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Pour les groupes féministes : un principe en décalage avec les réalités contemporaines

CHAPITRE IV : Les principaux enjeux de la controverse entourant le code des personnes et de la

4.1. Le « devoir d’obéissance » de la femme à son mari

4.1.2. Pour les groupes féministes : un principe en décalage avec les réalités contemporaines

Comme on pouvait s’y attendre, ces arguments et explications en faveur du « devoir d’obéissance de la femme envers son mari » comme étant « une règle de l’Islam » ou « une valeur malienne » sont rejetés par les responsables d’OSC féminines. Par exemple, selon Batogoma, responsable d’une ONG de défense des droits de la femme :

« Il est facile de se cacher derrière la religion ou les soi-disant valeurs culturelles ou je ne sais quoi d’autre pour maintenir les femmes dans la domination. Cette obéissance est taillée sur mesure, les gens qui la défendent veulent que nous [les femmes] restions éternellement sous leur domination. En termes simples, cela veut dire que nous les femmes, puisque nous sommes considérées comme inférieures aux hommes, il faut que nous nous soumettions à tous leurs ordres, disons à tous leurs diktats. Il est inadmissible de prôner l’obéissance de la femme à l’homme en prétextant que c’est la religion qui l’a dit ou que ce sont nos valeurs. Il faut arrêter de se cacher derrière des arguments qui ont montré leurs limites ».

Tout comme Batogoma, Fatou, chercheuse et militante des droits de la femme, critique ceux qui pensent que « le devoir d’obéissance de la femme à son mari relève des valeurs culturelles maliennes ». Selon elle, les défenseurs de cette « disposition inégalitaire » oublient qu’il existe des règles culturelles qui « n’ont d’autres objectifs que de maintenir les femmes sous [la] domination [des hommes] ». Pour elle, « ce devoir d’obéissance » en est l’« illustration parfaite ». Donc, poursuit-elle, « ceux

qui parlent de la culture doivent savoir qu’on n’y trouve pas que des valeurs positives, il faut donc arrêter de nous parler tout le temps de valeurs culturelles, de ceci ou de cela. On ne peut pas continuer à se cacher derrière la culture pour exploiter les femmes ».

Après avoir souligné que le « devoir d’obéissance de la femme à son mari » est « anticonstitutionnel », de nombreuses OSC féminines ont proposé de remplacer la disposition par le « respect mutuel entre époux ». Pour elles, « le respect mutuel entre les époux » correspond mieux à l’évolution sociopolitique du pays marquée par la lutte contre les discriminations faites à l’endroit des femmes ainsi que la promotion de l’égalité de droits entre les sexes. Comme rappelle Batogoma, cette disposition avait été abordée lors des concertations et ne devrait plus faire l’objet de discussion, car, ceux qui s’y opposent (les OSC islamiques principalement) avaient fini par l’accepter. Selon elle, « lorsqu’on est allé en 2009 pour l’adoption du code,

après cela qu’il y a eu des remous ». Pour de nombreuses OSC féminines, de plus,

ce « devoir d’obéissance » de la femme à son mari est en décalage avec les réalités maliennes contemporaines. Selon elles, si au début des années 1960, notamment avec l’adoption du code du mariage et de la tutelle, les femmes ont accepté le devoir d’obéissance de la femme sans réaction, c’est parce que cela « ne causait pas de problème » en tant que tel chez elles au regard du contexte sociopolitique et culturel qui prévalait en ce moment. Par contre, aujourd’hui, les femmes ne peuvent pas accepter de telle disposition dans un code aussi important qu’est celui des personnes et de la famille. C’est ce qu’explique Fatou, chercheuse et militante des droits de la femme :

