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Pour les groupes islamiques : un principe social et religieux fondamental au Mali

CHAPITRE IV : Les principaux enjeux de la controverse entourant le code des personnes et de la

4.1. Le « devoir d’obéissance » de la femme à son mari

4.1.1. Pour les groupes islamiques : un principe social et religieux fondamental au Mali

indique que quatre principaux enjeux étaient au cœur de la controverse autour du code des personnes et de la famille au Mali : le devoir d’obéissance de la femme à son mari, la légalisation du mariage religieux, l’égalité entre filles et garçon en matière d’héritage, et enfin, la reconnaissance des enfants nés hors mariage. Dans les sections suivantes, nous analysons chacun de ces enjeux, en contrastant les points de vue des deux principaux groupes d’acteurs impliqués dans ce processus, à savoir les organisations islamiques (et leurs alliés) d’une part, et les organisations féminines (et les leurs), d’autre part.

4.1. Le « devoir d’obéissance » de la femme à son mari

4.1.1. Pour les groupes islamiques : un principe social et religieux fondamental au Mali

Un des sujets à l’origine de la controverse autour du code des personnes et de la famille était celui du « devoir d’obéissance de la femme à son mari ». Il faut rappeler que cette disposition a été introduite dans la législation malienne en 1962, notamment à travers l’article 32 du Code du mariage et de la tutelle (CMT) qui indiquait que « Le mari doit protection à sa femme, et la femme, obéissance à son

époux ». Dans le cadre de l’élaboration du récent code des personnes et de la

famille, les OSC féminines avaient demandé la suppression de cette disposition qui, pour elles, renvoie à « l’esclavage de la femme par son mari ». En argumentant que « cette obéissance fait partie des valeurs islamiques et des réalités socioculturelles maliennes », les OSC islamiques se sont, quant à elles, opposées à la position des organisations féminines et ont défendu la disposition. Pour elles, le Mali est un pays majoritairement musulman, et « l’Islam recommande que la femme se soumette à son mari ». Pour Morikè du Haut Conseil Islamique du Mali, « cela n’a rien à voir avec l’esclavage ».

Suite à la pression des OSC féminines et des militants des droits de l’homme, la première version du code des personnes et de de la famille, adoptée en août 2009, avait supprimé la disposition du code du mariage et de la tutelle de 1962 qui obligeait les femmes à se soumettre à leurs maris. Ainsi, l’ancienne disposition de 1962, à savoir « Le mari doit protection à sa femme, et la femme, obéissance à son

époux » avait été remplacée dans le code de 2009 par la suivante : « Les époux se doivent mutuellement fidélité, protection, secours et assistance. Ils s’obligent à la communauté de vie sur la base de l’affection et du respect ». Malheureusement,

cette nouvelle disposition qu’on pouvait qualifier de « progressiste », ne durera pas longtemps, car en 2011, suite à la relecture du code après son rejet (en 2009) par les OSC islamiques, elle sera à nouveau remplacée par « le devoir d’obéissance de la femme à son mari ». Cette disposition fait ainsi son retour dans la législation malienne régissant les rapports familiaux. En effet, le retour de cette disposition dans le code de la famille de 2011 peut être considéré comme une « victoire » pour les OSC islamiques, et un « recul en arrière » ou un « échec » pour les OSC féminines. Il faut par ailleurs noter que le « devoir d’obéissance de la femme à son mari » fait l’objet de plusieurs interprétations chez les acteurs sociaux rencontrés sur le terrain comme en témoignent leurs arguments, soit pour défendre la disposition ou la rejeter. Ainsi selon les OSC islamiques, l’obligation pour la femme d’« obéir à son mari » fait partie des règles de l’Islam et des valeurs socioculturelles du Mali. Pour étayer ce que dit l’Islam à propos de « l’obéissance de la femme à son mari », Mahama, membre du Haut Conseil Islamique et de l’AMUPI, rappelle ce que le prophète disait à ce sujet :

« Le prophète a dit aux femmes que même si leurs maris leur disent de laisser

les prières surérogatoires [celles qui ne sont pas obligatoires comme les cinq

prières quotidiennes], elles doivent les laisser. La femme doit rester toujours

derrière son mari, respecter ses paroles. Même si son père (ou autre parent) meurt, tant que son mari ne lui donne pas le feu vert, elle ne doit pas aller aux obsèques. La femme doit donc toujours obéir à son mari, faire ce qu’il lui dit de

