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La territorialisation des PNR à partir de 1967 et des CPIE à partir de 1972 montre la difficulté de l’adéquation d’un idéal conçu par des voies institutionnelles et technocratiques à des réalités locales fragmentées ou hétérogènes. Pour que ces dispositifs puissent passer d’une définition globale à une inscription locale, ils doivent s’inscrire dans des systèmes de relations sociales localisées, en intégrer les spécificités et générer, ainsi, de nouvelles régulations. Bien que leurs statuts soient différenciés, ces deux dispositifs ne doivent leur émergence au niveau local qu’à la négociation avec les acteurs locaux. La mise en œuvre négociée des politiques de développement local et environnemental illustre la transformation progressive des politiques territoriales d’aménagement. Progressivement, le modèle de régulation croisée laisse place à un modèle de gestion plus territorialisé au sein duquel l’objectif est de donner un contenu aux dispositifs de prescriptions des pratiques, toujours néanmoins orientés par l’Etat.

Le rôle de l’Etat, à travers les logiques de cooptation, reste en effet très important dans ces dynamiques d’inscription locale (Lascoumes, 2012 ; Lucas, 2012). Dans le cas de l’administration de l’environnement en effet, certains hauts-fonctionnaires entretiennent des liens étroits avec le monde intellectuel et scientifique et les milieux socioprofessionnels administrés par les ministères. Ainsi, les connaissances et les orientations politiques sur l’environnement sont avant tout construites par la mise en place d’un réseau relationnel qui privilégie la proximité des membres et leur notoriété, au détriment d’une approche plus intellectuelle et exploratoire (Charvolin, 1997, 2003). Autrement dit, la connaissance de

l'environnement procède par la mise en place d'un réseau relationnel où l'assortiment des compétences pour explorer l'environnement passe par une utilisation des réseaux de connaissance des hauts fonctionnaires et où les collaborateurs tirent leur compétence, non pas d'une position objective de spécialiste scientifique d'un domaine, mais de membres du milieu qu'ils vont être chargés d'explorer. La notoriété acquise par certains hauts- fonctionnaires a son importance dans la mise en œuvre des procédures, comme le fait remarquer Catherine, la chargée de mission de l’Union Nationale des CPIE en poste à cette époque :

« Y’avait J.B. De Vilmorin qui disait « là je connais un élu, là, y’a le copain du préfet bidule, là y’a le préfet machin qui m’a envoyé un élu » […] Vilmorin avait sa toile »159.

Fort de ce réseau, l’administration est en capacité de négocier l’ancrage local des structures. Toutefois, si ce fonctionnement permet aux valeurs environnementales de se diffuser, il génère néanmoins un système bureaucratique dont les réflexions et décisions, élaborées au sein d’un milieu relativement mondain, sont parfois éloignées des réalités locales concrètes, ce qui nécessite pour l’administration de déployer des moyens conséquents à la persuasion des responsables politiques locaux.

Les PNR apparaissent, par exemple, pour de nombreux territoires, comme une ingérence extérieure et subissent parfois des attaques violentes. Ils sont confrontés, pêle- mêle, à la méfiance des milieux agricoles, à la réception ambigüe des élus et à la réaction défavorable de la population locale (Lucas, 2012). Les CPIE, quant à eux, cumulent, outre les moindres financements, d’autres freins. Nés, d’après un rapport d’évaluation160, dans une

« semi-clandestinité », « aux confins de l’administration » et « en dehors de tout schéma directeur »161, ils sont dépourvus de cadre juridique impliquant les élus locaux. Ainsi, leur

développement dépend encore davantage de l’existence d’une volonté socioéconomique susceptible d’accueillir mais aussi d’animer l’initiative gouvernementale. En l’occurrence, l’initiative locale, souvent plébiscitée, est en réalité une réponse à une sollicitation qui était longuement travaillée sur le terrain. La plupart du temps, le travail de la fonctionnaire rattachée au Ministère de l’Environnement et en charge de l’attribution du label consiste à vaincre les réticences en multipliant les réunions et les contacts de toutes sortes (porte-à- porte, réunions, coups de téléphone) avec les élus locaux auxquels elle a accès par son réseau de connaissances. Mais les premières structures mises sur pied ont ensuite pour vocation de créer un effet d’entraînement sur lequel le réseau peut ensuite s’appuyer :

159 Extrait d’un entretien réalisé avec Catherine, chargée de mission CPIE, contractuelle d’Etat au

Ministère de l’Environnement entre 1975 et 2009, et mise à disposition de la Commission Nationale puis de l’Union Nationale des CPIE.

