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Être artiste à Battambang : l’expression d’un soi bouddhiste 115 

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4.2.  Être artiste à Battambang : l’expression d’un soi bouddhiste 115 

Comme il a été expliqué au chapitre 2, au milieu des années 2000, les artistes visuels oeuvrant dans le milieu contemporain désirent faire une distinction claire entre leur travail et celui des chéang kormnour, axé selon les besoins des clients. Dans cette perspective, les artistes en arts visuels contemporains se définissent désormais comme des selpakor, terme autrefois réservé aux arts de performance.

4.2.1. Une acceptation ambivalente du statut de selpakor

Sur les 15 personnes interviewées habitant et travaillant à Battambang en 2012, 11 n’étaient plus aux études au moment de l’entrevue. Les quatre autres interviewés étaient des étudiants qui aspiraient à être artistes, mais qui, considérant que leur formation n’était pas terminée, ne se considéraient pas encore comme tels. Sur les 11 personnes qui n’étaient plus aux études, quatre personnes acceptent sans hésitation de se définir en tant que selpakor. Ces personnes spécifient que c’est parce qu’ils désirent s’exprimer à travers leur art et faire entendre leur propre voix qu’ils se considèrent comme des artistes. Ensuite, trois personnes manifestent une hésitation à endosser pleinement la désignation de selpakor, soulignant que ce sont d’abord les autres qui les considèrent ainsi : « for me, when I join an exhibition or meet someone, I just say « my name is Sophorn » or something like that. Beside that, my friend introduces me [as an artist] » (Entrevue avec Phin Sophorn, août 2012). Enfin, trois personnes refusent de s’identifier à ce statut et une personne ne s’est pas explicitement prononcée sur la question.

Outre une modestie apparente de la part des artistes, l’hésitation et le refus partiel de s’associer au statut de selpakor s’expliquent principalement par une perception que ce statut est élitiste : « pour le moment, le mot artiste, ce n'est pas ce que je cherche. Pour moi, les gens peuvent m'appeler par n'importe quel mot, l'important c'est que je fasse bien mon travail. L’artiste travaille pour sa société. Donc, moi je pense que je fais des choses pour montrer aux gens, à la société, mais je ne rentre pas dans le jeu d'avoir du profit et [du prestige] » (Entretien avec Pen Robit, août 2012). Encore aujourd’hui dans la société cambodgienne, le « statut de l’individu est défini par le groupe social auquel il appartient », plus

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précisément, et il subsite une certaine imperméabilité des classes sociales à la classe sociale auquel il appartient (Népote 1992 : 14. Voir aussi Annat et Delux 2008).

Pour accéder aux hautes sphères sociales, il est nécessaire d’entretenir « ses relations », ce qui implique une attention accrue à sa réputation, mais aussi la manifestation publique de sa richesse et de son prestige — même si parfois peu effectif — ainsi que de sa reconnaissance envers son réseau social. C’est ce que Népote

décrit comme « une reformulation avec

ostentation [des] relations [et] […] la proclamation [ou la déclaration solennelle] du partage de l’amitié et de la confiance » envers son réseau de contacts (1992 : 30). Plusieurs artistes m’ont raconté comment certains de leurs amis en sont venus à nier leurs origines, lorsque modestes, et leur passé dans l’optique d’intégrer ces hautes sphères.

De plus, « la vie politique et administrative est telle que toute hiérarchisation » est développée sous le modèle des relations familiales (Népote 1992 : 108 et 113). Certains artistes réfléchissent donc aussi sur le fait que pour être influent au Cambodge, il faut avoir des contacts, « il faut être la fille [ou la nièce] de » (Annat et Delux 2008 : 318).

