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1. Parfaire sa formation à l’étranger

1.3. Göttingen et principe adiabatique

Nous avons la chance de connaître le séjour de Fock au travers d’un rapport préparé en janvier 1929 à destination des responsables de la Fondation Rockefeller2. L’un des premiers enseignements à en tirer est l’environnement favorable dans lequel évolue le physicien de Léningrad, notamment en comparaison de l’isolement relatif que doivent subir ses collègues en URSS à cette époque. Fock souligne très nettement ce point : « The life in Göttingen allowed me to devote my whole time exclusively to scientific work – which would be impossible in Russia, where I have much other work besides purely scientific ». Il ajoute : « At different occasions (at Physical congresses etc.) I made acquaintance with physicists working on related subjects (theory of quanta) and have had some interesting discussions with them »3.

Fock fait ainsi la rencontre de plusieurs physiciens de premier plan : Ehrenfest qui visite Göttingen en mars 1928, Langevin et de Broglie lors d’un séjour d’un mois à Paris en mai, ou encore Schrödinger et Dirac durant un Congrès en juin à Leipzig. Mais Born est la figure majeure que Fock va réellement côtoyer, une personnalité dont il avait fait la demande explicite auprès de la Fondation Rockefeller de travailler4. Ce choix n’est en réalité pas anodin, et marque une tendance forte dans le monde de la physique quantique. Born est une véritable figure d’autorité pour la discipline, à laquelle il a largement contribué par ses travaux en mécanique matricielle5. Cette position est renforcée par le développement dans le courant de

1 Notre présentation n’entre pas dans les détails du quotidien de Fock à Göttingen. Le lecteur intéressé peut

alors se tourner vers le très complet compte-rendu fait par Vladimirova dans sa biographie de Fock [Vlad 2012, pp. 75-91]

2 « Report on the fellowship of V. Fock for 1927-1928 » - ARAN SPb, 1034-2-6. 3 Ibid.

4 Voir la lettre de Trowbridge à Ehrenfest, mentionnée sine dato par Frenkel et Josephson [FrJo 1990, p.

947]. Trowbridge mentionne aussi dans cette lettre que Fock est désireux de travailler dans « le même domaine que le Professeur Born ». On peut mentionner pour l’anecdote que c’est Krutkov qui conseille à Fock de répondre « mécanique quantique et micromécanique de Schrödinger » à la question de ses intérêts scientifiques dans le formulaire de requête de la Fondation Rockefeller. Voir Vladimirova sur l’aide apportée par Krutkov à Fock [Vlad 2012, p. 74].

5 Pour plus d’informations sur la carrière scientifique de Max Born on peut consulter ce qui doit être son

49 l’année 1926 de son interprétation

probabiliste de l’équation d’onde de Schrödinger1, qui face à l’interprétation continue quasi-classique faite par Schrödinger, est largement acceptée par la plupart des physiciens quantiques 2 . Le phénomène contribue largement à ce que la jeune génération de physiciens théoriciens considère l’Institut de Physique théorique qu’il dirige à Göttingen comme un lieu idéal où apprendre la mécanique quantique, au même titre que Copenhague (Bohr) et Munich (Sommerfeld). De grands noms en devenir se rendent alors à Göttingen, comme J. Robert Oppenheimer et Paul Dirac

dès 1926, mais aussi Walter Heitler, Léon Rosenfeld, Edward Teller ou encore Viktor Weisskopf. Outre Vladimir Fock, d’autres Russes, tels Igor Tamm et Yuri Rumer3.

Dès 1926, la question de l’invariance adiabatique est utilisée par Born afin de donner du poids à son interprétation de la mécanique quantique4. En effet, Born estime : « A theorem analogous to Ehrenfest’s adiabatic principle can be formulated and proved on the basis of the statistical interpretation of quantum mechanics, developed recently in connection with

1 Born développe ses idées sur l’interprétation probabiliste de la mécanique quantique dans le courant de

l’année 1926. Elles sont notamment formulées en réaction au rejet par Schrödinger de la formulation matricielle de la mécanique quantique, à laquelle l’Autrichien oppose une conception continue de la théorie. Sur le développement des idées de Born voir Mehra et Rechenberg [MeRe 2000a, pp. 36-55] mais aussi Jammer [Jamm 1974, pp. 38-44].

