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CONCLUSIONS DE LA PREMIERE PARTIE

Section III : les accords contemporains

CONCLUSIONS DE LA PREMIERE PARTIE

Le pluralisme juridique demandé par les peuples autochtones pour conserver leurs identités culturelles emprunte des éléments propres aux sciences sociales et aux idéologies politiques. Les peuples autochtones fondent leurs revendications aussi bien sur leur passé historique et leurs traditions mythiques que sur les textes récents des constitutions et des lois.

Ils ont fait des alliances transnationales avec les mouvements écologistes et les mouvements sociaux alternatifs. A partir des années 1970, les mouvements sociaux des peuples autochtones s’étaient largement internationalisés, de sorte que, avec la mondialisation, ils ont su s'adapter rapidement aux nouveaux enjeux, en adoptant un mode spécifique d’insertion dans le système international plutôt contestataire, ce qui leur permet de bien marquer leurs différences..

En Australie, les institutions et les formules pragmatiques du régime colonial britannique ont pris en compte les peuples aborigènes, d’après les critères politiques et l’avis des anthropologues de l’époque1. On a essayé plusieurs fois, pendant sa période coloniale d’assimiler les aborigènes en leur apprenant l’agriculture. En 1992 la Cour Suprême a bouleversé le régime foncier avec l’Arrêt Mabo vs. State of Queensland dont les effets furent encadrés en 1993 par la Native Title Act ; depuis lors le régime foncier a considérablement évolué à partir de la doctrine de la Common Law médiévale. L’Australie est le seul Etat qui a consacré le principe de non-extinction des titres natifs bien qu’il admette des suspensions permettant l’octroi de droits, concessions et titres temporels pour les exploitations économiques minières, agricoles ou d’élevage de bétail. Aujourd’hui, l’Australie est un Etat multiculturel en pleine nation building qui intègre des immigrants asiatiques et océaniens.

Au Canada, les peuples autochtones étaient considérés à l’époque coloniale comme des nations à part et ont conclu des accords avec la France et l’Angleterre. La Constitution fédérale de 1982 a reconnu leurs droits ancestraux et ceux issus des accords historiques.

L’arrêt Guerin de 1984 a établi un régime d’obligation fiduciaire qui fait de l’Etat le garant, vis-à-vis des peuples autochtones des pouvoirs qu’ils lui ont cédé. La Cour Suprême du Canada a mis en place d’autres institutions prétoriennes assez intéressantes, comme le test de justification des atteintes. En 1992 un référendum constitutionnel n’a pas reconnu le droit des peuples autochtones à leur autonomie politique, ce qui a été un échec pour les autochtones.

Les accords tripartis entre les peuples autochtones, les provinces et la fédération, cherchent à préciser la portée des droits ancestraux. Plusieurs accords furent conclus et plus de 80 sont en cours de négociation.

En Colombie, la plupart des peuples indiens furent détruits par l’occupation coloniale espagnole. Cependant la Couronne avait promulgué des mesures pour protéger les Indiens ; comme les terres des resguardos dont la population était gouvernée par des cabildos indigènes, lesquels subsistent actuellement. La Constitution de 1991 a développé dans 22 articles les lignes maîtresses de la Convention n° 169 de 1989 de l’OIT : L’Etat reconnaît et protège la diversité ethnique et culturelle de la nation ainsi que les territorialités indigènes sous la forme de resguardos et des collectivités territoriales indigènes. Les communautés indigènes jouissent de la propriété collective de leurs terres dont l’étendu est de 250.000 km²,

1 Ce qui a pu être mis en relief grâce aux recherches de Michael Barry HOOKER dans son ouvrage Legal Pluralism, publié en 1975.

soit le 25% du territoire national. De surcroît, elles jouissent d’autonomie politique, administrative, législative et judiciaire dont l’articulation avec l’ordre juridique de l’Etat est garantie par la juridiction constitutionnelle. Le régime des droits fondamentaux, qui intègre un noyau dur et une partie flexible, sert pour protéger les droits des indiens et pour développer les institutions propres à un Etat multiculturel.