Selon Moumine du Haut Conseil Islamique du Mali qui est très critique à l’endroit de ceux qui s’opposent à l’obéissance de la femme à son mari, ce « principe religieux » fait partie de la culture malienne. Il en veut pour preuve que lorsque c’est présenté en Bambara (langue nationale la plus parlée), « ça passe » bien :

« Ce que les gens disent est réel : la langue est culturelle. Quand tu réfléchis, tu débats dans une autre langue, si tu ne fais pas attention, tu vas perdre beaucoup de ton repère. Si les mots étaient traduits dans notre langue, les gens n’auraient eu aucun problème avec ça, il n’y aurait aucune contestation. La preuve est que les femmes mêmes qui étaient dans la salle de l’Assemblée nationale au moment des débats étaient d’accord que " mousso ka kan ka kolo a cè ye " (« la femme doit se soumettre à son mari » en langue bambara), elles étaient d’accord que " mousso kan ka ka a cè bogna " (la femme doit respecter son mari en langue bambara), mais lorsqu’on prend le français et qu’on dit que la femme doit obéissance à son mari, ça prend d’autres connotations, et finalement, ça trompe les gens. C’est ce que tout le monde (députés, féministes, nous-mêmes organisations islamiques) a tiré comme conclusion. Tant qu’on va continuer à réfléchir dans une autre langue, une langue qui est collée à la réalité culturelle d’autres pays, on ne pourra que réfléchir comme eux. Nous avons parlé d’obéissance, mais pas dans le sens de l’adoration ».

D’autres acteurs rencontrés abondent dans le même sens et soulignent que le « devoir d’obéissance » de la femme à son mari fait partie des « valeurs maliennes ». C’est le cas de Modibo Sangaré, président de l’Union Nationale pour la Renaissance (UNPR) (un parti politique malien), qui, au cours d’un meeting après le rejet du code en 2009, affirme : « Unanimement dénoncé par toutes les couches sociales de

notre pays, ce code viole à travers le devoir d’obéissance de l’épouse, les éléments culturels qui fondent notre particularité au niveau africain et international ».

Ce point de vue est partagé par l’éditorialiste pro-islamique Samba qui dit : « L’obéissance de la femme à son mari fait partie de nos valeurs sociales et culturelles, et s’opposer à ça, c’est remettre en question nos valeurs. En effet, l’obéissance de la femme à son mari est un phénomène sociétal, ça n’a rien à voir avec l’infériorisation de la femme. Toi Koné, Bambara que tu es, tu

n’accepteras pas que ta femme ne t’obéisse pas. Et ta femme, qu’elle soit Bambara, Sénoufo, Peule ou songhaï [noms de quelques ethnies du Mali], si elle a été éduquée dans nos milieux ici, elle va t’obéir ».

Pour lui, l’obéissance de la femme à son mari n’est en rien synonyme de l’infériorité de la femme, c’est au contraire quelque chose qui est valorisée dans la société malienne :

« Une chose est certaine, même si on met l’égalité homme-femme dans nos

textes de loi, qu’on parle de la non-obéissance de la femme à son mari, je suis certain que nos femmes vont toujours nous obéir. Par exemple, c’est un déshonneur pour moi qu’après le mariage de ma fille, qu’on vienne me dire qu’elle n’obéit pas à son mari, je préfère la mort à cela parce qu’on va dire que je ne l’ai pas éduquée. Voilà le problème. On n’a pas les mêmes valeurs [que

l’Occident], on n’a ni les mêmes idéaux ni les mêmes aspirations quant à la

société, aux formations sociales, etc. On a des visions différentes, voilà pourquoi, tout le reste c’est des histoires. Et l’Islam n’a rien à voir avec ça. Voilà la vérité ».

Samba va plus loin en disant que si les « militantes féministes » rejettent aujourd’hui « l’obéissance de la femme à son mari » alors que cette disposition existe au Mali depuis 1962, on doit comprendre qu’elles sont « influencées par l’extérieur » :

« Malheureusement, si le débat est porté par une catégorie de leaders féministes par rapport à toute la masse de femmes maliennes, vertueuses et respectueuses des valeurs sociales et religieuses, ça pose un problème et ça devient comme un truc dicté de l’extérieur par ces gourgandines pour travestir la femme malienne. Voilà en réalité le problème! ».

