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1. Parfaire sa formation à l’étranger

1.1. L’équation de Klein-Gordon comme détonateur

En 1925-1926, avec la publication de plusieurs articles fondamentaux, notamment par Werner Heisenberg [Heis 1925] et Erwin Schrödinger [Schr 1926a ; 1926b ; 1926c ; 1926d], s’ouvre une riche période de développements de la mécanique quantique. En URSS, en particulier à Léningrad, l’enthousiaste jeune génération de physiciens théoriciens qui s’établit alors, incarnée par Fock, Landau, Frenkel ou encore Gamow, concentre rapidement toute son attention sur le sujet. Elle s’appuie notamment sur un séminaire de mécanique quantique, organisé par Viktor Robertovich Bursian, où sont discutées les récentes publications des Zeitschrift für Physik, des Proceedings of the Royal Society et d’autres journaux, qu’elle consulte aussi avec intérêt dans les bibliothèques de Léningrad1.

Au cœur de cette dynamique Fock se fait rapidement remarquer par des publications de qualité. Son premier article concernant la mécanique quantique propose non seulement une généralisation au cas d’un champ magnétique de l’équation de Schrödinger mais se double aussi d’une approche relativiste [Fock 1926a]2. Aujourd’hui connue sous le nom d’équation de Klein-Gordon, l’équation qui découle de cette approche caractérise une particule relativiste de spin nul. Elle est en réalité découverte de façon indépendante par plusieurs physiciens : Fock bien entendu, Schrödinger lui-même mais qui n’en fait pas publication immédiatement, Oskar Klein, Walter Gordon ou encore Wolfgang Pauli, Théophile de Donder, Frans-H. van den Dugen et Louis de Broglie3. La première publication véritable de l’équation est le fait de Klein, dans le volume 37 des Zeitschrift für Physik [Klein 1926]. Fock publie son article dans le volume 38 de la même revue, mais le soumet avant de prendre connaissance de celui de Klein4.

1 Sur le séminaire de Bursian et les premiers temps de la réception de la mécanique quantique en URSS voir

Josephson [Jose 1991, pp. 219-225]. Sur le second point on peut aussi consulter Kojevnikov [Koje 2004, pp. 77- 78], qui souligne notamment le caractère particulier de la communauté des théoriciens soviétiques, similaire à celle des Etats-Unis : « young, emergent, and particularly receptive to the new trends coming from abroad » [p. 77].

2 Dans ce cas Fock se montre particulièrement réactif si l’on considère qu’il soumet son article une semaine

seulement après avoir pris connaissance des travaux de Schrödinger [Novo 1999a, 1150].

3 Pour un aperçu complet de l’ensemble des travaux à l’origine de l’équation de Klein-Gordon voir l’article

de Kragh, « Equation with the many fathers. The Klein-Gordon equation in 1926 » [Krag 1984].

4 C’est même en « Anmerkung bei der Korrektur » (Note ajoutée en correction) de son second article en

mécanique quantique que Fock mentionne n’avoir pu consulter avant soumission de ses travaux l’article de Klein [Fock 1926b, p. 226].

44 L’article de Gordon qui concerne pour sa part une particule libre parait dans le volume 40 [Gord 1926]. En dépit de cette chronologie, la dénomination usuelle de l’équation ne retient que les noms de Klein et Gordon, bien qu’une appellation « équation de Klein-Fock-Gordon » soit parfois usitée.

Le second article publié par Fock en 1926 sur la mécanique quantique est une poursuite des travaux précités. Fock discute son équation relativiste dans le cas d’une particule dans un champ électromagnétique et introduit une généralisation de l’équation de Schrödinger dans le cadre de la relativité générale, soit pour un espace courbe [Fock 1926b]. Il s’illustre alors en faisant appel dans son raisonnement à une approche à cinq dimensions de l’unification de la gravitation et de l’électromagnétisme. Il identifie ainsi les équations du mouvement d’une particule chargée aux équations d’une géodésique dans un espace-temps à cinq dimensions possédant une métrique de Riemann d’un type particulier. C’est alors en s’appuyant sur l’invariance des équations sous des transformations particulières qu’il dérive une équation d’onde pour une particule de spin nul, qui ramenée à un espace à quatre dimensions s’identifie à celle de Klein-Gordon. Ces transformations particulières, qui permettent une représentation des équations de Schrödinger et de la mécanique sous une forme invariante en théorie quantique, sont introduites pour la première fois par Fock à cette occasion et seront appelées transformations de gradient par le physicien russe en 1929 [Fock 1929c]. Elles correspondent à ce que l’on appelle aujourd’hui l’invariance de jauge de l’électrodynamique quantique1.

L’idée de travailler en cinq dimensions est en réalité suggérée à Fock par Frederiks qui attire son attention sur un manuscrit de Mandel, ce dernier travaillant sur la synthèse de la relativité et de l’électromagnétisme [Mand 1926]2. Cette volonté d’unification n’est pas nouvelle, et Klein lui-même travaille en cinq dimensions lorsqu’il établit l’équation de Klein-

1 Pour un large aperçu historique de la notion d’invariance de jauge voir Jackson et Okun [JaOk 2001] qui

développent tout particulièrement la contribution de Fock. On peut aussi consulter Okun [Okun 2010] pour un bref aperçu de la question centré sur le rôle de Fock. Dans ses deux références on trouve une discussion de l’origine du terme « invariance de jauge ».

2 Fock mentionne en introduction de son article le rôle joué par Frederiks et Mandel [Fock 1926b, p. 226].

Pour plus d’informations sur le rôle de Frederiks, et sur la question des théories unifiés en URSS, voir Vizgin et Frenkel [ViFr 2002, pp. 162-163]. On peut aussi consulter Goenner [Goen 2004, pp. 65-66].

45 Gordon1. Avant lui, en 1921, c’est aussi le cas du mathématicien allemand Theodor Kaluza en vue d’une théorie unifiée des phénomènes gravitationnels et électromagnétiques2, un idéal poursuivi par son compatriote Hermann Weyl dès 1918 [Weyl 1918]. Notons que c’est ce même Weyl qui en 1928 popularise l’invariance de jauge en l’établissant comme un principe fondamental de la physique moderne dans son ouvrage Gruppentheorie und Quantenmechanik (Théorie des groupes et mécanique quantique) [Weyl 1928]3.

Fock fait preuve d’une grande intuition physique en saisissant rapidement que la formulation en cinq dimensions est adéquate pour le problème physique de la généralisation relativiste de l’équation de Schrödinger, mais aussi toute l’importance des transformations de gradient4. En raison de leur qualité, ses travaux de l’année 1926 vont donner au physicien soviétique un coup de pouce inestimable à sa carrière : ils ont suffisamment d'écho pour qu’il se fasse remarquer à l'étranger5, et que s’ouvrent à lui les portes de l'Europe de l'Ouest sous la forme d'une bourse de la Fondation Rockefeller.