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Le code comme « nouvelle conditionnalité » de l’aide publique au développement

CHAPITRE V : Stratégies de communication des acteurs : l’efficacité des OSC islamiques

5.1. Les messages : le choix de discours « mobilisateurs

5.1.2 Le code comme « nouvelle conditionnalité » de l’aide publique au développement

par les acteurs qui s’y opposaient comme « une nouvelle conditionnalité « de l’aide publique au développement. Ainsi, selon Alassane, éditorialiste dans un Quotidien National, « le gouvernement a donné l’impression de faire la volonté des bailleurs

de fonds, c’est ce qui a accentué la colère des organisations religieuses ». Certains

leaders musulmans vont dans le même sens, car selon eux, des bailleurs comme le Canada, l’Union européenne, la France « sont derrière cette initiative ». Mahama de l’AMUPI et du Haut Conseil Islamique explique:

« Les bailleurs de fonds ont dit au gouvernement que s’il ne fait pas adopter un

code de la famille qui défende clairement l’égalité entre homme et femme, ils vont couper leur aide. Et puisque le Mali est un pays pauvre qui dépend largement de ces fonds extérieurs, il s’est plié à ces exigences. Nous, nous estimons que ce n’est pas à cause de l’argent des blancs qu’il faut jeter par la fenêtre sa dignité, ses valeurs. En d’autres mots, le gouvernement devait résister et leur dire que certaines choses ne marchent pas au Mali. Puisqu’il n’a pas joué son rôle, nous [OSC islamiques], nous n’allons jamais croiser les bras face aux exigences [des bailleurs]».

Moumine, un autre responsable du Haut Conseil Islamique, ajoute que cette « exigence » des bailleurs de fonds ne s’applique pas seulement au Mali, mais également à d’autres pays africains. Selon lui, à travers « l’exigence d’un code de la famille basé sur les réalités occidentales », les bailleurs de fonds « imposent » leur culture aux pays africains, laquelle est désormais considérée comme « la culture standard », « universelle ». Il précise que :

« Ce code est une exigence des bailleurs de fonds à l’endroit de l’État malien, ça, tout le monde le sait. Le Mali ne fait pas exception, car jusqu’ici, il y a des pays africains qui attendent leurs codes de la famille depuis plusieurs années, le Tchad et le Niger sont dans cette situation (…). Et finalement, nous [OSC

islamiques], nous avons compris à travers certaines dispositions de ce code [celui de 2009 notamment] qu’ils [les bailleurs de fonds] veulent standardiser

une culture, leur culture; Cela ne peut pas marcher. Aujourd’hui, les Occidentaux ont imposé [au reste du monde] une économie qui est l’économie de marché, c’est cette économie qui est la norme aujourd’hui partout dans le monde. Ils ont imposé également la démocratie, la vision unique de la démocratie, c'est-à-dire la vision occidentale de la démocratie, et ils sont en train de faire de cela une norme internationale. L’Occident est en train de créer des standards dans tous les domaines, et ces standards sont collés, étiquetés sur la base de sa culture. Et ils veulent les faire passer partout. [Par

exemple], les normes qui régissent les femmes au Mali doivent être les mêmes

qu’au Sénégal, aux États-Unis, en France, en Chine, en Grande-Bretagne, ça, ça ne peut pas marcher. Ça peut marcher pour des matières scientifiques parce que les données scientifiques sont des données universelles, il n’y a aucun problème, le médicament qui guérit le cancer au Mali peut le guérir en Chine.

Par contre, on ne doit pas obliger les Maliens à se marier comme les Français le font chez eux, c’est ça qui pose problème. Si en Médecine, en Économie, de telles choses passent, en ce qui concerne les matières sociales, ça passera difficilement. De toute façon, nous protesterons et empêcherons l’adoption des textes qui ne collent pas à nos réalités, si les bailleurs veulent, ils n’ont qu’à couper l’aide, nous n’allons jamais mourir ».

Les propos de l’éditorialiste pro-islamique Samba vont dans le même sens que les arguments de Moumine :

« Pour le plaidoyer [en faveur de l’adoption du code], l’ambassadrice canadienne (…) était fortement impliquée comme partie prenante. Cette idée d’universalité sociale et culturelle, de "mondialisation familiale" ne tient pas la route. Nous, pays dominés, pays pauvres, on peut tenter de nous formater dans des carcans, mais cela ne sera jamais le cas pour la Chine, pour le Japon.

