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L’émergence des arts contemporains au tournant des années 2000 72 

Chapitre 2  | Cadre contextuel 43 

2.3.  L’émergence des arts contemporains au tournant des années 2000 72 

Dans le but de mettre en valeur le travail de la première génération d’artistes contemporains qui est encore peu reconnu comme je l’ai expliqué précédemment, le Reyum Institute organise Visions of the Future (2002), une exposition qui « testifies to a contemporary renaissance in artistic expression as an important embodiment of a generalized post-war struggle for affirmation » (Reyum 2002 : 3). C’est à travers cette exposition, ainsi que The Legacy

57 Parmi ceux-ci, mentionnons notamment Chhoeun Rithy qui a étudié en Ukraine, Long Sophea (études en U.R.S.S.), Phy Chan Than (études en Hongrie), Sa Piseth (études en Pologne), Soeung Vannara (études en Pologne), Suos Sodavy (études en Hongrie) et Tum Saren (études au Vietnam) (Reyum, 2002 : 82-88).

58 Dans sa thèse Muan explique être en partie responsable de cette intérêt avec la mise sur pied de l’exposition « The Legacy of the Absence », dont elle est la co-comissaire avec Ly Daravuth, son complice du Reyum Institute. De plus, celle-ci dénonce les dérives qu’engendre cet intérêt nouveau pour le génocide khmer rouge en tant que « thématique cambodgienne », car elle remarque l’émergence d’un tourisme du génocide qui se traduit notamment par l’apparition de « genocide paintings » dans les galeries commerciales de Phnom Penh (Muan 2001 : 435).

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of Absence, que des artistes cambodgiens proposent pour une première fois collectivement une réflexion sur leur société (Entrevue, été 2013).

Ces deux expositions coïncident avec l’ouverture des premières galeries d’art à Phnom Penh. Dana Langlois, fondatrice du Java Arts gallery ouvert en 2000 (http://www.javaarts.org/) est l’une des précurseures. Suivront entre autres en 2007 Meta House (http://www.meta- house.com/), en 2010 le Sasa Art projects du collectif d’artistes cambodgiens Stiev Selpak puis en 2011, Sa Sa Bassac (http://www.sasaart.info/). Ces espaces s’ajoutent à l’Institut français du Cambodge existant depuis 1990 (http://www.institutfrancais-cambodge.com/) et le Centre d’archives audiovisuelles Bophana créé par Rithy Panh en 2005 (http://www.bophana.org/), deux institutions aussi actives dans la diffusion des arts visuels contemporains.

En 2005, l’exposition Visual Art Open organisée par les artistes Pich Sopheap et Linda Saphan a pour principal but de stimuler une solidarité au sein de la scène artistique locale en soulignant l’existence d’un mouvement en art contemporain au Cambodge « in the space between two very long shadows cast by Angkor Wat and Pol Pot » (Stornig 2006 : Internet). L’implication de ces deux artistes est un exemple de plusieurs autres initiatives mises sur pied par des artistes cambodgiens nés au Cambodge, mais qui ont grandi à l’étranger et qui reviennent s’installer au pays durant ces années. Comme l’explique Corey, c’est à travers ces artistes que « the new media forms typically associated with contemporary art, such as mixed media, installation, and performance art, became more familiar sights in the city’s exhibitions (2013 : 115).

Dans ce nouveau contexte, une distinction entre le travail du chéang kormnour et du selpakor s’impose, dans l’optique où les artistes veulent se distinguer clairement du travail de leurs pairs en galerie commerciale. Par conséquent, le terme selpakor n’est plus uniquement réservé au domaine des arts de performance et désigne également les artistes en arts contemporains qui ne s’adonnent pas à satisfaire les besoins d’un marché, mais qui expriment leur point de vue et leurs réflexions à travers leur art, comme l’explique Srey Bandaul :

« nous devons faire la distinction entre le chéang kormnour et le selpakor maintenant. En effet, lorsque nous exposons à Battambang, certaines personnes disent : « je vais voir le chéang kormnour ». Je réponds : « non, SVP comprenez que nous avons les chéang kormnour et les selpakor. Nous, nous sommes des selpakor. Les chéang kormnour, ils font des affaires, ils suivent ce que les clients veulent. Si les clients veulent ça, les chéang kormnour leur font ça. De plus, les chéang kormnour ne créent pas en fonction de leurs idées; ils font juste copier. Mais les selpakor, ils expriment leurs propres idées ». Donc je fais juste leur expliquer et maintenant, je remarque que beaucoup de gens commencent à nous appeler « selpakor » » (Entrevue avec Srey Bandaul, été 2012).

