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Le principal avantage d’une recherche en CIFRE est de permettre l’immersion et la participation observante, bénéfiques en matière de production de données :

« Cette méthode permet de vivre la réalité des sujets observés et de pouvoir

comprendre certains mécanismes difficilement décryptables pour quiconque demeure en situation d’extériorité » (Soulé, 2007 : 128).

L’enquête par observation a concerné autant la vie associative que les activités liées aux différents projets professionnels portés par l’association. Le degré d’implication dans mon observation pouvait, selon les cas, varier : de simple «observateur témoin » je pouvais devenir « co-acteur» (Olivier De Sardan, 1995) ou observateurs privilégiés, ne participant pas directement à l’action mais ayant accès aux informations matérielles et immatérielles. Je m'en tins d'abord, pendant environ six mois, à une phase d'observation durant laquelle je devais également répondre aux attentes liées à ma fonction de chargé de mission. Cette première étape du travail d'enquête avait une fonction d'immersion et d'imprégnation : je cherchais à m'approprier et à comprendre le terrain par la connaissance sensible que le chercheur de terrain «acquiert pour une grande part inconsciemment [...] par la pratique » (Olivier de Sardan, 1995 : 80). Je prenais alors part à de nombreuses arènes d’échanges, qu’elles soient directement reliées à l’activité de l’ULAMIR-CPIE (réunions d’équipe, rencontre avec les autres associations locales, les techniciens des collectivités, sur des sujets variés comme la biodiversité, les circuits-courts ou plus généralement la dynamique locale, organisation de

journées d’échanges, etc.) ou qu’elles se situent en dehors du cadre associatif (suivi de l’évolution de la politique locale, etc.).

La gestion autonome de projets m’a par exemple permis de me rendre compte concrètement des ressorts du métier d’animateur ou de chargé de mission (montage de dossiers de financement, animation d’un groupe de travail, gestion des mails, rédaction de compte-rendu, etc.). La gestion de projets couplée à ma participation aux activités quotidiennes de l’association me permettait d’être à l’interface des niveaux inter-individuel et inter-organisationnel du réseau. Cette démarche m’a plus particulièrement permis de recueillir de nombreuses informations non seulement sur les discours mais également sur les pratiques des professionnels côtoyés, de comprendre le fonctionnement et les enjeux (humains, techniques, financiers, etc.) de leurs professions (Demoulin & Tribout, 2014).

L’approche par participation observante ou immersion prolongée a été revendiquée par de nombreux chercheurs qui soulignent, à l’instar de R.C. Kohn, la valeur ajoutée du «

chercheur de l’intérieur » :

« Cette appartenance lui donne accès à des connaissances sur ce groupe social

auxquelles le chercheur venant de l’extérieur accède bien plus difficilement, et il peut entendre et comprendre des choses incompréhensibles à quelqu’un venant ponctuellement » (Kohn, 2001 : 20).

En effet, le processus d’intégration professionnelle dans lequel j’étais impliqué m’a donné accès à des moments privilégiés, à des discussions informelles entre collègues, à des moments d’intimité et de confidence, qui dépassaient largement le cadre professionnel, liés aux parcours de vie des salariés. Ces moments d’échanges, faisant par ailleurs partie intégrante des processus de socialisation professionnels me permirent de saisir l’importance de l’imbrication des rôles professionnels et personnels et, plus précisément, de voir ce que qu’une association d’Education à l’Environnement et de développement local met en jeu dans les trajectoires individuelles, ce que je n’aurais sans doute pas pu décrypter autrement. Ma posture scientifique accorde ainsi de l’importance au fait de partager l’histoire des acteurs que nous étudions parce qu’elle nous renseigne de manière significative sur ce que la dimension inter-personnelle met en jeu dans le lien entre action publique et action collective.

Cette posture ethnographique a pu faire l’objet de remises en cause scientifiques portant notamment sur la subjectivité du chercheur et les conséquences de sa présence sur le terrain (Cuny, 2009). F. Wacheux (1996) recense trois risques principaux dans une démarche d’observation participante : la prééminence du rôle d’acteur sur celui de chercheur, les aléas du regard entraînant une sélection des faits ainsi qu’une interaction et une participation impliquées risquant de déformer les perceptions du chercheur. Il est en effet souvent reproché aux thèses privilégiant une approche participante de n’être que le reflet de la réalité perçue par le chercheur immergé. La neutralité et l’objectivité du chercheur ne pourrait pas dans ce cadre, être respectée (Rasolofo-Distler & Zawadzki, 2011).

