• Aucun résultat trouvé

L’échec des concours à trouver un véritable artiste

Chapitre 2. Les concours de musique internationaux

2.5 Les critiques émises à l’enc ontre des concours

2.5.1 L’échec des concours à trouver un véritable artiste

Une première ligne d’argumentaire stipule que la performance musicale est au-delà du jugement et de la critique d'un jury. La qualité artistique ne serait pas mesurable, et en l’occurrence, le système de classification des concours n’aurait

aucun sens car il s’agirait en réalité de différences stylistiques et non pas de différences de compétences. En ce sens, il est impossible d'établir un jugement objectif sur une affaire subjective et le jugement final ne pourrait dès lors être qu'arbitraire (McCormick, 2009). La procédure d’évaluation des concours échouerait ainsi à trouver le meilleur artiste.

Dans les entretiens, cette distinction entre une évaluation subjective et une évaluation objective renvoie à la distinction entre musique et sport. Sabina, une violoniste de 21 ans, participant au concours Reine Elisabeth, raconte ainsi qu’elle a participé auparavant à deux autres concours importants, qu’elle a gagnés. A la suite du dernier concours auquel elle a participé et gagné, elle s’est dit qu’elle ne voudrait plus participer à d’autres concours de musique. Elle a ainsi longtemps hésité, raconte-t-elle, avant de participer au concours Reine Elisabeth :

Ich dachte, eigentlich Wettbewerb und Musik passt nicht zusammen. Weil Wettbewerb ist mehr für Sport vielleicht. Musik ist... das kann man eigentlich nicht objektiv beurteilen, das ist immer subjektiv. Und wenn eine Jury dir Punkte gibt für etwas das du gespielt hast, dann ist das nicht ganz richtig für Musik, glaube ich. Musik ist Kunst und das ist nicht wie eine Maschine. Man kann das nicht messen, man kann nicht so wie im Sport wenn du läufst, da kann man nicht diese Zeit messen zum Beispiel. Es ist nicht wichtig wie schnell du bist oder wie perfekt aber es ist wichtig was man sagt und wie man es sagt. Und deswegen dachte ich Wettbewerb passt nicht zu Musik.20 (Sabina, violoniste)

20 Je pensais que compétition et musique, ça ne va pas ensemble. Parce que la compétition c'est plus pour le sport peut-être. La musique c'est… on ne peut pas l'évaluer de manière objective, c'est toujours subjectif. Et quand un jury te donne des points pour quelque chose que tu as interprété alors je crois que ce n'est pas très juste pour la musique. La musique, c'est un art et ce n'est pas comme une machine. On ne peut pas la mesurer, on ne peut pas comme dans le sport quand tu cours, on ne peut pas mesurer ce temps par exemple. Ce n'est pas important à quel point on est rapide ou à quel point on est parfait mais c'est important ce que l'on dit et comment on le dit. Et pour cette raison, je pensais que compétition ne va pas avec musique.

Afin de dépasser ce problème, les jurés se concentreraient dans l'évaluation sur des aspects quantifiables tels que la technique, la virtuosité, la puissance du son ou la capacité de jouer sans erreurs mais échoueraient ainsi à reconnaître un véritable artiste et une réelle musicalité (McCormick, 2009). Cet argument est également souligné par un violoniste que nous avons interrogé lors d’une classe de maître. Celui-ci a un discours extrêmement critique et bien rôdé à l’égard des concours, bien qu’il ait déjà participé à plusieurs compétitions internationales. Il n’y a par contre encore jamais gagné de prix. Il continue à faire des concours, dit-il, pour le degré d’exigence que la préparation lui demande, qu’il ne peut trouver lui-même21.

On sait comment ça se passe. On sait qu’il y a un jury avec un stylo en train de faire des barres à chaque erreur et ce n’est pas possible. (…) Là, on arrive dans un gros concours international et on peut voir une bordée de professeurs. Alors là, ils sont tous là avec leurs écoles différentes et ils se rejoignent sur une chose généralement, c’est l’erreur. Et comme ils se prennent tous pour des très, très grands musiciens - parce que forcément vu leurs egos et vu leurs échecs dans leurs vies, on en a tous c’est normal - du coup je ne pense pas qu’ils vont se dire : « lui, son Brahms, il le joue un peu trop viennois ou ce n’est pas assez allemand ».

Je ne pense pas qu’ils se disent ça. (Raoul, violoniste)

Plus que ça, par leur jugement ils contribueraient à un formatage excessif de la performance des musiciens, infligeant, comme le dit Glenn Gould, une

« lobotomie spirituelle » (Horowitz, 1990, p. 16). Lisa McCormick (2009) souligne que dans le système « oui-non22 » dans les premières années du concours Van Cliburn et dans beaucoup d’autres compétitions, les performances avec prises de risques avaient tendance à diviser les jurys et étaient éliminées tôt dans la compétition. Bien que non intentionnellement, le concours Van Cliburn punissait

21 Ce point sera abordé à nouveau dans le quatrième chapitre.

22 Il s’agit ici du système d’évaluation : oui ou non le candidat passe au prochain tour.

effectivement l’individualité et reconnaissait les musiciens qui jouaient de manière conventionnelle. Ce point sera à nouveau abordé dans le troisième chapitre sur la manière de jouer des candidats face au jury. Comme nous le verrons, les concours peuvent en effet avoir un effet sur manière de jouer de certains candidats, produisant de cette manière un formatage sur les musiciens qui privilégieraient une manière d’interpréter une œuvre sans prendre de risques, afin d’être dans une moyenne et de plaire un peu à tous les membres du jury. Ce même point sera également repris dans le quatrième chapitre, dans lequel nous verrons, qu’au contraire, à qualité technique égale c’est la personnalité de l’interprète qui fera la différence et que dès lors l’interprétation « moyenne » n’est pas forcément la meilleure stratégie pour les candidats.