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1. Parfaire sa formation à l’étranger

1.4. Compléter sa formation en mécanique quantique

Au-delà de l’article sur le principe adiabatique écrit en collaboration avec Born, le rapport de Fock à la fondation Rockefeller fait mention de cinq différents travaux développés durant cette période 1, dont quatre font l’objet d’une publication. Procédons à leur brève énumération. Fock envoie tout d’abord le 12 janvier 1928 à Zeitschrift für Physik une note concernant l’application de la théorie de Schrödinger à la question de la quantification d’un oscillateur harmonique dans un champ magnétique. Simple application de la théorie des perturbations à un système dégénéré, le jeune physicien en propose ici une solution exacte [Fock 1928a]. Cette première publication se place dans la même perspective que ses précédant travaux en mécanique quantique2, à savoir un développement de la mécanique ondulatoire de Schrödinger. C’est aussi le cas de l’investigation suivante conduite par Fock, où il est question de la résolution de l'équation d'onde en connexion avec le problème de la diffusion de particules α par un noyau atomique. Cependant, Gordon ayant déjà donné une solution au problème [Gord 1928], et bien qu’estimant que celle-ci soit « sous une forme beaucoup plus compliquée »3, le Russe ne publie pas sur le sujet.

1 « Report on the fellowship of V. Fock for 1927-1928 » - ARAN SPb, 1034-2-6.

2 Hormis ses deux articles de 1926 sur la généralisation relativiste de l’équation de Schrödinger [Fock 1926a ;

1926b], Fock publie aussi en 1927 un article qui synthétise des questions relatives au formalisme mathématique de la théorie de Schrödinger [Fock 1927a]. Il est publié dans un ouvrage intitulé Osnovaniya novoy kvantovoy

mekhaniki (Principes de la nouvelle mécanique quantique) qui se trouve être le premier ouvrage de référence

sur la théorie quantique en URSS. Préparé sous la direction de Ioffé il réunit diverses études préparées pour le séminaire de mécanique quantique de Bursian. Sur le sujet voir Josephson [Jose 1991, pp. 220-221].

3 « Report on the fellowship of V. Fock for 1927-1928 » - ARAN SPb, 1034-2-6. Même si Fock exprime dans

son rapport son intention de publier ses résultats dans le Zhurnal Russkogo fiziko-khimicheskogo obshchestva (Journal de la Société russe de physique-chimie), cette publication n'aura jamais lieu.

52 Le personnage de Paul Adrien Maurice Dirac, autre « père » de la mécanique quantique, doit être associé à la suite du parcours allemand de Fock. Les trois autres articles 1 qu’il publie dénotent une attention toute particulière pour le travail du Britannique2. Le premier mentionné par Fock dans son rapport est davantage un travail mathématique. Il concerne les fonctions δ3, introduites par Dirac en 1927 [Dira 1927a] et fait l’objet d’une publication en URSS au début de l’année 1929 [Fock 1929a]. Fock s’attache alors dans cet article à redéfinir les fondements de ces fonctions dont il juge que jusqu’alors « l’application […] ne respecte pas les exigences minimales de rigueur mathématique » [Fock 1929a, p. 1]4.

Les deux autres articles sont reçus le 1er mai 1928 par le journal Zeitschrift für Physik qui les publient dans leur volume 49 [Fock 1928b ; 1928c], et traitent de ce que Fock appelle l’ « équation statistique de Dirac ». Par ce biais Fock fait référence à la fonction d’onde à plusieurs corps employée initialement par Dirac pour traiter du problème de la statistique

1 En lien avec ces articles, on peut aussi mentionner deux présentations faites à Göttingen et à Kiel. « Report

on the fellowship of V. Fock for 1927-1928 » - ARAN SPb, 1034-2-6.

2 Fock fait notamment référence dans ses travaux à trois publications de Dirac qui sont « On the Theory of

Quantum Mechanics » publié en 1926 [Dira 1926], « The Physical Interpretation of Quantum Dynamics » publié en 1927 [Dira 1927a] tout comme « The Quantum Theory of the Emission and Absorption of Radiation » [Dira 1927b]. Sur ces articles voir les développements de Kragh dans sa biographie scientifique de Dirac [Krag 1990, pp. 33-47 et pp. 118-129].

3 Les fonctions δ sont introduites par Dirac pour les besoins du formalisme quantique et servent à décrire

des éléments ponctuels. Elles ne sont à proprement parler pas des fonctions, mais une distribution. Pour plus de détails sur leur comportement voir « The Heaviside 𝑢(𝑥 − 𝑎) and Dirac δ(𝑥 − 𝑎) functions » dans Oldham, Myland et Spanier [OlMS 2009, pp. 75-81].

4 Fock mentionne de plus dans son rapport à la Fondation Rockefeller que son étudiant Kravtzoff est alors

occupé à Léningrad par le développement de cette même question. « Report on the fellowship of V. Fock for 1927-1928 » - ARAN SPb, 1034-2-6.