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Toutefois, nous le verrons au chapitre 4, les artistes rencontrés critiquent aussi une certaine vision élitiste du selpakor à laquelle ils refusent de s’identifier.

Tout comme l’exprime Corey, depuis la fin des années 2000, d’autres tendances émergent au sein des arts contemporains au Cambodge (2013). Effectivement, la génération née durant le

baby-boom des années 198059 et au début des années 1990 s’intéresse à des enjeux propres à

son époque. Remarquons que cette génération représente un poids démographique considérable. À titre d’exemple, en 2006 à Battambang, plus de 51 % de la population de la province avait moins de 25 ans (Master Plan Team Battambang Municipality 2009 : 31). Les 18-35 ans regroupaient pour la même année 30 % de la population (Master Plan Team Battambang Municipality 2009 : 30).

L’anthropologue Linda Saphan lie cette génération au retour d’une classe moyenne et urbaine dans un contexte d’émergence d’une société de consommation et de loisirs (Saphan, 2010 : 124 et 269). En effet, selon elle, « les citadins de Phnom Penh sont maintenant […] “membres d’une culture de consommation urbaine” » et les jeunes Phnom Penhois en sont les principaux acteurs, puisqu'ils sont les principaux consommateurs (Saphan, 2010 : 117-118). Ces derniers participent également au retour d’une vie sociale dans les espaces publics, lieu par excellence où ils peuvent « exprimer [leur] diversité, [leur] différence et [leur] conception de la vie urbaine qui ne sont pas semblables à celles de leurs parents » (Saphan 2010 : 268). En effet, l’anonymat urbain favorise « l’expression individuelle » peu encouragée dans la sphère privée ainsi que la rencontre « de plusieurs individualités » (Saphan 2010 : 263, 267). Cette vie sociale se manifeste par le flânage dans les parcs, les promenades en moto ainsi que la fréquentation de discothèques, de fêtes foraines et de cafés. Les artistes issus de cette génération s’inscrivent aussi dans l’air du temps. La meilleure stabilité du pays a favorisé une diversification de leurs influences; Internet et les réseaux sociaux ont amélioré leur accessibilité.

59 Voir Annat et Delux (2008) pour un portrait général de cette génération.

Figure 11 La famille de mon amie Phalla et  moi, en visite à Phnom Penh, profitons de la  soirée pour faire un tour à Koh Pich où est  situé un des parcs d'attractions des plus en  vogue de la ville. Photo : été 2012.

75 En outre, de nouveaux réseaux permettent aux artistes d’étudier et d’exposer à l’étranger autant en Asie que dans le reste du monde.

Les propos de Corey semblent aller dans le même sens que Saphan. Elle suggère qu’avec l’urbanisation grandissante, le néolibéralisme qui s’implante au début des années 1990 et l’influence de la globalisation, « artists began to explore new avenues of expression as a result of their encounters with these changes » (Corey 2013 : 117).

Ces changements engendrent de nouvelles préoccupations pour les artistes qui à travers leurs créations accordent une importance marquée aux problèmes sociaux tels la surexploitation des ressources naturelles, l’écart se creusant entre les riches et les pauvres, la protection du patrimoine, les expulsions forcées, la corruption, la prostitution, etc60. Ainsi, si la guerre, le

génocide et l’instabilité politique ont occupé une part considérable des productions artistiques d’une génération, progressivement, on assiste à une diversification des intérêts des artistes. Par exemple, dans son texte, Corey explique comment un désir de s’impliquer activement dans leur société a motivé les Stiev Selpak à implanter leur studio à même le White Building, un bâtiment construit par Vann Molyvann qui aujourd’hui regroupe les habitations informelles d’une faune urbaine diversifiée (2013 : 118-120).