La qualité et la fiabilité de la participation observante peut toutefois être garantie par une rigueur épistémologique et méthodologique, fondée, d’après P. Coutelle (2005), sur un principe de triangulation, c'est-à-dire sur le recours à plusieurs techniques d’enquêtes et de recueil de données : le comportement des acteurs, par une observation directe ; l’information subjective, par des entretiens ou des prises de parole spontanées ; et l’information officielle, par un travail documentaire. Cette triangulation permettrait de dépasser la schizophrénie d'être chercheur et acteur travaillant "sur", "avec" et "pour" son objet (Okbani, 2014) et de maintenir le « cap épistémologique » (Foli & Dulaurans, 2013) de la recherche. Autrement dit, la diversification des sources de données et des techniques d’enquêtes permettrait d’instaurer une distance par rapport au terrain de recherche. Cette distance du chercheur permet d’enlever aux phénomènes observés le caractère d’évidence qu’ils ont aux yeux des acteurs (Crozier & Friedberg, 1977). La distanciation permettrait également, d’après B. Miles & A. Huberman (1984), de se soustraire du biais d’élitement – c'est-à-dire de surestimation de l’importance des données provenant des acteurs bien informés/centraux dans le réseau – et le biais de sur-assimilation – c'est-à-dire d’un manque de réflexivité risquant d’entraîner une cooptation avec les acteurs du terrain.

3.2. La reconstitution de la trajectoire du réseau : une enquête inductive

A la recherche du « bon » sujet

Cette première phase de travail me permis en particulier de m’immerger dans un territoire et une rhétorique professionnelle. L’observation de ces discours professionnels mettait plus particulièrement en avant la constante valorisation d’une histoire professionnelle, de savoir-faire anciens, de discours leitmotivs autour du développement local, de la proximité, du dialogue, de la participation citoyenne. Je remarquais que cette référence au passé était régulièrement mobilisée dans l’objectif d’éclairer et de légitimer l’action présente en se différenciant de pratiques concurrentes, davantage fondées sur le militantisme environnementaliste. Ce renvoi à l’histoire pouvait également être utilisé dans le but de marquer la différence entre ce que devait être le fonctionnement du réseau d’acteurs aujourd’hui et ce qu’il avait pu être sous l’action des générations d’animateurs précédentes.

Je n’étais pas entièrement à l’aise avec ces premiers résultats, lesquels m’orientaient à poursuivre les recherches dans la dimension historique de réseau. En effet, ma thèse devait avant tout concerner le présent de l’action, pas son passé. Cette phase de « remise en perspective historique » n’était à l’origine envisagée que de manière secondaire ou contextuelle. Or, il s’est avéré que cette phase m’a mobilisée pendant environ deux ans et constitue in fine un aspect central de la thèse. Ce terrain, que j’envisageai au départ comme un pas de côté, conçu comme un préalable à ma « vraie » enquête, se révéla en effet être au centre de ma problématisation. De plus, cette histoire prenait un caractère d’évidence aux yeux des personnes que je côtoyais, tellement évidente qu’elle n’avait pour eux que peu

d’intérêt. Ils en connaissaient eux-mêmes les grandes lignes, y avaient pour certains d’entre eux pleinement participé, ou en connaissaient les principales figures, et n’y voyaient que peu de liens avec ce qui les intéressaient actuellement. Je ressentais d’autre part une forme de mise à distance de cette histoire, construite par une génération d’animateurs à laquelle ils ne s’identifiaient plus, qu’ils estimaient aujourd’hui dépassée par les nouveaux enjeux de l’action sociale en général, environnementale en particulier. Bien que ce peu d’enthousiasme ne me rassurait pas quant à la pertinence de mes premiers constats, il renforçait mon questionnement sur la place de cet héritage à propos duquel les salariés actuels se positionnaient constamment, soit pour en tirer une légitimité soit pour s’en démarquer. Cette situation pouvait d’après moi expliquer les mésententes entre les salariés de l’association et le directeur général, en poste depuis presque trente ans80. Assez vite malgré tout, je décidai de poursuivre cette piste historique, pressentant qu’un retour au passé me permettrait de comprendre ce qui se jouait dans l’évolution actuelle du réseau.

