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L’« égalité » entre filles et garçons en matière d’héritage et de succession

CHAPITRE IV : Les principaux enjeux de la controverse entourant le code des personnes et de la

4.3. L’« égalité » entre filles et garçons en matière d’héritage et de succession

et de succession est un autre enjeu qui a été source de polémique lors des débats autour du code des personnes et de la famille. Il faut rappeler que jusqu’à l’adoption du code de la famille en 2009, il n’existait aucune législation sur l’héritage et la succession au Mali. Il était toujours demandé aux citoyens de se référer à leurs coutumes ou religions pour régler ces questions d’héritage et de succession. C’est seulement en 2009, avec l’adoption du code des personnes et de la famille (première version), que ces questions ont été prises en compte pour la première fois dans la législation malienne. Le texte prévoyait un traitement égal entre filles et garçons par rapport au partage de l’héritage. Il précisait aussi que ceux qui voulaient procéder autrement (par exemple faire l’héritage et la succession selon les règles religieuses

ou coutumières), devaient faire un testament à cet effet. Ce à quoi les organisations islamiques se sont farouchement opposées, car selon elles, l’héritage et la succession doivent se faire selon les règles religieuses ou coutumières des personnes concernées (ces règles privilégient en général les garçons par rapport aux filles). Et ceux qui s’opposent à cela, ajoutent-elles, sont ceux qui, au contraire, doivent faire le testament parce qu’« ils ne constituent qu’une toute minorité ». En effet, depuis l’adoption de la version actuelle du code des personnes et de la famille en 2011, fruit de la relecture du texte, l’héritage peut se faire selon la religion des personnes concernées, leurs coutumes, ou selon certaines dispositions de ce texte. C’est ce que souligne son article 751 qui stipule que « L’héritage est dévolu selon les règles du

droit religieux, coutumier ou selon les dispositions du présent livre » (Art. 751 du

Code des personnes et de la famille, 2011). Plus loin, l’article précise que les dispositions du code relatives aux successions et à l’héritage ne concernent que les personnes dont les coutumes ou la religion ne sont pas clairement établies, qui n’ont ni fait de testament ni indiqué la façon dont elles veulent que leur héritage soit géré. Selon les responsables d’OSC féminines et les militants des droits de l’homme interviewés sur le terrain, l’héritage et les successions selon les règles de l’Islam ou les coutumes (les garçons ont une part toujours plus élevée que celles des filles) sont toujours « sources d’inégalités » entre filles et garçons, d’où le rejet de la disposition y afférente. Selon Fatou, chercheuse et militante des droits de la femme, les dispositions relatives à l’héritage et à la succession dans le code « sont discriminatoires envers les filles ». Pour elle, ces dispositions « créent et légalisent

des inégalités entre filles et garçons, ce qui est contraire à la Constitution qui dit que tous les Maliens sont égaux devant la loi, cela, sans considération de sexe ».

Cette situation, ajoute-t-elle, s’explique par le fait que « les religieux musulmans ont

imposé à la place d’un code civil [le code de la famille], un code religieux [l’actuel

« En Islam, il est bien écrit que la part du garçon et celle de la fille sont inégales. Mais si nous voulons construire une société égalitaire, cela ne peut pas marcher, c’est pourquoi, nous, nous voulions un code civil qui ne soit pas du tout religieux. La religion n’a rien à voir avec ça, et si les gens veulent faire le religieux, ils n’ont qu’à faire ça chez eux. S’ils veulent faire le partage l’héritage selon l’Islam, ils n’ont qu’à le faire chez eux, mais quand il y a un conflit et qu’ils viennent devant les tribunaux, il faut que les tribunaux jugent les choses selon une loi égalitaire ».

Jacqueline, une responsable de l’Église Protestante que nous avons rencontrée sur le terrain, constate qu’« en matière d’héritage et de successions, on ne peut pas parler

d’égalité, et cela n’est caché à personne, car tout le monde sait ce que dit l’Islam en la matière [la part du garçon est deux fois celle de la fille], même chose pour nos coutumes qui accordent plus de privilèges aux garçons au détriment des filles ». De

son côté, Yaya, ancien cadre du ministère de la Promotion de la Femme, de l’Enfant et de la Famille, ajoute que « toutes ces controverses sont liées au partage de

l’héritage, et tant que celui se fera de façon inégalitaire, notamment en privilégiant certains (les garçons) au détriment d’autres (les filles), ces genres de polémiques demeureront ». Une loi, précise-t-il, « ne doit aucunement être source d’injustice entre les citoyens d’un même pays ». En plus de Fatou et de Yaya, plusieurs autres

défenseurs des droits des femmes que nous avons interviewés affirment que le fait de donner la possibilité aux citoyens de recourir à leurs coutumes ou à leurs religions, lesquelles accordent plus de parts d’héritage aux garçons qu’aux filles, est un facteur qui perpétue « l’inégalité et la discrimination » entre les enfants. Selon eux, le Mali étant un pays où les gens accordent plus d’importance aux règles religieuses et coutumières qu’aux lois formelles, il serait « difficile de parler d’égalité entre filles et garçons en matière de succession et d’héritage », notamment au regard des dispositions du code prévues à cet effet. C’est pourquoi Adjaratou, une ancienne ministre, critique et dénonce la disposition du code qui donne la possibilité de recourir à la religion ou aux coutumes pour régler les questions d’héritage et de succession. « Les religions et les coutumes », souligne-t-elle, « ont de tout temps

favorisé les garçons par rapport aux filles en matière d’héritage et de succession au Mali ». Maïmouna, une responsable d’OSC féminine, partage la position de l’ex- ministre et dénonce le fait que l’Islam recommande de donner deux fois la part de la fille au garçon. Elle mentionne également le fait que de nombreuses coutumes maliennes sont favorables à l’octroi d’une part d’héritage plus élevée au garçon sous prétexte que « c’est lui qui assurera la continuité de la famille » après le décès des parents (le père notamment).