2 Voir Mehra et Rechenberg [MeRe 2000a, p. 53]. C’est moins le cas pour les physiciens de la génération la

plus âgée. En effet, parmi eux, des personnages aussi illustres que Albert Einstein, Max Planck ou Max von Laue se montrent sceptiques, et c’est notamment l’abandon de la causalité dans son sens classique qu’ils remettent en cause.

3 Ibid [pp. 52-55], sur l’intérêt suscité par l’institut dirigé par Born.

4 Cette motivation est mise en avant par Born en personne lors de son discours de réception du prix Nobel

en 1954 [Born 1954].

50 collision phenomena » [Born 1927, p. 167]1. C’est que le physicien allemand considère que la meilleure méthode pour confirmer son interprétation est l’étude de l’action d’une force externe avec une dépendance en temps donnée sur un système atomique [Born 1978 ,p. 233], et qu’un tel processus possède comme caractéristique l’hypothèse adiabatique. Initialement formulée par Paul Ehrenfest au début des années 19102, elle statue dans la « vieille théorie quantique de Bohr » que des variations lentes et continues – adiabatiques – d’un système atomique le conservent dans un état stationnaire, et qu’elles répondent aux lois de la mécanique classique3.

Cependant l’approche initiale de Born en 1926 ne parvient pas à prendre en compte des systèmes avec des états d’énergie dégénérés. Il est alors probable que la venue de Fock à Göttingen le motive à reprendre le problème. Au-delà de la qualité des deux premières contributions de Fock à la mécanique quantique [Fock 1926a ; 1926b], il n’a pas pu échapper à Born lors de son examen des articles du jeune physicien russe en amont de l’attribution de sa bourse postdoctorale, que celui-ci avait déjà travaillé sur l’hypothèse adiabatique dans le cadre de la « veille théorie quantique » : tout d’abord avec Krutkov dans le cas du pendule de Rayleigh [KuFo 1923], mais aussi pour un système dégénéré conditionnellement périodique [Fock 1923]. Ce point est de plus renforcé par la présence en 1926 de Krutkov à Göttingen4 qui évoque très certainement le sujet avec Born et vante les mérites de Fock.

Born et Fock parviennent en 1928 à généraliser les travaux du premier sur le principe adiabatique en mécanique quantique [BoFo 1928]. Leur article contribue à redéfinir l’hypothèse de Ehrenfest comme un théorème, compris en mécanique quantique comme la possibilité de maintenir un système physique dans son état propre instantané si une

1 Reçu par les Zeitschrift für Physik le 16 octobre 1926, le premier article de Born sur le principe adiabatique

est publié dans le volume de mars 1927. La traduction anglaise est ici celle de Mehra et Rechenberg [MeRe 2000a, p. 51].

2 Sur la genèse du principe adiabatique par Paul Ehrenfest entre 1911 et 1914 voir Navarro et Pérez [NaPe

2006].

3 Sur la reformulation des idées de Ehrenfest par Bohr dans le cadre de sa « veille théorie quantique » voir

Pérez [Pere 2009]. C’est sur cette formulation de l’hypothèse adiabatique que s’appuie Born dans ses recherches [Born 1978 ,p. 233].

4 Voir Frenkel et Josephson sur le séjour allemand de Krutkov en 1925-1926 [FrJo 1990 ,pp. 944-945] mais

aussi Frenkel [Fren 1971, pp. 819-820]. Il faut de plus noter que Krutkov, proche de Ehrenfest, était impliqué dès 1918 dans des travaux sur les invariants adiabatiques. Sur ce sujet voir Pérez [Pere 2009, pp. 100-102].

51 perturbation donnée agit sur lui suffisamment lentement, et s’il y a un intervalle significatif entre la valeur propre associée à l’état et le reste du spectre de l’hamiltonien. Initialement confirmé pour un système possédant un spectre ponctuel, c.-à-d. des états d’énergie discrets, ils postulent de plus le théorème adiabatique pour des systèmes avec un spectre continu.