160 Rapport de la mission d’évaluation et de prospective sur les CPIE, rédigé par Philippe Seguin,

auditeur à la Cour des Comptes, Avril 1977 (source : Archives du siège de l’UNCPIE, Paris).

« On peut encourager des initiatives qui nous sont signalées, en disant aux CPIE allez les voir et envoyez-les nous, mais nous on va pas vers eux, ah non ça non […] par contre on peut dire aux CPIE, faites-vous connaître ou envoyez-leur une doc…là c’est autre chose »162.

Ainsi, la complexification des problèmes posés par la modernisation agricole et les nouvelles aspirations environnementales conduisent l’Etat à développer des politiques publiques dans des domaines jusque-là peu investis. Mais au-delà des politiques réglementaires ou incitatives de développement local et environnemental, les sociétés rurales se recomposent sous l’effet des politiques dédiées aux loisirs et à l’animation socioculturelle, réinvestissant les héritages des mouvements de jeunesse. C’est dans cet héritage culturel au sens large que se comprend plus finement les origines du réseau local des ULAMIR, dont certaines entités seront plus tard labellisé CPIE.

3. L

E CONTEXTE DE L

ANIMATION SOCIALE ET CULTURELLE

La reconfiguration de l’espace rural finistérien sous l’effet conjoint de la modernisation et de la montée des considérations démocratiques et éco-orientées ouvre des perspectives pour le développement local et l’animation sociale et culturelle. En effet,le vide créé par la disparition des institutions traditionnelles de socialisation a des conséquences sur l’animation du milieu rural. Ce vide est progressivement comblé par l’action de l’Etat et de ses administrations qui encourage la professionnalisation de l’animation pour contribuer à la refondation d’un tissu social. C’est dans ce cadre que l’animation du milieu rural se transforme. Ces politiques mobilisent en particulier des pratiques anciennes, laïques ou religieuses, ayant eu exclusivement cours jusque-là dans les espaces urbains et dont l’héritage est désormais déplacé et reconfiguré au sein des espaces ruraux. Le réseau d’acteurs étudié est plus particulièrement concerné par les héritages de l’Education Populaire appliqué aux domaines des loisirs de nature et de la pédagogie « de terrain » en milieu rural.

3.1. L’héritage de l’Education Populaire

L’éducation de la jeunesse dans la nature

Jusqu’en 1960, les activités liées à l’enfance et à la jeunesse relèvent principalement de l’action des réseaux traditionnels de socialisation (patronages, groupes cléricaux, œuvres, etc.) et des fédérations d’éducation populaire (Augustin & Ion, 1993 ; Toulier, 2008). Ce sont les patronages, en tant qu’ensemble d’initiatives associatives destinées à venir en aide aux

162 Extrait d’un entretien réalisé avec Catherine, chargée de mission CPIE, contractuelle d’Etat au

Ministère de l’Environnement entre 1975 et 2009, et mise à disposition de la Commission Nationale puis de l’Union Nationale des CPIE.

classes populaires et aux plus pauvres qui, au cours du 19e siècle, constituent la première forme d’encadrement des jeunes enfants et adolescents en dehors des institutions familiales et scolaire. Placés sous la protection d’un saint patron, les patronages sont constitués à partir d’initiatives locales, paroissiales ou municipales, et proposent diverses activités lors des congés scolaires (sorties, jeux, sports, etc.) aux enfants de toutes origines sociales. L’encadrement des colonies de vacances dans les zones rurales et littorales est un des développements les plus emblématiques de ces activités (Lee Downs, 2009). Plus généralement, que ce soit à travers la pédagogie des scoutismes, le mouvement des auberges de la jeunesse ou de l'action confessionnelle, il se diffuse, dans les réseaux éducatifs, une conception de la socialisation récréative tournée vers la vie en plein-air.

