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Être artiste à Battambang : expression d’un soi expérientiel 133 

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4.3.  Être artiste à Battambang : expression d’un soi expérientiel 133 

Pour cette recherche, le concept d’expérience est considéré dans l’étude de la signification du soi, car comme nous l’avons vu, c’est au sein de l’expérience quotidienne, plutôt que de la pratique méditative, que les bouddhistes modernistes situent la possibilité de développer un soi moral pour les laïcs (Hansen 2007). Le concept d’expérience est compris sous deux angles, c’est-à-dire qu’il renvoie à l’expérience comme un vécu (Turner et Bruner, 1986), mais aussi à l’expérience artistique en tant que mode d’être au monde particulier, axant sur ses dimensions performatives et « incorporées » (embodied) (Jackson 1996; Ochs et Capps 1996 : 20; Csordas 1994; George 2008). Je considère les œuvres artistiques des artistes rencontrés comme une forme narrative au même titre que leurs propos lors de nos rencontres (Ochs and Capps 1996). Mon présent objectif est d’expliquer comment l’expérience, autant pour son aspect vécu que pour son aspect incorporé, entre en considération dans la signification du soi chez l’artiste.

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4.3.1. L’expérience comme un vécu

En tant qu’acteurs du social, les artistes rencontrés proposent à travers leur art une perspective particulière construite à travers leur bagage personnel caractérisé entre autres par leur milieu social, leurs connaissances et leurs expériences de vie. L’artiste s’exprime ici dans son individualité, soit une durée de vie, parmi la répétition d’individualités que constitue le cycle de renaissances (samsarā) (Collins 1982 : 159). Dans cette optique, les œuvres des artistes se veulent toujours liées à leur vécu, car pour s’exprimer avec conviction, l’artiste doit être interpellé directement ou indirectement : « to express ourselves is the easiest way. If we draw a painting to show other person’s opinion, we don’t know how to draw it. So, the clearest thing is to draw about our own opinion » (Entretien avec Koeurt Linda, août 2012)99.

Dans certains cas, le vécu de l’artiste est un point de départ à la création. Par exemple, Heak Pheary me raconte comment un soir, elle est découragée, car elle est à court de peinture pour terminer son travail et elle n’est pas en mesure de s’en procurer plus. Elle confie ses contrariétés à sa mère qui lui suggère d’utiliser des matériaux faciles à se procurer dans son entourage. Pheary pense alors à recycler des pièces de sarongs100 en les collant sur son projet.

Inspirée par ce conseil et le résultat du collage, elle crée une série de peintures qui représente la relation d’amour et de respect entre sa mère et elle101.

Dans d’autres cas, le vécu de l’artiste est le sujet central de l’œuvre, comme l’exposition Man and Wife102 présentée en 2011 aux galeries Hotel 1961 et Top Art l’illustre, en s’intéressant à la

thématique de relation de couple. Dans cette exposition, Phin Sophorn103 et Mao Soviet104

parlent de l’importance pour un couple d’apprendre à se connaître avant de se marier (Sloan 2011, Internet), remettant en question ainsi la coutume cambodgienne qui ne permet habituellement pas la cohabitation prémaritale. Ce qu’il faut savoir, c’est que ces deux artistes de Battambang, fondateurs de la galerie Make Maek, sont un couple depuis près de dix ans et qu’ils ont justement fait le choix de vivre ensemble avant de se marier, en dépit des critiques formulées à leur égard de la part de leur entourage qui désapprouvait ce choix. De plus, cette