En refusant ou en hésitant de s’identifier au statut de selpakor, les artistes rencontrés s’opposent à ce qu’ils définissent comme « la politique des artistes » ou « la maladie de l’artiste » (en khmer

ជម្ងឺសិលបករ), c’est-à-dire un excès de fierté, accompagné souvent d’une attitude hautaine et

condescendante, de la part des artistes qui réussissent bien financièrement et socialement : « we are all humans. So we have ego, it's normal. But we have to change it or stop it in some way. You know, it's too much for the society and it hypnotizes people » (Entrevue avec Chov Theanly, août 2012). Sur ce point, les propos de Theanly rejoignent ceux de Tor Vutha, Long Kosal et Kuon Chanreaksmey. Cette

Figure 19 Svay Sareth 2012. The Traffic Circle, Sa Sa  Bassac. Cette installation évoque le monument de  l'Indépendance à Phnom Penh où les tuyaux de PVC  rappellent que pour fonctionner socialement au  Cambodge, il faut des "connexions" (Entrevue avec  l’artiste, juillet 2012). Crédits photo : Svay  Sareth/Institut für Auslandsbeziehungen 2012 :  )

117 « maladie » conduit les artistes à s’isoler des autres, car ils prétendent que le reste de la société n’a plus rien à leur apporter et à leur apprendre (Entrevue avec Ouk Sunnary, juin 2013; Kuon Chanreaksmey, août 2012).

Or, comme le souligne Hansen, « the birth of craving or hunger is the critical stage of causation for the determination of human behavior, as it forms the basis for both individuals and social pathologies or harm » (2002 : 50). Dans cette perspective, les artistes devraient se comporter d’une manière exemplaire puisqu’ils constituent le ciment de la culture (Entretien avec Ouk Sunnary, juin 2013). Conscients des excès de certains selpakor, c’est pour cette raison que trois

personnes rencontrées préfèrent endosser le statut de chéang kormnour ou de neak kormnour77,

comme le souligne Pen Robit78. Dans le même sens, Tor Vutha exprime que le mot artiste n’est

qu’une étiquette, un titre au sein de la société. Tout comme Robit, ce dernier m’explique : « for me, I'm an artist. But the way I do is the way that the artists have done before, yes. Yeah… I cannot tell I'm artist » (Entretien avec Vutha, août 2012). Ainsi, l’hésitation de Robit et Vutha suggère que le selpakor est considéré comme appartenant à une sphère privilégiée de la société alors que le chéang kormnour reste plus près des gens ordinaires. « Si je me considérais comme artiste, ce serait comme si mon ego était au-dessus de mes amis : « ah lui, il est trop bas. Ah lui, il ne sait rien par rapport à ce que je fais ». Si tu te comportes de cette façon, tes amis ne veulent plus te parler et te fréquenter parce qu’on a plus les mêmes droits79. [Donc], moi, je suis Kosal » (Entrevue avec Long Kosal, août 2012)80. Bien que le

terme selpakor devienne de plus en plus généralisé pour désigner les artistes oeuvrant en arts contemporains au Cambodge, la plupart des artistes rencontrés restent attachés à des valeurs et des rôles généralement incarnés par le chéang kormnour au sein de la société. Ce chapitre servira à approfondir ces valeurs et rôles associés à l’artiste contemporain, selon les personnes rencontrées.

77 En page 49 de ce mémoire, j’expose la distinction entre chéang kormnour et neak kormnour présentée dans Muan (2001). Or, les artistes rencontrés ne semblent pas faire une telle distinction et neak kormnour est ainsi employé comme un équivalent à chéang

kormnour.

78 Voir planche 11. À la question, si tu n’es pas un selpakor, tu es quoi? Pen Robit me répond : « un neak kormnour ». Chov Theanly, bien qu’il se dise selpakor « parce qu’il désire faire entendre sa voix », reconnaît aussi ce besoin de contribuer à la société chez les chéang kormnour; leur voix n’ayant tout simplement pas la même portée ni la même opportunité de se faire entendre actuellement. Cette préoccupation marquée chez ces deux artistes pour le travail du chéang kormnour peut être reliée au fait que tous les deux ont côtoyés dans leur famille des représentants de cette profession (respectivement le père de Robit et l’oncle de Theanly).

79 En khmer=sith. Ce terme se traduit plus précisément comme « nous n’avons pas le droit d’être humains de manière égale », ou encore, « nous ne sommes plus égaux en tant qu'humains ». Par « égalité », Kosal entend « avoir le même statut social; être au même niveau dans la hiérarchie sociale ».

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4.2.2. Qu’entendons-nous par personne morale et exemplaire?

