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Chapitre 2  | Cadre contextuel 43 

2.4.  Battambang, la nouvelle capitale artistique du pays? 75 

Selon les dernières données de 2008, la province de Battambang compte 1 024 663 habitants sur un total de 13 388 910 personnes pour l’ensemble du pays, ce qui en fait la

quatrième province en importance au Cambodge61 (General Population Census 2008 : vi-vii).

La municipalité de Battambang, pour sa part, comptait 142 878 habitants en 2006, répartis dans

60 Dans son texte, Corey distingue brièvement ces « social embedded works » produits par les artistes intéressés à documenter les changements sociaux actuels au Cambodge des projets artistiques organisés par les ONG (2013 : 118). Lors de mon terrain, j’ai aussi remarqué l’existence de concours encourageant les participants à s’exprimer sur des thématiques liées aux orientations de l’organisme organisateur, souvent une ONG. Ces projets rejoignent d’une manière importante les artistes de Battambang. 61 Voir Annexe II pour une carte du Cambodge qui situe Battambang dans le pays.

Figure 12 Le centre commercial BTB Mall à Battambang  est encore peu fréquenté et est donc probablement peu  rentable comme le manifeste son dernier étage quasi  inoccupé d’acheteurs et de commerces. Photo : été 2012.

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ses 10 communes et ses 62 villages, ce qui en fait l'une des plus grosses villes hormis Phnom

Penh (Master Plan Team Battambang Municipality 2009 : 26)62.

Au moment de commencer cette recherche à l’automne 2011, deux journaux s’intéressaient à

Battambang comme pôle artistique et culturel important63. The Phnom Penh Post publiait un

article de Joel Gershon qui couvrait la première édition d’Angkor Art Explo project, un festival incluant un périple à vélo de trois jours entre Battambang et Siem Reap où les artistes étaient amenés à présenter leurs créations à la population locale croisée sur leur route. Dans cet article, l’auteur suggérait que Battambang, forte de son héritage culturel, artistique et architectural « [was] trying to reclaim its mantle of being the country’s artistic capital, once sung about the so-called King of Khmer Music, Sinn Sisamouth […] » (Gershon, 2011 : Internet). À peine un mois plus tard, The New York Times sortait un article de Naomi Lindt dans lequel la ville était décrite comme détenant « one of the country’s richest artistic communities », « the combination of cultures – Cambodian, Chinese, Thai, French – makes the city open-minded to art » (Lindt, 2011 : Internet). Ces articles ont eu comme avantage de « mettre la ville sur la carte » et ils ont certainement contribué à ce que certains touristes y fassent un détour, celle-ci étant encore en dehors du circuit touristique habituel64.

Battambang est le pôle artistique secondaire le plus important du Cambodge et la communauté artistique vivant dans cette ville mérite d’être prise en considération dans la définition des arts contemporains cambodgiens. Selon mon estimation, près d’une trentaine d’artistes sont actifs à

Battambang actuellement65. Pour cette ville, 2011 marque très certainement un tournant

majeur, comme l’exprime Som Sangva Sak, conseiller à la planification urbaine de la ville de Battambang : « people are starting to feel proud of their city again » (Lindt 2011 : Internet). Effectivement, c’est en 2011 que Sammaki et Make Maek voient le jour pour remédier à un exil de la communauté artistique, vers Phnom Penh et Siem Reap, et pour offrir un lieu

62 Voir Annexe III pour la localisation de la municipalité de Battambang dans la province ainsi que la carte de la délimitation des communes au sein de la municipalité de Battambang.

63 Il semble que l’année 2011 ait marqué le début d’une attention médiatique pour la ville qui sporadiquement reçoit encore la visite de journalistes venus constater ses charmes comme l’illustrait, en 2014, The National un journal anglophone d’Abu Dhabi aux Émirats Arabes Unis (Dunston 2014 : Internet). 

64 Voir Annexe IX pour la localisation des principaux espaces artistiques en 2012-2013.

65 Cette estimation est basée sur les propos de Srey Bandaul qui me disait qu’il y avait au moins 20-22 artistes à Battambang. En regardant le contenu de l’exposition Made in Battambang où 26 artistes ont participé, et en comparant avec les personnes rencontrées pour ma recherche, le décompte serait selon moi plus près de 30, sans compter les étudiants de PPS.