99 Voir planche 12.

100 Voir la description du sarong dans la note au bas de la page 122. 101 Voir planche 12.

102 Voir planche 10 103 Voir planche 10. 104 Voir planche 9.

135 exposition est l’occasion pour eux de collaborer ensemble en tant qu’artistes pour une première fois, ce qui s’avère un nouveau défi pour le couple; chacun ayant une compréhension de l’art et un style distincts. Finalement, Soviet et Sophorn décident de se diviser le travail pour les pièces communes. Les créations qui en découlent mettent en évidence cette négociation au sein du collectif, une négociation qui est aussi nécessaire dans leur vie à deux. Au chapitre 2, j’ai mentionné l’existence de plusieurs générations d’artistes qui ont forgé à leur manière les arts visuels contemporains au Cambodge. Comme l’explique Muan, il y a vers la fin des années 1990 et le début des années 2000 un tournant dans les arts cambodgiens avec la création de plusieurs expositions sur les Khmers rouges et les horreurs commises durant cette période, dont The Legacy of Absence organisée par le Reyum Institute en 2000 (Muan 2001 : 435). Hormis les peintures de Vann Nath qui relatent son passage à la prison S-21, il n’y avait pas eu d’œuvres artistiques répertoriées racontant cet épisode sombre de l’histoire récente cambodgienne, avant ce projet du Reyum Institute. Cette exposition se veut un moment décisif, car elle ouvre un champ nouveau pour toute une génération d’artistes qui prennent conscience de la puissance de l’art pour traiter de l’indicible et de son rôle dans la construction d’une mémoire collective (Phay-Vakalis 2010).

Les artistes rencontrés pour ma recherche appartiennent à deux générations. La génération plus âgée correspond grossièrement à ceux nés avant 1975, ceux nés pendant les Khmers rouges (1975-1979) ainsi que ceux nés immédiatement après les Khmers rouges (1980-1985). La génération plus jeune regroupe les artistes nés à partir de la deuxième moitié des années 1980 jusqu’au début des années 1990. Parmi les distinctions marquées qui émergent entre ces deux générations, notons le fait que la plus âgée a grandi durant les Khmers rouges ou dans le contexte de guerre et d’instabilité qui a suivi la chute de ce régime, ce qui n’est pas le cas pour les plus jeunes. Je trouve nécessaire d’aborder ce vécu partagé par un certain nombre d’artistes rencontrés pour cette recherche afin d’illustrer le rôle accordé à l’expérience dans la construction du soi. Effectivement, parmi les 15 artistes rencontrés qui sont nés et qui travaillent à Battambang, neuf sont âgés de 30 ans et plus. De ces neuf, quatre accordent une importance considérable à traiter de ce vécu partagé à travers leur pratique artistique. Par ailleurs, pour cette section, je prends aussi en considération le travail des artistes Yim Maline et Svay Sareth basés aujourd’hui à Siem Reap. Bien que ces derniers ne vivent plus à Battambang

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depuis longtemps, contrairement aux 15 autres artistes sur lesquels je mets l’accent pour cette recherche, Sareth et Maline ont une démarche qui s’inscrit explicitement dans cette volonté de témoigner et de se réconcilier avec leur passé durant ces années de guerre.

Par exemple, l’artiste Yim Maline105 explique comment, enfant durant les années 80, elle se

sentait comme « bloquée » de l’intérieur : « tu sais, ça a tardé dans ma vie… on a eu, comment dire? Un handicap. C’est un handicap… [nous n’avions] aucun moyen pour réaliser nos idées, nos envies » (Entretien avec Maline, août 2012). Dans son exposition Remember présentée à la galerie Sa Sa Bassac en 2011, Maline traite de cette incapacité à concrétiser ses envies ressenties dans son enfance :

Alors moi, dans mon travail, j'ai parlé de la difficulté, de la pauvreté… J’y pensais beaucoup et des fois, cela faisait mal aussi. [C’était comme une pression], quelque chose de l’intérieur qui veut exploser… Et là [dans la série de dessins Scar 1-4], j’ai explosé, j’ai explosé de l’intérieur. C’est comme si mon corps et le riz formaient un tout. C’est symbolique, car le riz est central dans l’alimentation au Cambodge. Puis [sous la pression], le riz explose et il n’y a plus rien du tout à l’intérieur, c’est vide. […] Tout le temps, je parle beaucoup de traces dans mon travail… c’est comme une blessure, les blessures de ma vie (Entretien avec Maline, août 2012).