Lors de mon terrain, une majorité de personnes rencontrées m’a explicitement présenté l’artiste en termes correspondant à un idéal moral bouddhiste. Par exemple, lors de mon entretien avec l’artiste Tor Vutha81, ce dernier m’explique que l’artiste doit avoir une bonne maîtrise de soi,

éduquer sa conscience et approfondir ses connaissances. L’artiste est en contrôle de lui-même, est créatif et est une bonne personne; un bon modèle de référence pour les autres (Entrevue août 2012). Cette personne est aussi décrite à travers les idées qu’elle véhicule pour sa société qui, selon Long Kosal, devraient être des idées « nobles, nouvelles et de paix; pour faire progresser notre pays » (Entretien août 2012). Le peintre Svay Ken, considéré par certaines personnes comme le père fondateur des arts contemporains au Cambodge, abonde également dans ce sens (voir Figures 20 et 23)82.

Ce modèle moral n’est pas une fin en soi, mais un processus de perfectionnement constant qui implique un désir d’approfondir ses connaissances. Kou

Sothea83 souligne l’importance pour

l’artiste de rester curieux et de rechercher une compréhension toujours plus approfondie des problématiques exposées à travers son art. L’artiste, tel un chercheur, documente une réalité. Par exemple, Sothea s’engage dans cette

démarche à travers sa pratique artistique, qui l’amène à explorer « the sadness of people », en élaborant une réflexion parallèle sur la présence américaine au Cambodge dans les années 1970 et l’intervention plus récente des États-Unis en Afghanistan et en Irak :

In 30 or 40 years, the old people who used to live during that regime [Pol Pot’s regime], they will be dead already. […] the primary data will be lost. The secondary data will only exist in books […] but it will not be as clear as the primary data, I think. So the artist, he [needs to know] well about the history of this regime. He needs to write, he needs to read, he needs to research for a lot of information that are related with this event. If the artist sees: “oh! [so much] violence happened. […] I must make an artwork to tell people around Cambodia, around the world [about this event] in order to make them understand about violence. Do not allow people to follow this event in the future ». So the artists, they know about the good solutions to tell the people who don't know how to understand about this.

81 Voir planche 16.

82 Voir Gleeson (2009) et Surewicz et Mom Kunthear (2008).  83 Voir planche 7. 

Figure  20  Peinture  de  Svay  Ken  de  sa  série  Sharing

knowledge  2008,  « Si  quelqu’un  qui  est  riche,  a  un  air

hautain  à  l’égard  des  membres  de  sa  famille  qui  sont  plus pauvres  et  à  l’égard  de  sa  propre  origine;  cela  [cette  façon d’agir  et  de  penser]  peut  le  détruire ».  Crédits  photo :  De Brouwer 2009 : Internet.

119 […] « No one can fight another one ». So […] that is why I say a good artwork is necessary the one [working] for the society. (Entretien avec Sothea, août 2012)

In United-States, they have The Statue of Liberty : « You need the freedom for your people ». Then, why don't you give the freedom to other people around the world? Why did you bomb Cambodia and Vietnam? Why did you bomb Afghanistan and Iraq? Why did you do like that? In your country, you have The Statue of Liberty, so why don’t you give freedom [peace?] to other people, outside from your country? (Entrevue avec Sothea, août 2012).

L’idéal moral auquel aspirent plusieurs artistes rencontrés en plus de nécessiter une attitude d’ouverture et de curiosité s’appréhende aussi à travers le développement de certaines valeurs, de normes ou de qualités, nommément l’humilité et la simplicité, l’authenticité et le civisme (Ratanakul 2007; Gombrich 2006; Love 1965; Hansen 2002; Hansen 2007). Il est intéressant de noter que certains des chéang kormnour et danseurs plus âgés ont aussi corroboré plusieurs de ces valeurs comme étant primordiales pour être un bon artiste lors de nos discussions (Entrevues avec Ouk Sunnary et Bech Bunngoun, juin 2013). Comme nous le verrons, ces valeurs, traduites parfois en normes, ne sont pas uniquement « imposées par la société » aux individus rencontrés; elles sont aussi « habitées », « vécues », « désirées » et « accomplies » par ces personnes (Mahmood 2009 : 44). Il semble que les artistes rencontrés fassent le choix éclairé d’essayer de s’y conformer, voire, de les revendiquer.

