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1. Problématique de recherche : responsabilité sociale des

1.2 Questionnement général : la RSE

1.2.1 L’émergence et l’essor de la RSE

1.2.1.1 L’émergence de la RSE : une vision économique

Considéré comme le père du concept de responsabilité sociale des entreprises, c’est-à-dire comme l’un des premiers à reconnaître l’impact social lié aux décisions prises et aux activités entreprises par les organisations, Howard R. Bowen envisage la RSE dans une

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nécessité, pour la survie des organisations évoluant au sein d'une économie guidée par les principes de la libre entreprise, que ces dernières répondent de leurs actes dans leur communauté, car un tel système économique n’est légitime que s’il sert les intérêts de l’ensemble de la société : « If those who exercice freedom are unwilling or unable – even with the best of rationalizations – to relate their private decisions and actions to the attainment of valued social objectives, [the enterprises’s freedom] is in jeopardy » (Bowen, 1953 : 6). À cet effet, Bowen remarque, dès le début de la seconde moitié du 20e siècle, que

les entreprises évoluent désormais dans un environnement à l’intérieur duquel elles sont jugées en fonction de leur contribution au bien-être collectif : « We are entering an era when private business will be judged solely in terms of its demonstrable contribution to the general welfare » (1953 : 52). De ce fait, Bowen associe très tôt à l’adoption volontaire par les organisations de pratiques relatives à la responsabilité sociale, la notion de légitimité; une notion qui, encore aujourd’hui, est largement reprise dans la littérature afin d’expliquer l’essor rapide que connaît la responsabilité sociale en tant que pratique de relations publiques et outil de gestion des relations au sein des organisations (Hooghiemstra, 2000; McWilliams et al., 2006; Nikolaeva et Bicho, 2010).

Les organisations et leurs gestionnaires constituent, selon Bowen, des acteurs de premier plan dans la construction de la réalité sociale dans laquelle ils s’insèrent, notamment, du fait que ce sont de leurs habiletés et de leur jugement que relèvent un grand nombre de décisions déterminantes pour le bien-être de la société; des décisions liées, entre autres, à la production des biens et des services essentiels, à la distribution des ressources et des revenus, au développement économique de la société, etc. Bowen soutient que les organisations et, par le fait même, leurs dirigeants, occupent, au sein de la société, une position d’autorité non négligeable, exerçant donc une influence importante sur la qualité de vie des individus qui la compose : « [The businessman’s] decisions affect not only himself, his stakeholders, his immediate workers, or his customers – they affect the lives and fortune of all of us » (1953 : 3). En vertu de l’interdépendance qui existe entre les différents acteurs de la société, de l’influence que leurs décisions et leurs activités peuvent exercer sur celles de leurs homologues de même que du pouvoir décisionnel important dont jouissent les dirigeants d’entreprises, Bowen postule que les organisations doivent

considérer, à travers la prise de décisions, les conséquences de leurs choix et de leurs actions. Bowen soutient qu’il est important pour les organisations d’être sensibles aux responsabilités sociales de leurs décisions et de leurs opérations afin de pouvoir évoluer au sein de la société, d’y être acceptées, mais aussi, d’y prospérer : « […] it is becoming increasingly obvious that a freedom of choice and delegation of power such as businessmen exercise would hardly be permitted to continue without some assumption of social responsibility » (1953 : 5).

Toujours dans une perspective économique, la RSE fait référence, selon Bowen, à l’obligation pour les organisations et leurs gestionnaires de poursuivre des objectifs et de suivre des lignes de conduite bénéfiques et profitables à l’ensemble de la société dans laquelle ils s’insèrent. En ce sens, l’auteur soutient que l’adoption volontaire de principes de responsabilité sociale par les organisations est nécessaire, entre autres, pour le bien-être de l’économie.

The economic system is characterized by specialisation, division of labor, interdependence, and need for articulation of many diverse parts. Such a system requires the highest standards of conformity to socially sanctioned rules. It cannot function otherwise. In this sense, morality is one of the foundations of all economic life (Bowen, 1953 : 13).

Même s’il aborde la RSE sous un angle économique, Bowen rattache à ce concept, une dimension stratégique. Selon l’auteur, la prise de responsabilités sociales par les entreprises constitue une avenue intéressante permettant à la fois aux organisations de gérer plus efficacement leurs relations avec les divers publics et d’améliorer leur réputation en suscitant les perceptions favorables et l’appui des communautés à leur endroit. En d’autres termes, dès le début des années 1950, la RSE est envisagée comme un comportement organisationnel permettant de générer de meilleures relations dans un environnement en mutations à l’intérieur duquel les publics sont, à ce moment déjà, plus alertes et le pouvoir de l’opinion publique, important.