Dans l’œuvre de Maline, le témoignage est formulé de manière très personnelle. L’artiste fouille les traces de son passé pour s’affranchir de ce sentiment d’emprisonnement dans un contexte qui la dépasse en tant qu’enfant et qui la laisse encore aujourd’hui blessée. La démarche de Maline envisage l’art comme un moyen d’explorer et de donner sens à un vécu difficile, comme une façon d’exprimer l’inexprimable (Phay-Vakalis 2010). Ce dont témoigne Maline c’est de la profondeur et de l’intensité des blessures de son enfance. Le témoignage de Maline se veut singulier et ne cherche pas explicitement à participer à la construction d’une mémoire collective.

Contrairement à Maline a grandi au Cambodge dans les années 1980, Srey Bandaul a vécu son enfance à l’extérieur de son pays natal, au camp de réfugiés Site 2 en Thaïlande. Ce dernier est

retourné au Cambodge seulement au début de la vingtaine106. Le manque que Bandol a

expérimenté est celui d’avoir connu son pays tard dans sa vie.

L’exposition Injured, qui a eu lieu à Java Art gallery, en 2012107, est une occasion pour l’artiste de

réfléchir au concept de souffrance non seulement comme une expérience personnelle survenant durant sa jeunesse, mais aussi en tant que démarche existentielle universelle

105 Voir planche 17. 106 Voir planche 14. 107 Voir planche 14.

137 (Entrevue avec Bandaul, août 2012). Bandaul pose un regard bouddhiste sur la notion de souffrance, soulignant que l’attachement à nos désirs, c’est-à-dire notre soif d’amour, d’argent, de succès et de pouvoir, est la source de cette souffrance. Cet attachement est évoqué par les boîtes qui font office de têtes aux figures instables et enrubannées dans des filets moustiquaires. Ces figures sont « injured », tels des soldats dont le corps aurait été pansé (Entrevue avec Bandaul, août 2012). En définitive, nos désirs sont inutiles puisque peu importe qui ont est, « à la fin de notre vie, tout est perdu » (Traduction personnelle. Entrevue avec Bandaul, août 2012; Java Arts Gallery 2012). Pour Bandaul, « the world is a circle » et conséquemment, ce qui importe c’est le partage et non l’assouvissement de nos désirs de prestige et d’argent (Entrevue avec Bandaul, août 2012). Par cette exposition, l’artiste s’engage dans une réflexion, un peu à la manière de Theanly, sur ce qui est essentiel dans la présente vie. Injured est aussi une invitation ouverte à tous pour enrichir « cette réflexion sur le sens de la vie » (Srey Bandaul dans Vachon 2012).

Il est pertinent également de s’attarder au livre In the Land of the Elephants, publié en 2003 par Reyum Institute, dans lequel Bandaul a réalisé les illustrations. Ce projet est révélateur du lien inhérent entre art et expression d’un vécu marquant et il permet aussi d’élargir l’éventail des expériences vécues par les artistes durant les Khmers rouges et les années d’instabilités qui suivirent.

Bien que la prémisse du livre soit la jeunesse de Bandaul au camp de réfugiés, un environnement formaté, qui ne lui laisse aucune connaissance du monde extérieur puisqu’il y est arrivé jeune enfant, ce que Bandaul raconte dans les dessins de In the Land of Elephants n’insiste pas sur ses blessures, sur un traumatisme ou sur la violence de l’époque. Bandaul relate l’histoire d’un jeune garçon qui découvre le monde pour la première fois, ce qui implique une part d’émerveillement et une part de désillusion. Ce livre prend naissance au camp de Site 2 où Bandaul suit les cours de khmer d’un professeur qui se plaît à raconter des histoires sur sa province natale, Ratanakiri. Un jour, ce professeur expose aux élèves comment son grand-père capturait autrefois les éléphants pour la valeur de leurs défenses. Cette histoire marque Bandaul qui s’imagine déjà explorant la province à la recherche des éléphants.

