portée des titres natifs148.

L’arrêt Fejo v. Northern Territory149 (1998) a établi que les titres de fief simple produisaient l’extinction définitive de tous les droits et intérêts des peuples autochtones, sans donner lieu à une suspension puis à une reviviscence comme les autochtones l’affirmaient jusqu’à ce moment.

143 187 CLR 1, cité par KOPPENOL, G.J. The Evolution of Native Title in the High Court of Australia, 2003, § 13 à § 18

144 DORSETT, op.cit., p. 295.

145 Près du 70%.

146 DORSETT, op. cit., p. 296.

147 Ibidem.

148 A partir du référendum de 1992 la jurisprudence canadienne a une tendance globalement favorable aux peuples autochtones et recommande la négociation des conventions tripartites. Cf. pp. 61 et 62.

149 195 CLR 96, cité par KOPPENOL, G.J. The Evolution of Native Title in the High Court of Australia, 2003, § 19 et §20

L’arrêt The Commonwealth of Australia v. Yarmirr150 a reconnu, en 2001 que si les titres natifs incluent la mer, le sol et le sous-sol marin où les autochtones ont le droit de pêcher, ces droit ne sont pas exclusifs et les peuples autochtones n’ont pas le contrôle des opérations commerciales de pêche, tourisme, etc.

L’arrêt Western Australia v. Ward151 a précisé en août 2002 que les minéraux et le pétrole sont la propriété de la Couronne et que, de ce fait, les titres natifs sur ces ressources étaient éteints. La Haute Cour a expliqué que le titre natif est un ensemble de droits de contenu varié, pas forcement analogue au droit de propriété -fee simple- et qu’il peut être éteint partiellement et successivement.

L’arrêt Wilson v. Anderson152 a décidé en 2002 que un droit de pâturage à perpétuité équivalait à un titre de propriété freehold et que, par conséquent, il éteignait le titre natif. Cet arrêt a signifié une grand recul pour les peuples autochtones puisque ce type de droits de pâturage couvre presque 40% de la Nouvelle Galles du Sud.

L’arrêt Rose v. State of South Autralia, du 1er novembre 2002 a reconnu qu’un droit de pâturage peut être accordé sous réserve des droits et des intérêts autochtones circonscrits à l’usage du territoire selon les coutumes ancestrales153 ; les requérants du peuple Nguraritja ont dû prouver leur lien avec le territoire revendiqué.

L’arrêt Members of the Yorta Yorta Aboriginal Community v. State of Victoria and Ors154 a nié, en décembre 2002 le titre natif de possession exclusive sur 2.000 kms2 parce que les ancêtres des Yorta Yorta n’avaient pas la possession de leurs terres depuis 1881 et qu’ils ne suivaient plus leurs lois et coutumes traditionnelles.

Le seul cas récent décidé en faveur des peuples autochtones fut l’arrêt Yanner v. Eaton155, en 1999 à propos de deux petits crocodiles tué par un aborigène. La Haute Cour australienne a reconnu que d’après le Native Title Act les titulaires d’un titre natif n’avaient pas besoin d’un permis de chasse.

§ 3

: les autres revendications autochtones.

Les peuples autochtones australiens ont obtenu d’importants changements juridiques en leur faveur : la validité du titre natif a été reconnu par la jurisprudence et la législation nationales ; le pouvoir des Etats fédérés sur les affaires indigènes a été réduit au plan interne par la Commonwealth Racial Discrimination Act de 1975 et par la jurisprudence Mabo de 1992 et, au niveau de la Commonwealth, par d’autres exigences du droit international que les autochtones ont réussi à forcer à prendre en compte leurs demandes156.

L’arrêt Mabo, la Native Title Act et l’arrêt People Wik marquent les progrès obtenus sur le plan juridique par les peuples autochtones en Australie. Certaines notions et doctrines juridiques sur la propriété foncière, décalées de leur contexte jurisprudentiel, effrayent les entreprises et font rêver les militants autochtones d’un retour aux temps antérieurs à 1788. Il

150 208 CLR 1, cité par KOPPENOL, op. cit., § 24 à § 26.

151 76 ALJR 1099, cité par KOPPENOL, op. cit., § 27 et §28. Les autochtones revendiquaient un territoire et des eaux de 7.900 kms2 dont trois îles, des terrains de pâturage, le district d’irrigation d’Ord River et la mine de diamants Argyle.

152 76 ALJR 1306, cité par KOPPENOL, op. cit., § 29.

153 Le titre natif ne permet pas les exploitations minières ni pétrolières, lesquelles s’exercent selon le droit australien. Cfr. Arrêt Rose contre Etat de l’Australie du Sud FCA 1342, § 972

154 77 ALJR 356, cité par KOPPENOL, op. cit., § 30 à §34.

155 201 CLR 351, cité par KOPPENOL, op. cit., § 23.

156 La Convention 169 de 1989 de l’OIT, la Commission des droits de l’Homme et le Forum Permanent sur les Affaires Indigènes à l’ONU. Cf. Robert GRANT, De-Colonisation and Difference : The Case of Australia’s Aboriginals, University of Aberdeen, 1997, p. 1.

convient de signaler que les deux discours s’alimentent réciproquement. Il y a un mouvement social des peuples autochtones assez large et hétérogène dont les revendications restent très politisées.

De tels affrontements rhétoriques n’empêchent pas l’Australie de développer ses exploitations minières et forestières ni les autochtones de participer de plus en plus aux instances et aux mécanismes de concertation prévue dans la Native Title Act. On trouve certains juristes qui travaillent à faire appliquer la doctrine des titres natifs en faveur des peuples autochtones ; d’autres demandent la reconnaissance des droits collectifs, la participation politique et parlementaire et l’autonomie politique des peuples autochtones. Les législateurs en tiennent compte pour mettre fin à l’exclusion des peuples autochtones et pour intégrer leurs demandes dans l’intérêt général, conformément aux principes démocratiques et représentatifs.

Le discours contemporain des peuples autochtones accorde une grande signification au fait qu’ils aient habité l’Australie pendant 60.000 ans avant l’arrivée des Anglais157. Bien qu’ils ne pratiquent pas l’agriculture à l’anglaise, les peuples autochtones ont géré le territoire à leur façon, en brûlant la végétation pour assurer la régénération des arbustes qui fleurissent après les incendies forestiers158. Certains juristes, comme Shaunnagh Dorsett, considèrent que l’inoccupation étant une conditio sine qua non de la terra nullius, la Couronne n’aurait jamais acquis la souveraineté ni le titre originel159.

En Australie les mouvements indigénistes et les partisans d’une réconciliation160 avec les peuples autochtones ont lancé l’initiative de signer un traité entre le Gouvernement et les peuples autochtones afin de compenser les mauvais traitements subis par les autochtones dans le passé. Dans l’année 2000, les sondages d’opinion ont montré que presque la moitié des Australiens étaient en faveur de cet accord malgré l’opposition qu’il rencontre en Australie, y compris de l’actuel premier ministre conservateur John Howard161.