4.2.3. Être artiste, c’est être humble et simple

Plusieurs artistes rencontrés soulignent l’importance de rester humble : « pour moi, pour être un bon artiste il faut premièrement rester nous-mêmes. En ce sens, il faut rester humble et il ne faut pas oublier d’où on vient [regarder de haut les autres] parce qu'on fait plus d'argent [ou l'on a plus de succès]. (Entrevue avec Som Sokvibol, juillet 2012)84.

Cette humilité réfère surtout à une simplicité, soit la capacité des artistes de rester près des gens

ordinaires. Un autre exemple est celui de Heak Pheary85. Cette étudiante est très fière de ses

créations réalisées jusqu’à maintenant, mais elle insiste pour dire que cette fierté n’est pas « une fierté négative ». Plus précisément, lorsqu’elle sera une artiste accomplie, elle « préférerait rester au 84 Voir planche 12. 85 Voir planche 12. Figure 21 The sadness of people, Kou  Sothea. Crédits photo : courtoisie de  l'artiste.

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milieu », c’est-à-dire conserver un statut social moyen afin de ne pas « être trop loin » des siens, ce qui fait échos aux critiques de certains artistes à leurs contemporains qui, devenus célèbres, renient leurs origines.

Pheary renchérit en ce sens lors d’une de nos rencontres : « I will keep my characteristics, [it will] not [be] different from [my] painting. And I [will] do it forever. Until the end of my life, I [will] continue my art work [for] the next generation [pass my art knowledge to them]. And if I get money from those paintings, I will [open a school and teach] all the children who want to draw or paint » (Entrevue, septembre 2012). Dans cet extrait, elle exprime le souci de plusieurs de ses pairs de rester accessibles aux autres malgré leur succès. Comme Vibol, elle souhaite conserver la possibilité de redonner au suivant, c’est-à- dire de partager avec les siens, ou les générations futures, les connaissances qu’elle a acquises par sa pratique artistique.

Ce désir de simplicité se traduit aussi à travers les expositions de certains des artistes rencontrés.

Par exemple, au cœur de la démarche artistique de Chov Theanly86 réside une volonté de ne pas

compliquer les choses et de créer « not only for myself but mostly for my people ». En effet, pour Theanly « art should be for everyone » (Entrevue de Theanly, août 2012). Dans la description de son approche artistique pour l’exposition Surviving, qui a eu lieu à Java Arts en mai 2013, Theanly dit : « je suis un artiste honnête », ce qui réaffirme pour lui l’importance de rester simple et cohérent avec ce qu’il est, ce qu’il vit et ce qu’il exprime à travers ses créations. La thématique de l’exposition vient plus précisément exemplifier les propos de l’artiste. Effectivement, dans Surviving, Theanly choisit de représenter des personnes de son entourage au quotidien. Celles-ci sont dépeintes à partir d’un point de vue légèrement en plongée. Elles ont la tête inclinée légèrement vers l’arrière et leur regard fixe un point en hauteur. La ligne de démarcation entre les couleurs de fond pour chaque peinture évoque un niveau d’eau élevé, où chaque personne représentée doit incliner la tête pour continuer à respirer. Par cette évocation d’un niveau d’eau montant, chaque œuvre est marquée d’une « tension quant à l’issue de la situation présentée » (Java Art gallery 2013, Internet).

Selon Theanly, l’exposition se veut une réflexion sur « la vie sous pression » à laquelle plusieurs Cambodgiens sont aujourd’hui confrontés, selon lui. Theanly explique cette vie sous pression

121 par l’accélération du rythme de vie liée à l’émergence d’une société de consommation au Cambodge ainsi qu’en raison des excès que ce rythme de vie engendre parfois : « some people, they have new Iphone and new Ipad too but they eat very cheap food, not a good quality food. […] They got a nice house but they have no idea how to organize it. They have a big car, but they have no idea how to take care of it and they don’t change the lubricant so it pollutes a lot the environment. I want people to think about this » (Entrevue avec Theanly, août 2012)87.

Au Cambodge, Annat et Delux expliquent que la mise sur pied de l’UNTAC au début des années 1990 a ouvert rapidement les portes au capitalisme et à l'arrivée de multiples produits de consommation rares sous le socialisme (2008 : 355, 358). Cette introduction de nouveaux produits a été favorisée par l’arrivée massive des ONG et de leurs travailleurs venus

reconstruire, stabiliser et aider le Cambodge (Marshke 2008 : 133)88. Les années 1990 ont aussi

vu émerger une classe moyenne dotée d’un pouvoir d’achat plus élevé, particulièrement « à la faveur des emplois dans les organismes internationaux » (Annat et Delux 2008 : 357).