En réalité, les féministes sont conscientes de cette rhétorique religieuse et culturelle sur le « devoir d’obéissance de la femme à son mari », c’est pourquoi, elles essaient de l’utiliser en mettant en avant l’idée que dans la loi islamique, l’individu n’obéit qu’à Dieu. Pour sa part, Binta, militante des droits des femmes, exprime sa peur des conséquences que peut engendrer la mauvaise interprétation du mot « obéissance » :

« Dans un mariage où cette obéissance est prise à la lettre, dès qu’une femme fait

quelque chose, le mari dit qu’elle ne lui obéit pas. Alors que dans la loi islamique, l’individu n’obéit qu’à Dieu ». Pour elle, il n’est pas permis pour un individu

d’obéir à un autre individu, l’homme ne peut et ne doit obéir qu’à Dieu seulement. Il faut pourtant noter que les responsables d’OSC islamiques connaissent ce type d’argumentation et tente de le détourner en faisant la distinction entre « obéissance » et « adoration ». C’est le sens des propos de Moumine du Haut Conseil Islamique lorsqu’il dit que :

« Les féministes confondent obéissance et adoration. Quand on parle

d’obéissance, il s’agit de se soumettre à son mari, de respecter ce qu’il dit et d’éviter ce qu’il ne veut pas, mais jamais de l’adorer, car il n’est pas un Dieu. Donc, quand on dit que la femme doit obéir à son mari, elles [les féministes] montent au créneau pour dire que l’homme est devenu un Dieu que la femme doit adorer. Encore une fois, on parle d’obéissance, de soumission, mais jamais d’adoration. Il ne faut pas mélanger les choses et créer la confusion dans la tête des gens ».

Pour étayer davantage ses explications et montrer qu’il y a bien une distinction entre obéissance et adoration, il prend l’exemple de la soumission d’un enfant à ses parents qui, pour lui, relève de l’obéissance et non de l’adoration. Donc, pour lui, il s’agit bien d’une « obéissance » de la femme à son mari, et non d’une adoration :

« Nous avons fait beaucoup de débats autour de cette question de soumission [entendre par là l’obéissance]. En fait, on a même ramené la soumission à celle

des enfants envers leurs parents. Le mot soumission ou obéissance est même dans le code à deux niveaux : d’un côté, il est dit que le mari est le chef de famille, qu’il doit protection à sa femme, et que sa femme doit lui obéir. De l’autre côté, il est dit que les parents doivent protection à leurs enfants, et que les enfants leur doivent obéissance. C’est un peu comme ça. Donc, non seulement, ils [tous ceux qui défendaient le code au départ, principalement les

militants et militantes des droits des femmes] avaient supprimé l’obéissance du

côté de la femme à l’égard de son mari, mais aussi, du côté des enfants à l’égard de leurs parents. Nous, nous avons dit que cela pose problème ».

Selon Cheikna, un journaliste qui a écrit de nombreux articles sur les débats autour du code des personnes et de la famille, « les femmes, contrairement à ce que certains croient, ont toujours été respectées au Mali ». Pour lui, ce n’est pas parce que les femmes sont invitées à «obéir » à leurs maris qu’elles ne sont pas respectées, bien au contraire :

« Dans plusieurs de nos sociétés maliennes comme chez les Soninkés par exemple, c’est la mère qui prime. En bambara, l’épouse est appelée « kôrômousso » (traduction : grand-sœur). Les gens appellent leurs propres épouses comme telles alors qu’ils sont plus âgés qu’elles. Ça, ce n’est pas du respect envers la femme? Une autre chose à souligner est la confiance. Dans nos sociétés traditionnelles, le chef de guerre du roi a toujours été l’enfant de sa sœur, à savoir son neveu. Le roi faisait toujours plus confiance à l’enfant de sa sœur qu’à ses propres enfants ou à ceux de ses frères. Donc, la confiance était toujours du côté matrilinéaire. Donc, il ne faut pas qu’on lise notre société à travers le regard des autres. Pourquoi on se fie à l’argumentation ou à la vision des autres? Voilà pourquoi il y a trop de bruits inutiles autour du devoir d’obéissance de la femme à son mari, notamment par des féministes qui sont coupées des réalités de leur milieu et qui ne visent que les fonds extérieurs, cette question n’est même pas une préoccupation pour la majorité silencieuse des femmes maliennes, la preuve est que beaucoup d’entre-elles ont demandé à ce qu’on maintienne l’obéissance de la femme à son mari dans le nouveau code de la famille ».

4.1.2. Pour les groupes féministes : un principe en décalage avec les réalités