Yaya, ancien cadre du ministère de la Promotion de la Femme, de l’Enfant et de la Famille va plus loin et dénonce vigoureusement la motivation des OSC islamiques lorsqu’elles ont milité pour inclure cette disposition dans le nouveau code :

« En réalité, ce que les islamistes voulaient, c’était de mettre dans le code ce

que dit la charia, notamment en matière de succession. Nous, nous leur avons dit qu’on n’est pas des spécialistes de la charia et que s’ils veulent qu’on mette ces dispositions dans le code, ils n’ont qu’à faire des propositions concrètes. Mais, nous n’avions jamais eu de propositions de leur part, et donc, le code avait été adopté comme ça. Sinon au niveau de la commission de relecture du code, nous avions toujours dit que la succession était un problème de société et que s’il y avait une majorité qui voulait choisir le droit musulman, il n’y avait pas de problème, ces gens n’avaient qu’à suivre le droit musulman. Nous avons seulement précisé que lorsqu’ils optent pour une des formes de la succession, ils seront contraints d’aller jusqu’au bout, c’est-à-dire que c’est le marabout qui va partager l’héritage, c’est lui qui va faire tout, et même en cas de litige, c’est le même marabout qui va trancher. Par contre, avons-nous ajouté, s’ils venaient devant les tribunaux, alors, c’est le droit romain qui leur sera appliqué. Ce fut un point d’achoppement ».

Si les OSC féminines se sont battues pour l’égalité entre filles et garçons en matière d’héritage et de succession, notamment en proposant que ces derniers ne se fassent pas selon les règles religieuses ou coutumières, les OSC islamiques, par contre, se sont battues effectivement pour que ces principes soient maintenus. Les

laquelle « l’héritage selon la religion, notamment l’Islam, est source d’injustice et d’inégalité à l’endroit des filles qui obtiennent la moitié de la part octroyée aux garçons ». Selon eux, « dans le fonds, il n’y a pas une injustice ». Par exemple, Salia, un responsable de l’AMUPI (Association Malienne pour l’Unité et le Progrès de l’Islam), affirme que « la fille qui vit [ou vivra] dans une autre famille [son foyer conjugal] ne doit pas amener toute la richesse de la famille paternelle avec elle,

surtout qu’en cas de problème [un divorce par exemple], elle y retournera et sera ainsi à la charge de son ou ses frères qui seraient sur place ». Cheikna, un

journaliste pro-islamique, partage cette opinion et raconte :

« Le débat sur l’héritage a fâché beaucoup de musulmans. Ici, on remarque que les gens font une très mauvaise lecture du droit musulman. Il n’y a pas d’inégalité en matière d’héritage en droit musulman. Les gens prennent un seul cas de figure qu’ils généralisent. C’est le seul cas où lorsque le père décède, on donne au garçon deux fois la part de la fille. Ça, c’est entre frères et sœurs. Par contre, si le fils meurt par exemple, et que cela trouve qu’il était milliardaire, ses deux parents héritent avec les mêmes parts, le père et la mère ont des parts égales. C’est pour dire que l’héritage [en Islam] n’est pas lié au sexe. Et même concernant l’inégale répartition entre sœurs et frères, cela s’explique aisément par une question économique et la logique de la survie de la famille, car, c’est le garçon qui reste en famille après le décès du père. La fille étant déjà chez son mari, on ne doit pas amener là-bas la moitié des biens de la famille qui doit continuer à exister. Ce n’est pas compliqué, c’est facile à comprendre ».

Voilà pourquoi certains acteurs appuient l’idée selon laquelle la part du garçon doit être plus élevée que celle de la fille. En plus de « justifier » cette « inégalité » entre filles et garçons en matière d’héritage et de succession, plusieurs OSC islamiques estiment que le Code de la famille ne devrait pas faire mention de testament, car selon elles, « les Maliens n’ont pas une culture de testament, beaucoup l’ignorent toujours ». Cette réaction de Moumine, membre du Haut Conseil islamique, en est l’illustration parfaite :

« On ne doit pas demander à la majorité d’écrire un testament, la succession et

l’héritage ont toujours été faits sur la base de nos traditions et religions, cela, bien avant l’indépendance. Celui qui ne veut pas ça [que son héritage se fasse

selon la religion ou les coutumes], c’est ce dernier qui doit écrire un testament.

Mais ce dernier ne doit pas être imposé à la majorité, comme c’est la minorité qui veut ça [allusion faite aux responsables d’organisations féminines], donc qu’elle écrive le testament. Nous avons aussi dit [aux défenseurs du code] qu’ils obligent les gens à faire des testaments alors qu’en droit social, le testament n’a de foi que s’il est fait par un notaire. Or, il y a beaucoup de zones au Mali où il n’y a pas de notaires. Comment tous ces vieux, tous ces chefs de famille, dans les villages, vont aller chercher des notaires à travers le Mali à cet effet? Il faut vraiment leur rendre la chose facile. Ceux qui ne veulent pas de cette disposition n’ont qu’à faire leurs testaments et laisser les autres tranquilles ».

Malgré tous ces arguments et explications donnés par les OSC islamiques et leurs alliés, les militants des droits de la femme demeurent sur leur position : la disposition relative à l’héritage et aux successions, qui donne la possibilité aux gens de recourir à leurs religions ou à leurs coutumes pour régler les questions d’héritage et de successions, demeure une « source d’inégalités » entre filles et garçons.

4.4. La reconnaissance des enfants nés hors mariage, autre point de discorde