De nos jours, il semble qu’une certaine jeunesse urbaine s’inscrive de manière de plus en plus marquée dans une culture de consommation et de loisirs, particulièrement depuis son entrée sur

le marché du travail au milieu des années 2000 (Saphan 2010; Annat et Delux 2008)89. Pour

Saphan, c’est à travers la possession de biens matériels que se construit « l’identité urbaine ». En ce sens, ce qui intéresse davantage l’urbain c’est d’être relié à cette « culture urbaine » par la consommation de biens, plutôt que les produits de consommation en eux-mêmes (Saphan 2010 : 116, 120). Je considère que les artistes rencontrés durant ma recherche font en général partie de ce groupe social émergent qui est plus éduqué, qui a parfois déjà voyagé à l’étranger et qui parle plus d’une langue.

Toutefois, comme l’expliquait Bandaul dans son exposition Digestion présentée à la Romeet gallery en 2013, les transformations sociales issues d’influences extérieures doivent être d’abord

87 Je ne dispose pas de statistiques sur ce sujet, mais quiconque séjourne un certain temps au Cambodge, particulièrement à Phnom Penh, remarquera l’omniprésence des voitures Lexus - plus que n’importe autre marque de luxe - dans les rues, un des symboles de réussite privilégiés par la classe moyenne-aisée actuellement.

88 Corollairement à leur arrivée, le dollar américain a « soudainement servi de grosses dénominations au riel », la monnaie locale. Encore aujourd’hui le dollar américain demeure la devise courante pour les transactions importantes et dans le secteur du tourisme (Annat et Delux 2008 : 355).

89 Pour une étude détaillée du développement d’un sentiment d’urbanité associé à la consommation d’objets « modernes » chez les jeunes Phnom Penhois, voir la thèse de doctorat de Linda Saphan (2010).

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« digérées ». Cette idée était exprimée par son installation représentant un intestin géant fait de moustiquaires, de sarongs90 et de kramas dans lequel divers objets ont été « avalés »; « I think

Cambodia is having trouble digesting these things. The Chinese culture, the Korean influence […] We’re adopting these ideals so fast and are not taking time to digest the meaning or

significance » (Srey Bandaul, cité dans Knox 2013a : Internet)91. Les propos de Bandaul font

écho à ceux de Theanly qui peuvent aussi être lus à travers le phénomène des nouveaux riches qui fait son apparition dans les années 2000 au Cambodge (Saphan 2010 : 124). Ce phénomène a passablement été étudié en anthropologie dans plusieurs contextes postsocialistes (Doyon et Brotherton 2008; Patico et Caldwell 2002; Fehérváry 2002; Sampson 1994). Les nouveaux riches, selon Sampson, ne sont pas juste une nouvelle classe économique : « they are a class in formation, a new class stratum which is consolidating itself partly via cultural forms, what we may call « lifestyle » » (1994 : 7). Reconnaissant l’importance des particularismes locaux dans l’étude des transitions postsocialistes, ces auteurs s’entendent tout de même pour dire que, de manière générale, « marketization has fostered an increasingly stratified class system, sharpening material and social differences and complicating local ethics of collective responsibility » (Patico et Caldwell 2002 : 288).

Au Cambodge, le pays s’est transformé en l’une des économies ayant un des taux de croissance les plus rapides au monde : « the past decade has witnessed a remarkable transformation: average economic growth near double digits; property prices skyrocketing and then plummeting; the birth of Cambodia’s first internationally managed private fund […]; and an explosion of private university education of dubious quality » (Ear 2013: 9). Marshke dénonce l’approche du gouvernement de Hun Sen « connue sous les termes de reas mean mun rodth (les

gens deviennent riches avant l’État) » qualifiant l’État de « fantôme » (2008 : 149).

Effectivement, bien que ces nouveaux riches proviennent de divers milieux et ont réussi économiquement par divers moyens, il faut souligner qu’une part non négligeable a su s’enrichir rapidement en usurpant des biens publics, en profitant de pots de vin issus de la corruption, détournant des fonds étrangers et en faisant usage de leurs réseaux de contacts à des fins