« Cette disposition figurait également dans le code de 1962. Culturellement et

sociologiquement, c’est une disposition qui ne causait pas de problème. Elle ne dérangeait pas. La femme peut obéir à son mari sans que cela soit une humiliation pour elle. Cependant, avec le nouveau code, nous nous sommes opposées à cette disposition, car la situation a bien évolué, nous avons constaté que ce devoir d’obéissance de la femme à son mari est à l’origine de beaucoup de conflits au Mali. Les contextes et les réalités sont maintenant différents. Si cette disposition n’avait pas fait de problème depuis l’adoption du code du mariage et de la tutelle en 1962, c’est parce que les femmes étaient en général dans les familles pour la cuisine. Aujourd’hui, elles sont instruites, ont des diplômes et ont des responsabilités, et si elles vaguent à leurs occupations sans l’avis du mari, celui-ci parlera de désobéissance, donc, c’est normal que les femmes rejettent aujourd’hui ce devoir d’obéissance. Par exemple, une femme qui travaille dans la fonction publique ou dans un organisme, qui a beaucoup de responsabilités, si elle décide par exemple d’aller en mission alors que son mari s’y oppose, celui-ci peut se prévaloir de ça pour dire que voilà, je t’ai dit de ne pas partir, mais tu es partie, tu m’as désobéi. Ceci donne facilement au mari une raison de divorcer avec sa femme. Voilà pourquoi il faut enlever cette disposition dans le nouveau code de la famille ».

Certaines responsables d’OSC féminines comparent le « devoir d’obéissance de la femme à son mari » à une forme de « subordination » de cette dernière. Pour

l’homme, ou « une personne à sa merci ». Pour d’autres responsables d’organisations féminines, cette « supériorité supposée » à laquelle fait allusion cette disposition est sans fondement. C’est ce que souligne par exemple Farima, responsable d’une organisation de défense des droits de la femme :

« Les hommes ne sont nullement supérieurs aux femmes. L’idée de supériorité doit à présent céder le pas à l’égalité entre l’homme et la femme. Dès lors donc que cette égalité saute aux yeux de tous ceux qui veulent voir clair, la soumission de la femme à l’homme ne peut plus être à l’ordre du jour (…). Du coup, tous les dogmes qui l’accompagnent doivent disparaître et laisser place à la clairvoyance de la raison discursive à l’aube du troisième millénaire si le Mali doit répondre présent au rendez-vous du donner et du recevoir universels. La femme ne doit plus obéissance à l’homme. Dans les foyers, l’obéissance désuète doit céder la place au respect mutuel entre l’homme et la femme. Car, celle-ci n’est pas un sous-être sur lequel le mâle doit agir à sa guise. Il est temps que les mentalités évoluent si on veut réellement progresser et aller de l’avant ».

Un autre argument mis en avant par les OSC féminines pour rejeter le retour du « devoir d’obéissance de la femme à son mari » dans le nouveau code des personnes et de la famille est que cette disposition a été dans le passé à l’origine de plusieurs divorces. Pour de nombreuses femmes interviewées sur le terrain, cette disposition qui figurait textuellement dans l’ancien code du mariage et de la tutelle (1962-2011) a laissé de mauvais souvenirs aux femmes, d’où leur hostilité. En effet, selon elles, de nombreuses femmes ont vu leur mariage finir en divorce à cause de cette disposition, car, pour « un simple acte ou propos » de leur part, leurs époux disaient qu’elles ne leur avaient pas obéi. Comme le souligne Binta, responsable d’une ONG féminine: « Dans un mariage où cette obéissance est prise à la lettre, dès que la

femme fait quelque chose, son mari dit qu’elle ne lui obéit pas ». Batogoma,

responsable d’une ONG qui lutte contre les violences faites aux femmes au Mali abonde dans le même sens :

« Cette disposition a créé beaucoup d’ennuis pour les femmes, car même si

l’homme dit par exemple à sa femme de lui donner de l’eau de bain et que cela trouve qu’elle n’est pas disponible, il fera de ça un prétexte pour aller devant les juridictions, attaquer sa femme pour manque d’obéissance, ou la divorcer tout simplement. Ça, c’est des choses très regrettables. Comme on le voit, cette disposition fait de la femme une éternelle mineure dont tous les actes et tous les agissements sont assujettis à l’autorisation de son époux qui peut, dans la pratique, abuser de ce droit. En effet, de nombreux divorces sont prononcés sur la base de cette disposition, la désobéissance étant considérée comme une injure à l’égard du mari ».

En plus du « devoir d’obéissance » de la femme à son mari, la légalisation du mariage religieux en matière d’héritage était au cœur de la controverse autour du code de la famille.