• Aucun résultat trouvé

3. Etude de cas : l’élaboration de la méthode de Hartree-Fock

3.2. Ansatz et principe d’exclusion de Pauli

D’un point de vue moderne, les physiciens pourraient cependant être surpris de voir le problème quantique à plusieurs corps approché avec si peu de considérations pour la statistique quantique et par conséquent la symétrie de la fonction d’onde totale. Afin de clarifier notre point, il est nécessaire d’expliciter comment ce problème pourrait être compris de nos jours. Pour un système de particules en interaction, la résolution de l’équation de Schrödinger s’avère trop complexe et par conséquent une approximation est nécessaire. Le modèle de Thomas-Fermi, dans lequel le système est considéré en termes de densité électronique2, est une approche possible. Le recours à des fonctions d’onde individuelles, comme dans la méthode de Hartree-Fock, est une autre possibilité. Dans ce cas-ci, la fonction d’onde du système est factorisée en un produit de fonctions d’onde individuelles correspondant chacune à un électron du système. Ce processus peut prendre différentes formes mathématiques, les ansätze, qui représentent différents points de départ pour la résolution du problème quantique à plusieurs corps. Les physiciens modernes sont conscients

1 Voir Slater [Slat 1975, p. 52].

2 Zangwill [Zang 2013] fait un parallèle historique entre les travaux de Hartree et de Thomas. Il montre

notamment comment les principales caractéristiques de leurs approches respectives ont été combinées et généralisées au milieu des années 1960 par une approche de la structure électronique des systèmes à plusieurs électrons appelée théorie de la fonctionnelle de la densité, qui est de nos jours l’une des méthodes les plus populaires parmi les physiciens et chimistes.

80 de la nécessité de choisir le bon ansatz pour satisfaire les différentes exigences de la mécanique quantique. Ce choix doit être considéré comme le premier problème dans notre tentative d’approximer l’équation de Schrödinger à plusieurs corps. Mais il existe aussi un second problème. En raison de sa nature, la forme factorisée de la fonction d’onde totale ne représente pas correctement les interactions entre particules. De ce fait, l’expression des équations d’ondes individuelles doit être modifiée afin de « compenser » cette perte.

Dans la méthode de Hartree-Fock, ces deux « problèmes » sont considérés de façons différentes par les acteurs que sont Hartree et Fock. Hartree se concentre sur la nature des fonctions d’ondes individuelles (second problème), alors que la contribution de Fock concerne la question de l’ansatz (premier problème). Il est alors essentiel de rappeler que Hartree, dans sa démarche, n’avait nullement besoin de considérer l’équation de Schrödinger exacte du problème à plusieurs corps. Si nous considérons le second problème, le potentiel généralisé introduit par Hartree est capable de « compenser » l’information perdue par l’usage de fonctions individuelles. Mais Hartree n’en a pas réellement conscience, et il procède intuitivement1. Simplement intéressé par les propriétés des électrons, il se contente de postuler dans le cadre de la nouvelle mécanique quantique l’équation de Schrödinger suivante pour le mouvement d’un électron ponctuel avec une énergie totale E, dans un champ statique dont l’énergie potentielle est V :

∇2ψ + 2(E – V)ψ = 0

Etant donné que Hartree ne se préoccupe jamais de déterminer quel ansatz doit être utilisé dans le problème quantique à plusieurs corps, son travail, bien qu’efficace, fait l’objet de critiques, beaucoup de physiciens considérant qu’il possède une bien trop faible base théorique. La méthode du champ auto-cohérent est considérée au mieux semi-empirique, si ce n’est arbitraire2. Par conséquent, peu de temps après les premières publications de Hartree, le Britannique John Arthur Gaunt (1904-1944) et l’Américain John Clarke Slater (1900-1976) publient des articles [Gaun 1928 ; Slat 1928] qui posent les fondations théoriques de la méthode et étudient sa précision. Le premier fait usage de la théorie des perturbations au premier ordre pour la fonction d’onde et au second ordre pour les énergies, et montre que

1 Voir Slater [Slat 1963, p. 485]

2 Pour plus de détails sur les premières critiques du travail de Hartree on peut consulter Park [Park 2009,

81 la méthode de Hartree est parmi toutes les méthodes d’approximation la plus efficace dans la réduction des erreurs. Le second souhaite formuler de façon plus rigoureuse mathématiquement le processus mis en jeu par la méthode, et comme déjà saisi par Gaunt qui cependant ne le formalise pas, il met clairement en évidence que l’ansatz utilisé implicitement par Hartree est un simple produit de N fonctions d’ondes individuelles :