[Que] chacun garde sa culture, ses convictions profondes, son idéal social, on

peut comprendre, mais vouloir nous dire que le monde a évolué, que la liberté voudrait qu’on laisse à chacun sa liberté sexuelle, et que pour ces raisons, on nous impose [par exemple] l’homosexualité comme quelque chose de naturel, de normal (…), cela est inadmissible, et ça heurte quelque part notre tissu social vieux de plusieurs siècles, voire des millénaires. Chez nous, c’est un problème. La vérité est que ce qu’on a voulu proposer [le code de 2009] déstructure notre société, notre sous-bassement social et culturel. En réalité, c’est un petit lobby activiste appuyé par les Occidentaux qui était derrière ce code, heureusement que les organisations islamiques ont défendu nos valeurs ». Partageant ces idées, Moumine du Haut Conseil Islamique estime que ce sont bien les bailleurs de fonds qui ont fait pression sur les autorités afin qu’elles élaborent le code :

« Ce sont les PTF qui ont fait pression, les députés le savent et ils l’ont dit. Les

bailleurs de fonds ont exigé, et même sommé le gouvernement à organiser une session extraordinaire [à l’Assemblée nationale] pour faire adopter le code de la famille (…). C’est pourquoi ils [les députés] n’ont même pas eu le temps de

[le] lire avant de voter. Le document a été déposé sur leur table seulement 15

choses à faire parallèlement? Vu que c’est un document qui engage la vie de toute une nation, les députés auraient dû l’avoir deux mois avant le vote pour pouvoir mieux s’imprégner de son contenu ».

L’Union Nationale des Associations des Femmes Musulmanes critique aussi la « nouvelle conditionnalité de l’aide » au Mali, à savoir l’élaboration du code de la famille « sur la base de leur vision de la femme et de ses rapports avec l’homme ». Critiquant l’attitude des Occidentaux qui, selon elle, imposent aux Maliens un texte inadapté à leurs réalités, Korotoumou, une responsable de l’UNAFEM, illustre sa position en ces termes : « Si on met le toit d’une case sur une autre, pensez-vous

que cela marchera? » Elle répond par la négative, car pour elle, « le toit en question sera soit plus petit, soit plus grand par rapport à la deuxième case [donc,

incompatibles] ».

Si les protestataires ont présenté le code comme « une imposition de l’Occident », « une nouvelle conditionnalité de l’aide », cet argument a été rejeté par les acteurs qui défendaient le texte, à savoir les OSC féminines, les militants des droits de l’homme ainsi que les responsables du Ministère de la Justice et de celui de la Promotion de la Femme. Pour la plupart d’entre eux, cet argument a été choisi par les protestataires dans le but de « pousser à un soulèvement contre le code ». La chercheuse et féministe Fatou a, quant à elle, une toute autre lecture de la question :

« Dire à ses militants et à la population que l’adoption du code était une condition posée par les bailleurs de fonds pour octroyer leur aide au Mali n’était pas vrai. En réalité, depuis plusieurs années, le Mali a ratifié de nombreuses conventions internationales qui exigeaient des États signataires, l’harmonisation de leurs législations nationales. Par exemple, dans le cadre du suivi de la mise en œuvre de la convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’endroit des femmes, le Mali produit des rapports. Ce sont ces rapports qui montraient le retard avec lequel le Mali procédait à l’harmonisation de ces textes. À plusieurs reprises, le Mali a été interpellé par les autres pays à accélérer les réformes nécessaires pour prendre en compte les disposions discriminatoires envers les femmes. Des fois, les partenaires

financiers attiraient son attention sur ces réformes, mais jamais, cela n’a fait l’objet d’une conditionnalité de l’aide, il faut dire la vérité aux gens ».

Yaya, ancien cadre du Ministère de la Promotion de la Femme, de l’Enfant et de la Famille, partage cette opinion :

« Bien vrai que certains bailleurs de fonds comme le Canada, l’Union

européenne, les Pays-Bas, les États-Unis aient appuyé financièrement le processus d’élaboration du code, on ne peut pas les accuser d’avoir imposé au Mali une nouvelle conditionnalité de l’aide. Cet appui était juste un accompagnement du Mali par ses partenaires, rien que cela, ils l’ont fait et continuent de le faire dans plusieurs autres domaines. Il est très facile d’accuser, mais difficile de prouver ».

5.1.3 Pour les OSC féminines : un code « progressiste » qui « corrige » les