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CHAPITRE II : Cadre théorique et questions de recherche

3.1 Démarche méthodologique

3.1.1 La collecte des données

3.1.1.6 Les Entretiens

Selon Poupart, « Les entretiens constituent une porte d’accès aux réalités sociales en misant sur la capacité d’entrer en relation avec les autres » (Poupart, 1997 : 173). C’est la méthode la plus efficace pour rendre compte du point de vue des acteurs (Savoie-Zajc, 2009; Poupart, 1997). C’est « un outil privilégié d’obtenir rapidement des informations pertinentes (…). Le talent du sociologue est (…) de repérer des personnes ressources lors de son enquête, celles dont la connaissance ou le degré d’implication est tel qu’elles sont des « mines d’information » ou de « bons représentants » du groupe ou du phénomène à étudier » (Mendras & Oberti, 2000 :

Très généralement, trois types d’arguments sont évoqués pour justifier le choix de l’entretien de type qualitatif :

« Le premier est d’ordre épistémologique : l’entretien de type qualitatif serait nécessaire parce qu’une exploration en profondeur de la perspective des acteurs sociaux est jugée indispensable à une juste appréhension et compréhension des conduites sociales. Le deuxième type d’argument est d’ordre éthique et politique : l’entretien de type qualitatif apparaît nécessaire parce qu’il ouvrirait la porte à une compréhension et à une connaissance (…) des enjeux auxquels font face les acteurs sociaux. On relève finalement [un troisième type qui concerne] des arguments méthodologiques : l’entretien de type qualitatif s’imposerait parmi les « outils d’information » susceptibles d’éclairer les réalités sociales, mais, surtout, comme instrument privilégié d’accès à l’expérience des acteurs » (Poupart, 1997 : 174)

Puisque notre recherche vise à connaître les principaux enjeux de la controverse autour du code des personnes et de la famille, nous avons trouvé nécessaire de réaliser des entretiens individuels semi-directifs6 avec les principaux

acteurs impliqués dans ce processus. Ces entretiens visaient à compléter ou approfondir les données issues de la littérature grise ou scientifique (ou provenant des autres sources), notamment sur l’historique et le contexte d’élaboration du code, les causes de la polémique, les articles et dispositions controversés, les principaux enjeux défendus par les différents groupes sociaux, les stratégies adoptées (répertoires d’action collective, canaux de communication et jeux d’alliances) afin de défendre leurs positions respectives. D’une durée comprise entre 1 heure et 1 heure 50 minutes, ils nous ont permis d’avoir des données assez variées permettant de répondre à notre question de recherche, notamment en ce qui concerne le contexte dans lequel le code a été élaboré, les enjeux de la controverse ainsi que les stratégies des acteurs. Ces entretiens ont été réalisés à l’aide de grilles d’entretien.

6 Selon Savoie-Zajc, « L’entrevue semi-dirigée consiste en une interaction verbale animée de façon souple

par le chercheur. Celui-ci se laissera guider par le rythme et le contenu unique de l’échange dans le but d’aborder, sur un mode qui ressemble à celui de la conversation, les thèmes généraux qu’il souhaite qu’il souhaite explorer avec le participant à la recherche. Grâce à cette interaction, une compréhension riche du phénomène à l’étude sera construite conjointement avec l’interviewé » (Savoie-Zajc, 2009: 340).

Ces grilles d’entretien ont été construites en référence à la grille théorique (approche théorique) (voir ci-dessus pour plus de détails). Principalement, elles comportaient les thèmes et sous-thèmes suivants : historique et contexte d’élaboration du code, principaux acteurs du processus et leurs positions (OSC féminines, islamiques et chrétiennes, l’État), adoption et rejet de la première version du code en août 2009 (principaux articles ou dispositions en cause), principaux enjeux de la polémique : enjeux sociaux (légalisation du mariage religieux, âge au premier mariage de la fille, « devoir d’obéissance » de la femme à son mari, succession et héritage, divorce, répudiation…), politiques et religieux, stratégies mises en place par les acteurs (actions collectives menées, moyens de communication utilisés, alliances tissées avec d’autres acteurs), la seconde version du code (contexte, particularité, principales modifications), le financement du processus (les partenaires financiers ayant appuyé le processus).