77 d’exposition aux nombreux artistes indépendants qui y vivent, dont une majorité est diplômée de PPS.

Sammaki

Projet initié conjointement par Jam, l’organisme Kinyei ainsi que Darren Swallow et Mao Soviet, Sammaki est la première initiative locale à ouvrir ses portes en 2011. Son but est d’offrir aux artistes un espace central où se rassembler pour échanger et faire émerger des initiatives artistiques communes (Entrevues avec Darren, Jam, Soviet, Touch et Linda, été 2012). À Sammaki, tout projet en lien avec les arts peut être organisé, que ce soit un vernissage, une discussion, un atelier de formation ou une projection vidéo. L’idée initiale était qu’après son ouverture, les artistes locaux reprennent par eux-mêmes l’espace et que ce dernier devienne autogéré, ce qui ne s’est pas tout à fait réalisé66. Néanmoins, le lieu agit de

toute évidence comme un espace de rencontre et il se pose comme un pont entre l’école d’art PPS et le milieu professionnel, en offrant à plusieurs une première occasion d’exposer professionnellement leur travail à Battambang.

Make Maek

Les deux fondateurs de Make Maek sont les artistes Mao Soviet et Phin Sophorn, un espace artistique qui a ouvert ses portes en novembre 2011. Ces derniers sont convaincus de l’intérêt de favoriser les occasions de collaboration entre des artistes cambodgiens et des artistes internationaux, mais préoccupés par le fait que les artistes de Battambang doivent quitter la ville

66 Depuis 2013, Sammaki est financé par Cambodian Children’s Trust (s.d. : Internet). Ce transfert étant survenu après mon départ, il ne m’a pas été possible de constater si cela avait entraîné des changements importants sur le plan de la mission de Sammaki.

Figure 13 L'entrée de Sammaki, Photo : été 2012.

Figure 14 L'entrée de Make Maek artspace. Photo :  été 2012.

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pour y arriver. L’objectif de Make Maek est aussi de rendre plus accessibles les arts contemporains à un public local, notamment à travers des Arts Walk. Ces parcours déambulatoires dans la ville sont co-organisés par Make Maek, Sammaki et plusieurs artistes. Ils se déroulent également en dehors des espaces artistiques, notamment dans les parcs publics de la ville.

Notons aussi l’existence récente, en plus des studios personnels des artistes, de studios collectifs dont le Romcheik 5 studio qui regroupe les artistes Bor Hak, Hour Seyha, Nget Chanpenh et Mil Chankrim et le Art Studio Battambang qui rassemble principalement Bo Rithy et Roeun Sokhom. Malheureusement, le temps m’a manqué pour rencontrer de manière approfondie les artistes oeuvrant dans ces milieux. Enfin, d’autres espaces, tels que des cafés (Eden, Kinyei) et des resto-galeries (Chocol’Art Café, Lotus Bar and Gallery), supportent cette scène artistique.

En somme, de cette contextualisation retenons que le protectorat français a favorisé la création d’un milieu artistique axé sur la reproduction de modèles stéréotypés de l’art khmer, et ce, au profit de la métropole. L’indépendance a permis une diversification des arts et une plus grande liberté pour les artistes bien que les efforts de plusieurs s’orientaient encore vers une production massive, cette fois, de symboles nationaux. Les années khmères rouges ont mis un frein à la vitalité des arts cambodgiens en s’attaquant directement aux artistes. Leurs exactions ont été désastreuses et ont engendré un avide désir des Cambodgiens de sauvegarder leurs traditions artistiques au tournant des années 1990. Cette urgence de préservation octroyait toutefois peu de place aux changements. Depuis une dizaine d’années, à Phnom Penh, et récemment à Battambang, des artistes cherchent à créer une scène artistique alternative où une plus grande importance est accordée à l’expression de soi à travers des créations artistiques de plus en plus centrées sur le vécu actuel des Cambodgiens et divers enjeux sociaux qui modulent leur existence.

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