Dès le printemps-été 2012, j’entamais un travail historique cherchant à reconstruire la trajectoire du réseau d’acteurs qui avait abouti à la configuration professionnelle dans laquelle je me trouvais désormais impliquée. Cette mise en perspective temporelle concernait à la fois le réseau mais aussi son territoire d’action, dont je supposais qu’ils avaient co- évolués et que cette co-évolution était à l’origine de leurs liens actuels. A ce stade, je faisais l’hypothèse que l’ULAMIR était née des mobilisations environnementalistes des années 1970 (celles dont j’ai parlé dans le chapitre 1) et je mis à recenser tous les projets d’aménagement ou catastrophes environnementales ayant été susceptibles d’être à l’origine d’une mobilisation sociale à l’origine de l’ULAMIR. J’orientais alors mes premières investigations à l’échelle du canton, persuadée que c’était à cette échelle que je trouverais les raisons et les explications à l’émergence de l’association. C’est dans ce contexte que je rencontrais par exemple certains membres du collectif travaillant sur le petit patrimoine local du Canton de Lanmeur, dont je supposais que leur appartenance générationnelle pourrait m’éclairer sur les événements ayant marqués le territoire à cette période. Or, je dus constater, à l’issue de ces premières conversations informelles et de la consultation d’archives personnelles et départementales, qu’il n’y avait pas de lien évident entre des événements comme les plans de remembrement, la pollution chimique de l’étang du Guic provoquée par l’abattoir de volailles d’une commune avoisinante ou le projet d’installation nucléaire (1974) et l’action de l’ULAMIR81.

Je décidais alors de repartir de la voix des acteurs et en premier lieu des deux plus anciens salariés de l’association encore en activité à cette période : le directeur général

80 Outre sa personnalité charismatique, les salariés reprochaient au directeur sa gestion autoritaire et

archaïque de l’association, fondée sur un bricolage financier permanent et des arrangements avec les partenaires de l’action, et peu compatibles, selon eux, avec les exigences de l’action socio- environnementale actuelle.Ce dernier sera licencié peu de temps après mon arrivée suite à la mobilisation des salariés et la décision finale du Conseil d’Administration.

81 Ces événements sont à l’origine des premières mobilisations socio-environnementales locales, dont

(recruté en 1986) – dont j’ai fait mention auparavant - et le responsable du centre d’accueil (recruté par le premier en 1987). Si le second me parle du développement, à partir des années 1990, du centre d’accueil, des classes découvertes et de l’avènement des projets éducatifs environnementaux, le premier évoque une période légèrement antérieure, où la question environnementale est absente, faite de foyers de jeunes, d’activités théâtre, musique, cinéma, de camps d’été ou encore de chantier d’insertion, période à laquelle l’ULAMIR de Lanmeur appartenait déjà à un réseau départemental composé d’autres ULAMIR. Ces deux histoires, dont il me fallait encore préciser les liens m’ont permis d’identifier les acteurs fondateurs du réseau (animateurs mais aussi fonctionnaires des administrations nationales, élus locaux).

A l’issue des premiers échanges, je compris qu’il s’agissait de déplacer l’étude du réseau d’acteurs à une autre échelle, non seulement temporelle, en repartant de ses origines, mais aussi géographique. C’est plus précisément dans une configuration d’échelles imbriquées que je pensais pouvoir comprendre les actions contemporaines du réseau local à l’échelle du Pays de Morlaix. C’est en effet dans cette configuration que le réseau semblait se structurer et où s’opérationnalisaient les changements entre les années 1970 et aujourd’hui (figure n°13). J’identifiais plus particulièrement les niveaux d’échelles suivants :

- Le niveau départemental (Finistère, 29), auquel se créé le réseau des ULAMIR et où a lieu d’importantes mutations socio-économiques.

- Le niveau régional (Bretagne), auquel le réseau se développe et monte en compétences, notamment à partir de la décentralisation.

- Le niveau national, duquel émanent les principales politiques publiques concernant l’action sociale, socioculturelle et environnementale des quarante dernières années. - Le niveau international, d’où sont issus plus récemment les différents énoncés

environnementaux globaux (cf. chapitre 1), guidant désormais l’action publique et l’action collective.

Cet emboîtement multiscalaire supposait que je réunisse des données à chaque niveau pré-cité, dans le but d’expliquer l’action locale à la lumière de ses transformations. Dès lors, je mis en œuvre une méthodologie d’enquête alliant recherches documentaires et entretiens.

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