La Nouvelle-Calédonie est la preuve de l’ouverture de l’Etat français au multiculturalisme à l’encontre des idées dominantes en France métropolitaine. Le droit commun et le droit coutumier des Kanaks constituent une duplicité de statuts donnant lieu à la réversibilité des statuts et à un usage stratégique des deux statuts. L’égalité formelle des régimes coutumiers et de droit commun, reconnue par la jurisprudence calédonienne, permet des situations de pluralisme juridique. La création des assesseurs coutumiers dans la juridiction civile en 1982, puis dans la juridiction pénale, a mis en place l’équivalant d’une juridiction inter-culturelle.

Une fois disparu le ius gentium, les traités historiques conclus entre les peuples autochtones et les Etats colonisateurs il faudrait les considérer comme définitivement internalisés, c’est-à-dire, que leurs effets juridiques sont passés du plan international au droit public interne de l’Etat. Il est claire que depuis 1923, lorsque la Cour internationale de justice a déclaré irrecevable la requête du chef Deskaheh, il n’est plus question d’appliquer les traités historiques de l’époque du ius gentium. A partir 1974, l’ONU a accordé le statut consultatif aux ONG autoproclamées représentantes des peuples autochtones, mais ce mécanisme a connu une crise en 1984 et, depuis lors, les peuples autochtones accèdent directement aux instances onusiennes. L’ONU ne reconnaît plus de terra nullius et encourage les Etats à reconnaître les peuples autochtones, leurs autorités traditionnelles et leurs ordonnancements coutumiers dans le cadre de l’ordre juridique interne. La Convention n° 169 de 1989 de l’OIT et les constitutions des Etats multiculturels situent les peuples autochtones à l’intérieur des Etats sociaux de droit, où ils partagent les valeurs des Droits de l’Homme et les revendications d’autres minorités.

Le trait commun aux quatre Etats étudiés est l’attribution du statut égalitaire de la citoyenneté à tous, autochtones et non-autochtones, et la reconnaissance d’un statut supplémentaire d’autonomie pour les peuples autochtones. Les peuples autochtones veulent être égaux et inégaux par rapport à des paramètres divers et, pour cela, ils jouissent d’une duplicité de statuts juridiques qui suscite tensions et ambiguïtés. L’égalité joue un rôle majeur en articulant les ordonnancements autochtones et l’ordre juridique de l’Etat : l’égalité formelle entre les deux se situe à la base de tous leurs rapports et, d’autre part, l’égalité matérielle des droits citoyens justifie les mesures de discrimination positive en faveur des autochtones pour les sortir de l’infériorité de leurs conditions de vie.

Mais l’égalité visée a ses limites dans la protection des différences (inégalités) culturelles, lesquelles justifient des mesures permanentes de discrimination positive dont la finalité est double : elles cherchent, d’une part, à rendre les autochtones égaux aux autres citoyens en niveau de vie matérielle et, d’autre part, à perpétuer leurs différences culturelles, particulièrement en ce qui concerne leurs modes de production traditionnels. Pourtant certains autochtones prônent une remise à jour des activités économiques traditionnelles.

Le pluralisme juridique se produit lorsqu’une pluralité d’ordonnancements se reconnaît réciproquement et accepte d’interagir le uns les autres par rapport à une même population. Le Canada et la Colombie sont deux pays où la reconnaissance des droits ancestraux au niveau

constitutionnel a produit, sur le plan du droit positif de l’Etat, l’existence d’une multitude d’ordonnancements juridiques semi-autonomes qui s’articulent à l’ordre juridique de l’Etat par trois mécanismes :

 les régimes spéciaux souvent proposés par des autochtones soucieux d’assurer la permanence d’un espace juridique commun à l’Etat et aux autochtones ;

 les autonomies politiques, administratives, législatives et judiciaires dont la portée est assez diverse et change au gré des basculements identitaires ;

 le pluralisme juridique permettant des situations dans lesquelles un individu peut se voir appliquer des mécanismes juridiques relevant d’ordres juridiques différents2.

2 Jacques VANDERLINDEN, « Trente ans de longue marche sur la voie du pluralisme juridique », article publié dans l’ouvrage collectif Les pluralismes juridiques, Laboratoire d’anthropologie juridique de Paris, Karthala, 2003, page 13.