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3. Etude de cas : l’élaboration de la méthode de Hartree-Fock

3.1. Hartree : entre « vieille théorie de Bohr » et nouvelle mécanique quantique

Au cours de la Première Guerre mondiale, alors tout jeune étudiant, Douglas Rayner Hartree est recruté pour se joindre à Cambridge à un groupe de scientifiques confirmés 1 en charge d’une section expérimentale dévolue à la défense anti- aérienne et créée par le Ministère britannique de l’armement 2 . C’est alors qu’il développe un véritable intérêt et une grande habileté concernant la résolution numérique de problèmes scientifiques. Plus tard, influencé par une série de cours sur la théorie quantique donnée par Bohr à Cambridge, Hartree va dédier ses recherches de doctorat au laboratoire Cavendish à la « vieille théorie quantique ». Sa technicité mathématique lui sert alors pour l’application de méthodes

numériques à l’étude de structures atomiques. En 1926, avec la publication des articles fondamentaux de Schrödinger sur la mécanique ondulatoire [Schr 1926a ; 1926b ; 1926c ; 1926d], Hartree se saisit directement des nouveaux défis de la physique moderne et décide d’appliquer la nouvelle mécanique quantique à ses travaux précédents.

Ainsi, les articles inauguraux de la méthode de Hartree-Fock, au nombre de quatre, sont publiés dès 1928 dans les Mathematical Proceedings of the Cambridge Philosophical Society [Hart 1928a, 1928b, 1928c, 1929]. Hartree pose alors les fondations d’une nouvelle méthode d’approximation pour la résolution de l’équation de Schrödinger d’un système quantique à plusieurs corps. Les travaux du Britannique conservent certaines caractéristiques de la « vieille théorie de Bohr », et en particulier l’hypothèse que chaque orbitale atomique – un concept

1 On y trouve notamment le physiologiste Archibald Vivian Hill, prix Nobel de physiologie ou médecine en

1922, Ralph Howard Fowler qui deviendra plus tard directeur de thèse de Hartree, mais aussi le mathématicien Arthur Milne ou encore William Hartree, le père de Douglas, alors ingénieur. Pour plus d’informations sur ce groupe de recherche voir Van der Kloot [VdKl 2011].

2 Pour suivre la carrière scientifique de Hartree, voir la très complète biographie écrite par Charlotte Froese

Fischer : Douglas Rayner Hartree. His Life in Science and Computing [Froe 2003].

Figure 6. Douglas Rayner Hartree (1897-1958) [Niels Bohr Archive]

78 remplacé par celui d’état quantique dans la nouvelle mécanique – peut être décrit comme une fonction d’onde individuelle ψ qui obéit à une équation de Schrödinger. À cette hypothèse est associée une autre idée de la « vieille théorie » : les électrons sont considérés « comme des charges ponctuelles en rotation en orbite autour du noyau » [Hart 1928a, p. 89]. Par conséquent, les effets des électrons les uns sur les autres sont représentés en supposant chacun d’entre eux en mouvement dans un champ de force central non-coulombien. Pour synthétiser, Hartree considère simplement pour chaque électron une fonction d’onde individuelle du type de Schrödinger dont l’énergie potentielle est due non seulement au champ du noyau mais aussi au champ généré par les électrons de cœur.

Pour déterminer l’énergie potentielle de chaque électron, Hartree s’inspire du travail de l’Américain Robert Bruce Lindsay (1900-1985) qui au cours d’un séjour avec Bohr à Copenhague durant l’année 1922-1923 introduit le concept d’auto-cohérence pour déterminer le champ de force d’un atome1. Les électrons de cœur étant considérés comme un nuage en rotation sur une orbite autour du noyau, bien avant la mécanique quantique, les physiciens avaient modélisé pour eux une distribution de charge. Cette dernière est alors connectée à la distribution de charge des autres électrons, à travers l’énergie potentielle2. Ainsi, d’un champ de force initial considéré comme approximativement correct, il est possible de calculer la distribution de charge pour chaque électron, et par conséquent, un nouveau champ de force. Après itération, l’auto-cohérence est atteinte lorsque le champ final obtenu est identique au champ initial. Dans sa transition vers la mécanique quantique, Hartree s’appuie sur la suggestion faite par Schrödinger et développée par Klein, que |ψ|² représente la densité volumique de charge dans l’état décrit par ce même ψ. La procédure développée par Hartree se base sur le schème suivant :

Champ initial → Champ initial corrigé pour chaque électron de cœur3 → Solutions de

l’équation d’onde pour les électrons de cœur → Distribution de charge → Champ final Hartree insiste sur le fait que le champ auto-cohérent ainsi obtenu est caractéristique de l’atome en question, qu’il n’implique aucune fonction arbitraire ou constante. Il affirme : « the

1 Ibid [Froe 2003, pp. 31-32]. Hartree dans son second article de 1928 [Hart 1928b, p. 111] fait directement

référence à un article de Lindsay publié en 1924 [Lind 1924].

2 Pour plus de détails voir Slater [Slat 1975, pp. 52-53].

79 distribution of charge in the self-consistent field is probably the best approximation to the actual distribution of charge in the atom » [Hart 1928a, p. 114]. Les premiers résultats obtenus pour l’atome d’hélium et les ions Rb+, Na+ et Cl-, appuient cette considération. En effet, différentes valeurs démontrent toute l’efficacité de la méthode, qu’elles soient issues de la comparaison entre les distributions de charge obtenues par différentes méthodes, mais aussi entre le potentiel d’ionisation calculé et les spectres de rayons X observés, ou encore entre le « défaut quantique »1 et les termes optiques observés. Par conséquent, naturellement baptisée « méthode du champ auto-cohérent », elle s’impose rapidement comme l’une des meilleures approximations de l’équation de Schrödinger dans le problème à plusieurs corps. L’application de raisonnements similaires en physique moléculaire par Hund [Hund 1927a], Mulliken [Mull 1928a ; 1928b] et Lennard-Jones [Lenn 1929], ou en cristallographie par Bloch [Bloc 1928] accentue de plus les promesses du travail de Hartree.