𝛹 = ∏ 𝜓(𝑞⃗⃗⃗ )𝑖 𝑁

𝑖=1

Cependant, tout physicien capable à la fin des années vingt d’élargir ses vues sur les développements de la mécanique quantique est alors en mesure de remarquer que cet ansatz est formellement incorrect pour un usage dans le problème à plusieurs corps. Dès 1926, Heisenberg [Heis 1926] et Dirac [Dira 1926] posent graduellement les fondations de la mécanique ondulatoire de ce sujet1. Pour simplifier leurs propos, on peut considérer un système quantique simple de deux électrons. Ce système peut être associé à deux fonctions d’ondes, Ψ(x1, x2,) et Ψ(x2, x1), qui diffèrent par un simple échange des électrons. Chaque fonction d’onde est valide pour représenter le système, étant donné que les deux électrons sont identiques. Les effets de l’échange sont alors étudiés. Il est montré que pour être solutions de l’équation de Schrödinger, toutes les fonctions d’ondes doivent être soit symétriques, Ψ(x1, x2,) = Ψ(x2, x1), soit antisymétriques, Ψ(x1, x2,) = - Ψ(x2, x1). De plus, étant donnés les termes de l’énergie, il est montré que si les électrons sont dans le même état quantique, les fonctions d’onde antisymétriques se dissipent. Ce résultat est immédiatement lié au principe d’exclusion de Pauli, postulé en 1925, qui statue que deux électrons ne peuvent occuper simultanément le même état quantique. Seules les fonctions d’onde antisymétriques respectent ce principe fondamental, et à la fin de l’année 1926 il est alors admis qu’elles doivent être utilisées dans le problème quantique à plusieurs corps2. L’ansatz révélé par Slater dans le cas de Hartree n’est manifestement pas antisymétrique, et par conséquent la méthode du champ auto-cohérent ne respecte pas le principe de Pauli3.

1 Sur Heisenberg, Dirac et la statistique quantique du problème à plusieurs corps voir Jeremiah James et

Christian Joas [JaJo 2015, pp. 670-679].

2 Voir la lettre de Pauli à Wentzel, datée du 5 décembre 1926 [Paul 1979, pp. 360-364]

3 Gaunt réalise en 1928 qu’il y a un problème de symétrie dans l’approche de Hartree [Gaun 1928]. Mais en

ne posant pas directement l’ansatz du système étudié il commet l’erreur de penser qu’une simple inclusion des coordonnées de spin directement dans les équations de Hartree peut résoudre le problème.

82 Cependant, la construction d’une fonction d’onde généralisée à plusieurs corps respectant toutes les exigences physiques et mathématiques de la mécanique quantique n’est pas une tâche aisée. Avec la récente inclusion du spin, et son rôle dans le principe de Pauli, il est nécessaire de manipuler quatre nombres quantiques différents pour définir l’état quantique d’un électron. De nombreux physiciens, dont Wigner [Wign 1927], Hund [Hund 1927b] et Heitler [Heit 1927], décident de chercher une solution à ce problème à l’aide de la théorie des groupes. De leurs efforts il est établi que le produit de deux déterminants construits par des fonctions d’ondes individuelles ψi(rk), ou une somme de tels produits, possède la bonne symétrie. Ainsi nous avons :

Ψ = Ψ1Ψ2 avec Ψ1 = | | 𝜓1(𝑟1) 𝜓2(𝑟1) . . . 𝜓𝑞(𝑟1) 𝜓1(𝑟2) 𝜓2(𝑟2) . . . 𝜓𝑞(𝑟2) . . . . . . . . . 𝜓1(𝑟𝑞) 𝜓2(𝑟𝑞) . . . 𝜓𝑞(𝑟𝑞) | | et Ψ2 | | 𝜓1(𝑟q+1) 𝜓2(𝑟q+1) . . . 𝜓𝑞(𝑟q+1) 𝜓1(𝑟q+2) 𝜓2(𝑟q+2) . . . 𝜓𝑞(𝑟q+2) . . . . . . . . . 𝜓1(𝑟q+p) 𝜓2(𝑟q+p) . . . 𝜓𝑞(𝑟q+p) | |

Il convient de noter que chaque fonction individuelle ne dépend que des coordonnées de position, r𝑘(𝑥𝑘, 𝑦𝑘, 𝑧𝑘). Cependant, les déterminants ont été construits de sorte à prendre en compte l’équation aux valeurs propres pour le moment angulaire de spin. Bien que l’équation de Schrödinger ne dépende pas des variables de spin, ses propriétés dépendent de la valeur du spin total, étant donné que ce dernier affecte la symétrie de la fonction d’onde.