53 quantique, et dont le physicien anglais pose les bases en 1926 dans son article « On the Theory of Quantum Mechanics » [Dira 1926]1. Dans le premier des deux articles de Fock ici mentionnés, le physicien russe explicite notamment qu’il est possible de déterminer à partir de l’équation de Schrödinger les fonctions propres de l’ « équation statistique de Dirac » [Fock 1928b]. En 1927, dans « The Quantum Theory of the Emission and Absorption of Radiation » [Dira 1927b], Dirac considère la statistique de Bose-Einstein d’un ensemble de systèmes mécaniques par une nouvelle méthode. Il considère le nombre 𝑁𝑠 de systèmes de niveau d’énergie s comme une variable canonique, et établit sa fonction d’onde dans l’espace de ces variables : ses solutions sont fonctions de 𝑁𝑠 et du temps. Fock généralise alors le problème en ayant recours à un espace de Hilbert plus approprié en mécanique quantique et introduit les équations canoniques de transformation qui connectent les deux espaces [Fock 1928c]. Plus tard, en 1958, dans la quatrième édition de The Principles of Quantum Mechanics, Dirac baptise l’approche du physicien soviétique « la représentation de Fock » [Dira 1958, p. 139]2. Ces deux travaux de Fock se caractérisent, tout comme ceux de Dirac qu’ils complètent, par une utilisation simultanée non seulement du formalisme de la mécanique ondulatoire mais aussi du formalisme de la mécanique matricielle. Ils nous invitent alors à des commentaires sur ce point. Lorsque Fock se rend à Göttingen en 1927, sa formation initiale fait de lui bien plus qu’un physicien théoricien, il est aussi un mathématicien de talent. Il a notamment déjà publié deux articles en mathématiques pures sur la résolution d’équations intégrales [Fock 1922 ; 1924], et un en géométrie appliquée « sur la cartographie

1 Si les travaux de Dirac présentent un aperçu général de la question de la statistique quantique, il faut noter

que le physicien britannique a tout de même des précurseurs notables avec Heisenberg et Fermi. Voir la discussion sur le sujet par Kragh [Krag 1990, pp. 35-36].

2 Dirac introduit en réalité la représentation de Fock dès la troisième édition. En effet, en préface, il

mentionne : « A new presentation of the theory of Systems with similar particles, based on Fock’s treatment of the theory of radiation adapted to the present notation. This treatment is simpler and more powerful than the one given in earlier editions of the book. » [Dira 1947 ,p. iii]. Ce n’est alors que dans la quatrième édition que la dénomination « Fock’s representation » est usitée. Comme le mentionnent Yu. V. Novozhilov et V. Yu. Novozhilov [Novo 1999a, p. 1152], bien qu’aujourd’hui largement répandues, les équations canoniques de transformation développées par Fock sont rarement enseignées et utilisées avec référence à leur auteur. Comme semble l’indiquer leur tardive reconnaissance par Dirac, il est probable que ce travail n’ait pas été apprécié à sa juste valeur par les contemporains de Fock.

54 conformationnelle d’un quadrilatère avec des angles nuls sur le demi-plan » [Fock 1927b]1. Le soviétique est particulièrement familier de l’analyse, domaine qui le passionne et dans lequel il excelle2. En Allemagne on s’exclame à son sujet : « Fock kann einen Stiefel ausrechnen! »3. Difficile de trouver un équivalent français – littéralement : « Fock peut calculer une chaussure ! » – mais notons que cette expression vise à souligner toute l’aisance mathématique du physicien de Léningrad. Il n’est ainsi pas surprenant qu’il se soit rapidement et avec succès saisi des travaux de Schrödinger qui reposent sur des équations différentielles. En 1927 toujours, sa première publication russe en mécanique quantique est par ailleurs une synthèse des questions relatives au formalisme mathématique de la théorie de Schrödinger [Fock 1927a]4. En revanche, il apparaît nettement moins évident qu’à son arrivée à Göttingen Fock ait une véritable maîtrise du formalisme de la mécanique matricielle. Interrogé en 1967 par Thomas Kuhn sur la question de la réception respective, d’une part, des travaux en mécanique matricielle de Heisenberg, Born et Jordan, et d’autre part, de la mécanique ondulatoire de Schrödinger, Fock valorise avant tout ce dernier point : « You know the Schrödinger paper made the Heisenberg paper easily understandable. The matrix itself was felt as something perhaps artificial » [Kuhn 1967]. Ainsi, même si aux premières heures du développement de la mécanique matricielle l’avisé Krutkov, alors à Göttingen, attire l’attention de Fock pour le sujet5, et que ce dernier « a accepté entièrement […] depuis

1 Pour plus d’informations sur les principaux travaux de Fock dans le domaine des mathématiques voir le

paragraphe qui leur est consacré par Smirnova et Vreden-Kovetskoj [SmVr 1956, pp. 33-34].