Le développement des mouvements de jeunesse autour de la nature se situe au croisement de deux logiques, l'une hygiénique, de remise en question des conditions sanitaires du mode de vie urbain, et l'autre éducative, fondée sur un renouvellement de la relation entre le « corps et l’esprit ». Fondé sur des pratiques physiques d'endurance et de rusticité et, plus généralement, sur une mise à l’épreuve du corps, les organisations de jeunesse semblent trouver dans le recours à la nature une puissante base éducative en même temps qu'un moyen efficace de se moderniser (Fuchs, 2010). Plus précisément, l’introduction de l’itinérance et du camping dans les mouvements de jeunesse et notamment dans le mouvement scout associe au séjour dans la nature des vertus éducatives, fondées sur l’autonomie et les responsabilités collectives (Fuchs, 2008). Ces pratiques permettent, d’après J. Baubérot (2001), d’agir sur la nature profonde des jeunes garçons et de renforcer leur adhésion aux normes morales, civiques et religieuses. C’est d’ailleurs à travers ces pratiques que les mouvements scouts sont considérés avoir produit des « chefs » et des cadres, capables d’exercer une diversité de responsabilités dans la société en train de se moderniser (Mignon, 2007).

C’est autour des stratégies d’enrôlement de la seconde guerre mondiale que se renforce le lien entre mouvements éducatifs et les pratiques du milieu naturel. Elle est en particulier l’occasion pour les régimes autoritaires de promouvoir une éducation morale et physique réalisée en immersion dans des espaces isolés, devant alimenter le sentiment et la fierté nationale, que ce soit en préparation des combats ou à leur issue. En France, le gouvernement de Vichy a par exemple pour objectif central de participer à la création d’un homme nouveau capable de relever et rénover le pays. La jeunesse devient une préoccupation prioritaire du régime qui propose une politique spécifique visant, à travers la famille, l’école et les mouvements, à donner aux jeunes une formation physique, civique et morale susceptible d’assurer cette révolution nationale. Dans cette perspective, Vichy organise ses propres institutions de formation de cadres. Il créé les Maisons de Jeunes, les clubs de loisirs et les foyers d’éducation sociale et civique. Mais ce sont plus particulièrement les Chantiers de Jeunesse qui dispensent la formation conçue par le régime. A la vie urbaine, artificielle et malsaine est opposée la rusticité d’une nature éducatrice (Labattut, 1985). Les Chantiers font délibérément le choix de l’isolement pour que la

formation soit bénéfique et durable. C’est donc en pleine nature, dans un cadre sévère et parfois franchement hostile, que les groupements sont construits.  L’image d’une nature parée de toutes les vertus revient comme un leitmotiv et la symbolique d’une nature rédemptrice est intégralement reprise (Lascaud & Dutheil, 2002). Plus généralement, l’enrôlement physique et moral médiatisé par la nature, par ailleurs souvent décrite comme hostile, était un processus mis en œuvre par les régimes autoritaires d’Europe entre les guerres, en particulier par le régime nazi (Chapoutot, 2012).

D’autres formes de chantiers de jeunes émergent après la seconde guerre mondiale. Ces chantiers n’ont pas les mêmes objectifs que les chantiers de la jeunesse sous l’Occupation. Ils sont entrepris dans un esprit de reconstruction morale des hommes traumatisés par les combats et matérielle des bâtiments détruits par les affrontements ou dégradés par le temps. Dans ce projet global de reconstruction, le chantier à un caractère universaliste et il vise avant tout à solidariser les peuples; c’est pourquoi il prend d’emblée un caractère international. En travaillant à la rénovation du bâti, l’action des associations de chantiers participe à une revitalisation des villages. C’est à travers le soin porté à ce patrimoine public, conçu comme un élément d’une histoire commune, que les chantiers sont considérés comme favorisant la cohésion sociale. Une fois l’effort de reconstruction accompli et avec la démocratisation des activités de loisirs, les activités des chantiers de jeunes se diversifient à partir de la fin des années 1950. En concernant par exemple la construction d’un lieu de rencontre de jeunes, le ré-empierrement d’un chemin médiéval, l’aménagement d’un terrain de sport ou le nettoyage d’une rivière, ces chantiers renforcent leur importance dans le développement local des communes. Dans cette configuration, ces chantiers articulent plus nettement le lien entre une activité de loisirs conduite dans un milieu rural ou proche des espaces naturels et l’émergence du développement local, même s’il faudra attendre encore une vingtaine d’années pour que cette idée soit formalisée dans les politiques publiques d’aménagement.

A partir des années 1950, les activités liées à l’enfance et à la jeunesse évoluent davantage en milieu urbain sous l’effet de l’organisation et de la formalisation de politiques publiques (Augustin & Ion, 1993 ; Mignon, 2007). La dimension éducative autour de la nature s’inscrira progressivement dans ces politiques, par la réactualisation et la professionnalisation de son héritage.

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