Bowen souligne que dans la conjoncture qui caractérise la société nord-américaine, les individus souhaitent conserver les privilèges qu’apportent les principes de la libre

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économie, les individus souhaitent également éviter l’instabilité, l’insécurité et l’inefficacité sociale inhérentes au laissez-faire de ce système et à la place importante qu’y occupe l’entreprise privée. Cela justifie dès lors, comme le souligne l’auteur, la pertinence d’une certaine vigie sociale de la part des différents acteurs de la société à l’égard des entreprises afin de s’assurer que ces dernières servent bien, à travers la poursuite de leurs objectifs, les intérêts collectifs : « [The American people] aim is to evolve forms of social control under which business will remain enssentially free and yet will serve the broader interests of society » (Bowen, 1953 : 151). Or, au regard de ces différents constats, Bowen lie l’émergence de la RSE à l’évolution des attitudes des individus qui donne lieu à la création d’un environnement soumis à une plus grande surveillance de la part des différents acteurs qui le compose, ce qui, selon l’auteur, pousse les organisations à être plus prudentes et sensibles aux répercussions sociales pouvant être engendrées par leurs activités. Enfin, Bowen soutient que l’émergence de la RSE au sein des organisations est aussi tributaire des nombreuses pressions qu’exerce le climat social sur les entreprises; des pressions sociales et environnementales observées dès la seconde moitié du 20e siècle.

1.2.1.2 L’émergence de la RSE : une vision axée sur les parties prenantes

Ce n’est qu’au cours des années 1980, que des approches de gestion s’inscrivant davantage dans un courant social sont introduites puis développées dans la littérature, soulignant l’importance, pour les organisations, de tenir compte de l’environnement social dans la poursuite des objectifs économiques et la recherche des profits. Edward R. Freeman propose, en 1984, sa théorie sur les parties prenantes5. Une théorie axée sur la prise en

compte, par les entreprises, des individus et des groupes d’individus pouvant affecter ou étant affectés par leurs activités. Selon cette théorie, les organisations doivent évoluer en intégrant, dans leurs activités, les considérations organisationnelles, éthiques et sociales, sans séparer l’éthique des affaires. La théorie des parties prenantes de Freeman porte sur la prise en compte de l’éthique dans le capitalisme, dans une optique de création de valeur et de gestion efficace des organisations : « “Stakeholder theory” is fundamentally a theory about how business works at its best, and how it could work. […] Stakeholder theory is

about value creation and trade and how to manage a business effectively » (Freeman et al., 2010 : 9).

Dans une perspective de parties prenantes, la RSE se présente comme une pratique organisationnelle à travers laquelle il est possible, par la prise en compte des préoccupations des publics dans la poursuite des objectifs économiques, de joindre l’éthique aux affaires dans une optique de performance. Les relations organisations-publics constituent, selon Freeman, les fondements mêmes du capitalisme; c’est-à-dire, l’essence de la création de valeur au sein des organisations. L’auteur considère les relations entre les organisations et leurs parties prenantes comme le moteur de l’efficacité organisationnelle : « We believe that trying to maximize profits is counter-productive, because it takes attention away from the fundamental drivers of value – stakeholder relationships » (Freeman et al., 2010 : 11).

Par ailleurs, Freeman soutient, à travers sa théorie, que la considération des intérêts des parties prenantes est primordiale afin que les organisations soient en mesure de créer plus de valeur, d’une part, et d’autre part, de mieux s’adapter aux multiples mouvements d’un environnement de plus en plus complexe et changeant. L’auteur souligne qu’en vue de prospérer, les entreprises ont besoin de produits et de services de qualité convoités par les consommateurs, certes, mais aussi, de relations solides avec les diverses parties prenantes, afin d’assurer la coopération, et donc, des opérations efficaces. Du fait qu’elles contribuent au processus de création de valeur des organisations, les relations organisations-publics sont, selon Freeman, fondamentales au succès des entreprises.

La théorie des parties prenantes met au premier plan l’impact social des organisations et de leurs opérations. Freeman reconnaît, très tôt, que les actions des organisations ont le potentiel d’affecter la qualité de vie d’un grand nombre d’individus. Conséquemment, la prise de responsabilités sociales par ces dernières devient nécessaire afin que les organisations soient mieux acceptées dans leur communauté et qu’elles poursuivent ainsi,

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Companies have a real impact on communities, and being located in a welcoming community helps a company create value for its other stakeholders. In return for the provision of local services, companies are expected to be good citizens, as is any individual person. It should not expose the community to unreasonable hazards in the form of pollution, toxic waste, and so on (Freeman et al., 2010 : 25).

Au regard de la théorie des parties prenantes, Freeman entrevoit la RSE comme une pratique organisationnelle par laquelle les entreprises témoignent de leurs soucis du bien- être des communautés dans lesquelles elles s’insèrent, par la prise en compte, dans leurs activités, des intérêts des divers groupes qui la composent. Enfin, bien que la responsabilité sociale des entreprises s’inscrive à la fois, dans le contexte des organisations, dans les paradigmes économique et social, la théorie des parties prenantes développée par Freeman souligne, elle aussi, dès les années 1980, le rôle stratégique associé au concept de RSE; notamment en matière de création de valeur, de performance organisationnelle et de gestion des relations organisations-publics.