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Une fois de retour au Cambodge, Bandaul réalise son rêve et y voyage pendant près de six mois. Ce que l’artiste découvre est un monde complètement autre que celui décrit par son professeur : « il n’y a plus d’éléphants et les gens se déplacent en moto » (Entretien avec Bandaul, août 2012). Son séjour lui inspire une vingtaine de dessins et l’histoire d’un

groupe de personnes parties à la chasse aux éléphants qui se perdent finalement dans la jungle. Il me dit : « les gens qui se sont perdus dans la jungle, ce sont moi. J’ai perdu quelque chose à Ratanakiri, parce que l’histoire de mon professeur et ce que j’y ai découvert, c’est très différent, cela a changé » (Entretien avec Bandaul, août 2012). En dépit de cette déception, Bandaul décrit cette période comme un moment de profond enthousiasme face à ses découvertes, un moment prometteur pour un jeune qui peut librement explorer son pays, auquel il ne pouvait pas autrefois accéder et dont il n’avait qu’une idée floue : « j’ai adoré cette période où chaque jour, je partais avec mon cahier de croquis dans la forêt, puis je revenais le soir faire des dessins pour mieux repartir le lendemain à la découverte de nouveaux paysages, à la recherche de nouvelles rencontres » (selon ma reformulation. Entrevue avec Bandaul, août 2012). Par cette exposition, Bandaul ne se concentre pas sur les thèmes de la souffrance et de la violence bien que ces thèmes fassent aussi partie de son enfance et adolescence. En fait, l’artiste offre un exemple d’expérience vécue qui élargit le spectre des récits traitant de la période khmère rouge et des années d’instabilités qui ont suivi leur retrait progressif du pouvoir.

En somme, j’ai tenté un bref portrait synthétisant les types de liens entre expérience vécue et pratique artistique chez les artistes rencontrés. Dans une certaine mesure, tous les artistes font référence à leur vécu puisqu’il est difficile de créer de manière convaincante par rapport à un sujet, si ce dernier ne nous rejoint pas. Je reconnais ne pouvoir retenir la totalité des expériences marquantes pour les artistes qui m’ont été racontées, vu leur diversité. L’expérience vécue est une occasion pour les artistes de réfléchir sur eux-mêmes, mais aussi de partager avec les autres et de se relier à leur collectivité. Cette expérience est aussi constituante d’un soi construit à travers la narration discursive et artistique qu’en font les artistes. Comme l’exposent Ochs et Tapps, « selves evolve in the time frame of a single telling as well as in the

Figure 22 Dessin tiré de In the Land of the 

Elephants par Srey Bandaul. Crédit photos : Reyum  Institute 2003 : Internet)

139 course of the many tellings that eventually compose a life » (1996 : 23). En ce sens, Srey Bandaul qui est habitué de raconter son histoire, à la question : « peux-tu me parler de ton projet artistique actuel? », me répond : « attends, d’habitude je commence par raconter ma vie quand j’étais dans les camps », ce qui illustre le caractère construit du soi à travers l’expérience vécue (Entrevue avec l’artiste, août 2012).

4.3.2. L’expérience artistique comme phénoménologie du soi

Considérant que le bouddhisme favorise un mode d’être axé sur la connaissance par la pratique plutôt que sur une théorie de la connaissance (Krummel, 2005 : 517), il est pertinent de s’attarder à la pratique artistique et à son apport à la signification du soi. Dans cette perspective, la pratique artistique est envisagée en tant qu’expérience au sens phénoménologique du terme, c’est-à-dire qu’elle s’attarde d’abord à son incorporation et à sa performance plutôt qu’à son objectivation. À travers la pratique artistique sont produits des « embodied enactments of experiences [that] anticipate verbal accounts » (Turner 1981 : 154, cité dans Ochs and Capps 1996 : 20).

La performance Mon Boulet de Svay Sareth108, dont des extraits vidéo et le boulet sont présentés

en 2012 lors d’une exposition collective à l’Institut français de Phnom Penh, s’inscrit dans la lignée des projets artistiques visant une construction collective de la mémoire. Dans Mon boulet, l’artiste se lance sur un périple à pieds de plusieurs jours entre Siem Reap, sa ville de résidence actuelle, et Phnom Penh. Tout au long du trajet de plus de 300 km, Sareth traîne une immense boule de métal de 80 kg; son boulet (Nelson 2012b : Internet). L’artiste a pour bagage une toile pour s’abriter la nuit, de l’eau et un peu de nourriture. La boule métallique symbolise son fardeau personnel. C’est un poids, une lourdeur qu’il doit traîner depuis sa jeunesse. Les contraintes physiques et psychologiques du périple forcent Sareth à explorer sa relation avec son passé; un parcours au bout duquel il espère avoir appris à cohabiter avec celui-ci (Discussion avec Sareth, juin 2012).

