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1. Parfaire sa formation à l’étranger

1.2. Les bourses de la Fondation Rockefeller : une inestimable opportunité

Le rôle joué par la Fondation Rockefeller dans le développement de la science soviétique, et en particulier dans la reprise de ses contacts avec l’étranger suite à la Révolution, a déjà été évaluée par divers auteurs [Rose 1989 ; Koje 1993], notamment pour le cas particulier de la physique théorique [FrJo 1990 ; Koje 2004 ; Vlad 2012, pp. 72-75]6. Fondée en 1913 pour remplir des missions sociales et répondant à des problèmes de santé publique, cette Fondation cherche aussi à promouvoir l’avancement des sciences, en favorisant par exemple la mobilité des jeunes chercheurs7. Au sein d’un programme d’aide à la science européenne

1 La motivation première du travail de Klein est d’ailleurs d’élaborer une théorie stable à cinq dimensions,

et l’équation d’onde relativiste n’a pour lui qu’une importance mineure. Sur les travaux de Klein, mais aussi sur les différentes tentatives d’aborder une généralisation de la mécanique quantique en cinq dimensions voir Kragh [Krag 1984].

2 Notons que ni Mandel, ni Klein, n’avaient connaissance des travaux de Kaluza. Ibid [p. 1027]. 3 Sur ce point voir Jackson et Okun [JaOk 2001] et Okun [Okun 2010].

4 Voir [Novo 1999a, p. 1151]. 5 Ibid mais aussi [Fock 2004, p. viii].

6 Sur la question plus vaste des relations entretenus par les physiciens soviétiques avec leurs homologues

étrangers dans les années 1920 et 1930 on peut consulter Josephson [Jose 1988 ; 1991, pp. 105-119].

7 En 1928 cela devient même son but principal. Pour plus d’informations sur le sujet on peut notamment

46 sont alors distribuées à de jeunes scientifiques des bourses postdoctorales pour visiter des institutions internationales. Des citoyens soviétiques en bénéficient dès 1924.

Fock fait partie des récipiendaires d’une bourse de ce programme, et en août 1927 il se rend auprès de Max Born à Göttingen pour un séjour d’un an. Viktor Yakovlevich Frenkel1 et Paul Josephson [FrJo 1990, pp. 945-947], mais aussi Alexei Kojevnikov [Koje 2004, pp. 83-84], nous permettent sur la base des archives de la Fondation Rockefeller de détailler le processus de sélection qui conduit Fock à Göttingen. Les différents candidats à une bourse ne postulent pas directement, la Fondation préférant se reposer sur l’opinion de divers scientifiques avec lesquels elle a établi des liens en Europe de l’ouest et en Amérique. Paul Ehrenfest, alors à Leyde, est celui qui joue l’intermédiaire pour la plupart des scientifiques soviétiques. Fort de son expérience russe entre 1907 et 1912 et de ses connexions avec Ioffé et Rozhdestvenskiy, il manifeste une réelle volonté d’établir des liens scientifiques avec l’URSS2. Lorsque la Fondation Rockefeller lui en donne l’opportunité il nomme ainsi de jeunes scientifiques soviétiques pour des bourses postdoctorales : Yuri Krutkov et Yakov Frenkel en 1925 mais aussi Igor Tamm et Vladimir Fock en 1926.

Néanmoins, de ces deux derniers, seul Fock obtient une bourse3. Malgré le soutien indéfectible d’Ehrenfest aux deux candidatures4, il semble que la décision de la Fondation soit tributaire d’une demande faite à Max Born de classer les deux candidats. Sur la base de leurs publications, le choix de Born se tourne en effet vers Fock, comme confirmé par August Towbridge – directeur de la division scientifique de la Fondation Rockefeller en Europe – dans une lettre à Ehrenfest : « He [Fock] has published nine articles in various journals, and Professor Born, who has examined these publications, confirms that he would be very happy to see him in his laboratory and that, in his opinion, Fok’s [sic] papers demonstrate his

1 Cet historien des sciences qui a largement contribué à l’histoire de la physique soviétique n’est autre que

le fils de Yakov Il’ich Frenkel.

2 Sur les liens entretenus par Ehrenfest avec la Russie voir la correspondance entre Ehrenfest et Ioffé [EhIo

1973].

3 Tamm aura tout de même la possibilité de séjourner en Europe à l’aide d’une bourse de la Fondation

Lorentz, arrangée ici encore par Ehrenfest [Koje 2004, p. 84].

4 Voir la lettre de Ehrenfest à August Trowbridge, directeur de la division scientifique de la Fondation

47 outstanding abilities »1. Ainsi, nul ne doute que les deux récentes publications de Fock en mécanique quantique et sa dérivation de l’équation de Klein-Gordon jouent ici un rôle essentiel, non seulement dans sa nomination par Ehrenfest, mais plus encore dans le choix fait par Born.

Cette bourse obtenue par Fock doit alors être considérée comme un privilège. Kojevnikov [Koje 1993 ; 2004] met en avant le caractère particulier de la coopération entre la Fondation Rockefeller et l’Union soviétique, la première n’ayant que très peu d’affinité pour le régime communiste et la seconde refusant en principe toute philanthropie. Bien que compte-tenu de la situation difficile de l’URSS après la guerre civile des contacts soient établis et des bourses accordées à des soviétiques dès 1924, la fondation Rockefeller décline la plupart des requêtes venues d’URSS. De plus, l’Union soviétique devient de moins en moins prompte à envoyer ses scientifiques à l’étranger avec la victoire des Nazis en Allemagne, et de fait, la coopération sur le programme de bourses postdoctorales se termine en 1932. En dernière analyse ce ne sont qu’une cinquantaine de financements qui sont attribués2, et l’investissement de la Fondation Rockefeller reste marginal en URSS en comparaison de son action dans d’autres États, ou plus simplement du budget accordé à la science par le gouvernement soviétique.

Malgré tout, comme mentionné en introduction de cette section, l’impact de la Fondation est inestimable pour la physique théorique. En effet, des facteurs exceptionnels se combinent, notamment d’un point de vue historique. Avec l’explosion de la mécanique quantique en Europe de l’ouest, l’opportunité donnée aux jeunes théoriciens soviétiques bénéficiant d’une bourse de la Fondation Rockefeller à la fin des années 1920 est en réalité celle d’être inclus dans une dynamique internationale d’une ampleur sans commune pareille. Grâce à leurs succès, ils sont alors les artisans de la reconnaissance à une échelle internationale de la qualité de la pratique de la physique fondamentale en URSS3. Fock en est un exemple illustre.

1 Lettre de Trowbridge à Ehrenfest, mentionnée sine dato par Frenkel et Josephson [FrJo 1990, p. 946]. 2 Ce chiffre, avancé par Kojevnikov [Koje 1993 ; 2004] concerne majoritairement quatre disciplines :

mathématique, physique, biologie et médecine.

3 Parmi les récipiendaires d’une bourse Rockefeller se trouvent en effet de grands noms de la physique

théorique soviétique parmi lesquels Krutkov, Frenkel, Landau, Gamow et bien entendu Fock. Tamm, qui reçoit une bourse de la Fondation Lorentz suit pour sa part une trajectoire tout à fait similaire.

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