2 Lorsque Fock arrive à Göttingen en août 1928 débute la trêve universitaire estivale. Il se retrouve quelque

peu isolé et passe son temps à la bibliothèque où il étudie la littérature scientifique à sa disposition, notamment en mécanique quantique et hydrodynamique (« Report on the fellowship of V. Fock for 1927-1928 » - ARAN SPb, 1034-2-6). Mais les mathématiques sont aussi à son programme. Dans une lettre en date du 22 août 1927 à destination de A. V. Lermontov il explique : « Trois heures par jours je m’installe dans la salle de lecture dédiée aux mathématiques […] J’y ai lu ces derniers temps des ouvrages sur la géométrie différentielle. Un livre très intéressant, bien écrit et relativement facile à lire ». Lettre citée par Vladimirova [Vlad 2012, p. 78].

3 Il semble que la paternité de cette expression doive être attribuée à Ehrenfest [VeKL 1975, p. 840]. Voir

aussi Vladimirova qui l’évoque de façon légèrement modifiée dans le contexte plus vaste de Göttingen [Vlad 2012, p. 88]. On peut aussi consulter Kayas qui lui évoque à Göttingen le surnom de « mitrailleuse mathématique » [Kaya s. d.].

4 Voir la note 2 page 51.

55 l’avènement des articles de Schrödinger » l’équivalence des points de vue entre les deux mécaniques, il n’essaie pas avant de se rendre en Allemagne de faire usage de la mécanique matricielle, et comme la grande majorité de ses collègues il privilégie le formalisme de la mécanique ondulatoire [Kuhn 1967].

Cependant, à Göttingen, la tendance est inverse et on fait largement usage de méthodes matricielles. Walter Heitler qui rejoint à son tour la Basse-Saxe peu de temps après Fock – en septembre 1927 –, discute dans une lettre à Fritz London du cours de mécanique quantique de Max Born et souligne que tout y est présenté dans le formalisme matriciel à partir duquel on dérive « Dieu sait comment, l’équation de Schrödinger »1. Ainsi, il nous semble que sur le point précis d’une complète acquisition du formalisme de la mécanique matricielle, c’est le contexte de Göttingen, grâce aux échanges directs avec certains de ses fondateurs et en particulier l’enseignement de Born, qui joue dans la carrière de Fock un rôle primordial2. Et très rapidement, ce dernier est en mesure d’appliquer avec succès la mécanique matricielle, que ce soit avec son mentor allemand dans le cas du théorème adiabatique, ou dans ses investigations concernant les travaux de Dirac.

Notons, avec un peu de recul sur la carrière de Fock, qu’il partage en réalité avec Born une approche similaire de la mécanique quantique. L’Allemand est avant tout un mathématicien de formation, étudiant à Göttingen de personnages aussi renommés que Félix Klein, David Hilbert et Hermann Minkowski3. Sa carrière en physique en est indéniablement marquée et se manifeste par une attention toute particulière pour les structures mathématiques formelles. Une caractéristique qu’il partage avec Fock, et qui font d’eux des physiciens- mathématiciens d’exception. Pour l’anecdote, mentionnons que George Gamow, lui aussi titulaire d’une bourse de la fondation Rockefeller, côtoie pendant un temps son camarade de Léningrad à Göttingen en 19284. Gamow y est notamment occupé par des travaux sur la radioactivité α et dans un article qu’il publie l’année suivante avec Fritz Houtermans, on trouve

1 Lettre de Heitler à London, non datée, mentionnée par Gavroglu et Simões [GaSi 2012, p. 22].

2 A son arrivée à Göttingen, Born et Ehrenfest (par correspondance) orientent Fock vers la littérature

adéquate en mécanique quantique. Et alors que le semestre d’hiver débute le 1er novembre, Fock assiste aux

enseignements de Born et voit toute son attention « absorbée par la théorie des quanta ». « Report on the fellowship of V. Fock for 1927-1928 » - ARAN SPb, 1034-2-6.

3 Voir Greespan [Gree 2005, pp. 22-49].

56 en note de bas de page des remerciements adressés à Fock pour la résolution d’une équation différentielle relativement complexe [GaHo 1929, p. 501]. Compte-tenu des trajectoires suivies par les acteurs1, il fait sens que ce calcul ait été effectué avant que Fock ne quitte la cité allemande. Il est alors intéressant de noter que pour résoudre ce problème Gamow et Houtermans ne se tourne ni vers Born – le maître qu’il serait peut-être malvenu de déranger –, ni vers le mathématicien russe Nikolaï Kochin – aussi présent à Göttingen et que le premier membre du duo a déjà consulté pour un problème bien plus trivial2 –, mais bien vers Fock dont ils connaissent bien les grands talents de mathématicien.

Le 24 juin 1928, ce dernier formule une requête pour voir sa bourse prolongée3. Celle-ci ne sera pas acceptée, mais le physicien de Léningrad peut malgré tout se satisfaire d’avoir totalement profité de l’opportunité qui lui a été donnée « d’étudier de façon approfondie la théorie moderne des quanta »4.