Mon Boulet est aussi une occasion d’échanger. Pour les gens croisés sur sa route, il est surprenant de voir un homme tirer une énorme boule de métal. Certaines personnes le pensent fou, un autre ose lui demander « quand est-ce [qu’il] va arrêter tout ça? » Au lieu de répondre

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directement, Sareth leur suggère d’écrire sur la boule, celle-ci devenant un « miroir qui renvoie les questions des gens et les pousse à réfléchir » (Discussion avec Sareth, juin 2012). Peu à peu, sans qu’il leur ait nécessairement demandé, d’autres personnes rencontrées inscrivent leurs messages sur le boulet. Un homme note son numéro de téléphone au cas où Sareth aurait

besoin d’aide. Un autre dessine un bouddha109. Enfin, un jeune enfant écrit qu’il rêve de

devenir médecin. À travers ces inscriptions, le boulet de Sareth devient collectif et l’artiste porte symboliquement le poids des aspirations de tous les gens croisés sur son passage (Discussion avec Sareth, juin 2012).

Cette performance se veut donc une volonté de témoignage par rapport à un vécu qui est à la fois personnel et partagé. Le choix de la performance insiste sur un rapport particulier à l’art, c’est-à-dire un intérêt marqué d’abord pour le processus — dans le cas présent cas une transformation chez Sareth — plutôt que pour le produit artistique fini (Berghuis 2006 : 192). Ensuite, comme l’exprime Berghuis, la performance est devenue en Asie une pratique artistique clé pour représenter « a wide range of visceral experience, and to incorporate the role of the mediated subject of the acting body in creating their artworks » (2006 : 198). Le choix de la performance plutôt que de la peinture, de l’installation ou de la sculpture permet à Sareth d’incorporer la thématique choisie : il a chaud, il est fatigué, il a soif et il mange uniquement ce qu’on lui offre sur son chemin (Entrevue avec Sareth, juin 2012). De cette manière, Sareth se relie à son passé, se replongeant dans des conditions physiques et psychologiques difficiles. Certains verront dans les relations qui se tissent entre l’artiste et les gens rencontrés un rappel de l’entraide nécessaire à la survie durant l’époque des camps, étant donné la précarité des conditions de vie dans lesquelles vivaient les réfugiés. En outre, la mise en acte du parcours avec le boulet incite Sareth et les habitants des villages qu’il traverse au partage. Ces derniers sont interpellés par le passage de l’artiste et amenés à contribuer à son œuvre. Sareth se relie donc ainsi également au présent par ses rencontres où les témoins de son passage lui livrent leurs aspirations. Pour finir, l’artiste fait ce constat : « [bien que porteur de mon passé], je ne peux pas vivre [tourné] vers le passé, je suis réellement dans le présent » (Discussion avec Sareth, juin 2012).

109 Sareth trouve ce dessin très significatif, car le Bouddha, à mesure que la boule tourne et avance, se retrouve la tête sens dessus dessous, tout comme la religion bouddhiste au Cambodge actuellement, selon lui. Depuis l’après-guerre, la religion bouddhiste se retrouve mêlée à la politique et certains de ses représentants commettent des impairs irréversibles pour la réputation de l’institution bouddhiste (Extrait de mes notes, discussion avec Sareth, juin 2012)

141 Pour d’autres artistes, la pratique artistique fait partie intégrante du processus de transformation de soi. Effectivement, chez Long Kosal et Khchao Touch, la démarche artistique devient une méthode privilégiée pour se perfectionner sur le plan moral, « [in order] to internalize morality », comme est l’engagement sur le Noble Chemin Octuple par la méditation chez les moines (Ratanakul 2007 : 242). Tout comme Touch le proposait avec son projet Restful Place, Kosal considère que le but de l’artiste est de guider ses contemporains vers le chemin de la paix. Or, « quand tu n’es pas en paix avec toi-même, tu ne peux pas faire la différence entre le bien et le mal et tu ne peux pas aider les autres sur le chemin de la paix non plus », explique Kosal