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Après la guerre, l’administration travaille avec un groupe d’anciens résistants à remettre en activité les foyers paysans abolis sous l’Occupation. Les Foyers Ruraux sont officiellement créées en 1946 avec l’appui du Ministre de l’Agriculture, Tanguy Prigent, lui-même ancien résistant breton et à l’origine de la création de la loi sur le fermage et le métayage (loi du 13 avril 1946). Leur ambition est de faire œuvre de rassemblement à travers le développement de la culture et les loisirs dans le but d’exalter le sentiment d’appartenance à la nation. Cette capacité à rassembler est aussi perçue comme un préalable nécessaire à la modernisation agricole, qui requiert des structures de diffusion et de formation. Les Foyers deviennent ainsi, à l’échelle cantonale ou communale, le principal instrument de l’administration pour la vulgarisation agricole. En associant activités culturelles et formation technique, les Foyers font la promotion collective et contribuent au maintien de la population rurale. Enfin, en tant qu’émanation administrative, ils doivent être indépendants de toute appartenance politique ou religieuse, et doivent pouvoir, dans une logique anti-corporatiste, accueillir tous les habitants du monde rural, quelle que soit leur profession. Concrètement, toute association existante peut être agréée « Foyer Rural ». C’est la Fédération Nationale des Foyers Ruraux (FNFR) qui gère l’octroi des agréments, lequel donne généralement droit à des subventions.

Cette idée de laïcité rassembleuse est également promue, depuis la fin de la guerre, par la Ligue de l’Enseignement, fédération d’instituteurs qui se confond bien souvent avec le Ministère de l’Education Nationale tant leurs hiérarchies respectives sont proches. Chaque instituteur a pour mission de créer et d’animer une amicale laïque dans la commune où il est nommé, c’est-à-dire d’animer les communes rurales par la création d’activités périscolaires (Chosson, 1990). Plus largement, l’enseignement que reçoivent les élèves des lycées agricoles et dans le cadre scolaire en général doit leur transmettre la conscience de l’importance du patrimoine culturel et naturel qui les entoure et la connaissance des organismes agissant dans le domaine du développement culturel local (Mignon, 2007). Dans cette perspective, les acteurs du milieu rural privilégie une animation globale et multifonctionnelle, conçue comme nouvelle dimension dans une activité agricole existante, « élargissement des

perspectives plutôt que création totale, fonction complémentaire plutôt que service supplémentaire »

(Houée, 1974).

En dehors du cadre scolaire et de l’enseignement agricole en particulier, c’est davantage à partir de l’histoire et de la dynamique des mouvements d’éducation populaire que les nouveaux enjeux du milieu rural finistérien sont réappropriés et pris en charge par l’action publique (Tellier, 2010). C’est en particulier le réseau « urbain » des MJC qui s’interroge sur les évolutions du milieu rural. Mais si le réseau des MJC est un des seuls à réfléchir à une stratégie d’implantation nationale, sur le modèle de l’école et des autres services publics et réussit à s’implanter dans la plupart des villes moyennes, il ne parvient

pas à pénétrer les espaces ruraux bretons, encore fortement empreints de leur histoire catholique et peu enclins à tolérer des modèles d’organisation non seulement laïcs mais politiquement contestataires (Besse, 2010). De plus, l’enseignement laïc en milieu rural relève d’une conquête de plusieurs décennies par les pouvoirs publics, qui n’envisage pas de déléguer cette prérogative à des fédérations associatives trop indépendantes. En effet, seuls les pouvoirs publics, notamment par l’intermédiaire du Ministère de l’Education et de l’Agriculture parviennent peu à peu à diffuser un modèle d’éducation et d’animation laïc. Leur soutien aux grandes fédérations de la FNFR et de la Ligue de l’Enseignement, qui développent de nombreuses cellules locales, en sont les émanations les plus visibles. De ce fait, la professionnalisation de l’animation s’incarne plutôt dans les espaces ruraux bretons à travers l’action de l’administration centrale, seule capable, à cette période de concurrencer l’influence des réseaux traditionnels locaux, certes sur le déclin d’un point de vue structurel mais encore vivaces culturellement.

L’action de l’Etat en faveur des dynamiques d’animation se traduit par la création de nouvelles structures de formation, de nouveaux équipements et de postes. A côté de l’ouverture de postes de professeurs d’éducation culturelle dans les lycées agricoles (Mignon, 2007), la mise à disposition de fonctionnaires dans les différentes structures associatives nouvellement créées et le missionnement, par l’administration, d’animateurs socioculturels issus de formations universitaires nouvellement instituées étaient des pratiques en développement. Ces postes d’animateurs représentent une grande nouveauté pour le milieu rural finistérien. Dans la plupart des cas, les animateurs professionnels du milieu rural, fraichement diplômés, sont eux-mêmes citadins et doivent, une fois « parachutés », se familiariser avec les enjeux du monde rural et coordonner des projets censés y répondre. Leur arrivée intervient cependant, et à leur avantage, à l’issue d’une période de mobilisation paysanne qui traduisent les dynamiques d’émancipation intrinsèques au territoire et qui constitue désormais un horizon pour d’autres types de mobilisations, par exemple socioculturelles.

Cette ambition d’intéresser et de mobiliser les populations rurales à leur lieu de vie trouve également une résonnance particulière avec les premières grandes catastrophes écologiques (marées noires) qui affectent le territoire finistérien à la fin de la décennie et durant toute la décennie 1970173. Ces catastrophes, avant de susciter de la contestation, provoquent la stupéfaction populaire et une prise de conscience sur le gigantisme des dommages que la société moderne peut occasionner sans savoir pour autant comment y faire face. Les engagements sociaux en faveur de l’environnement se formalisent dès lors sous deux formes : le militantisme politique et la pédagogie. Dans la première forme, c’est le plus souvent la rencontre entre des héritages de loisirs naturalistes et des réseaux scientifiques qui légitiment les mobilisations. Dans la seconde configuration, qui concerne plus directement le réseau que nous étudions, ce sont les activités sportives de plein-air, successivement utilisées

173 Cf. les marées noires du Torrey Canyon en 1967, de l'Olympic Bravery en 1976, du Boehlen en 1976,

à des fins d’enrôlement dans des mouvements de jeunesse ou dans une perspective sanitaire et éducative avant les années 1950, qui constituent une préfiguration à la diffusion des valeurs environnementales. Plus précisément, c’est à partir du réinvestissement et de l’institutionnalisation de lieux d’activités que le réseau d’animation rurale qui s’installe dans le Finistère au milieu des années 1970, développe progressivement des actions d’éducation à l’environnement.

CONCLUSION

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