Sur les 31 entretiens réalisés, 29 l’ont été en français (langue officielle du pays), et 3 en bambara (la langue nationale la plus parlée). Comme ci-dessus indiqué, le lieu et le moment de l’entretien étaient toujours établis en commun accord avec les interviewés. Ce qui fait que certains entretiens ont été réalisés pendant le week-end, ou, parfois, après les heures de services.

Tous ces entretiens ont été enregistrés, notamment à l’aide d’un enregistreur numérique, sauf pour les interviewés qui ont refusé de donner leur accord à cet effet. Il faut signaler que ces cas sont nombreux, car ils concernent quatorze (14) interviews sur les trente et une (31) réalisées. Cette situation s’explique en partie par le fait que le code des personnes et de la famille est considéré comme un sujet très sensible au Mali au regard des vives tensions soulevées par son adoption en août 2009, et des menaces de mort reçues par les principaux acteurs qui le soutenaient. Une autre explication est le lien que certains Maliens (en général ceux qui

au motif que celui-ci était anti-islamique et ce qui se passait au nord du pays, à savoir l’occupation de cette zone par les djihadistes/islamistes radicaux dont l’objectif était l’application de la charia sur l’ensemble du territoire malien. Les interviewés (militants des droits de la femme, ou ceux des droits de l’homme en général) qui, au début, soutenaient l’adoption du code, étaient les plus nombreux à refuser à ce que leurs interviews soient enregistrées. On peut comprendre tout cela quand on sait que ces interviews se sont déroulées au début de l’intervention des forces militaires internationales au Mali pour y chasser les djihadistes, cela, avec des craintes d’attentats que cela pouvait occasionner comme ce fut le cas dans d’autres pays comme en Afghanistan, au Pakistan ou en Irak. Certains interviewés indiquaient aussi qu’ils ne pouvaient pas dire certaines « vérités », ou « dévoiler des secrets » relatifs à la polémique autour du code, si nous tenions à enregistrer leurs entretiens. Pour ces cas spécifiques, nous étions obligés de faire l’entretien sans les enregistrer, nous nous contentions des prises de notes. Toutefois, immédiatement après ces entretiens, nous arrangions à faire une première synthèse des idées essentielles de l’entretien.

En ce qui concerne les entretiens enregistrés, il faut noter qu’ils ont tous été retranscrits intégralement pour des fins d’analyse. Ils l’ont été immédiatement après notre retour du terrain en début de mai 2013.

Vu le temps et nos moyens limités, nous avons estimé qu’une trentaine d’entretiens individuels étaient suffisants pour nous permettre de mieux cerner notre question de recherche. Car, comme le note bien Michelat, « l'expérience montre

qu'en général, au-delà de trente ou quarante entretiens, les entretiens supplémentaires n'apportent plus une information suffisante pour justifier l'augmentation du corpus » (Michelat, 1975: 245). Les résultats de ces entretiens

nous permettent ainsi de mieux répondre à notre question de recherche et, d’atteindre la saturation empirique selon Pires (1997). Pour ce dernier, la saturation empirique qui s’oppose à la saturation théorique fait référence :

« au phénomène par lequel le chercheur juge que les derniers documents, entrevues ou observations n’apportent plus d’informations suffisamment nouvelles ou différentes pour justifier une augmentation du matériel empirique (…). Elle remplit deux fonctions principales : d’un point de vue opérationnel, elle indique à quel point le chercheur doit arrêter la collecte de données, lui évitant un gaspillage inutile de preuves, de temps et d’argent ; d’un point de vue méthodologique, elle permet de généraliser les résultats à l’ensemble de l’univers de travail (population) auquel le groupe analysé appartient (généralisation empirico-analytique) » (Pires, 1997 :157).