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L’idée de patrimoine apparaît pour la première fois en droit français dans le décret instituant les Parcs Naturels Régionaux (PNR) en 1967 (Lefeuvre, 1990). Le patrimoine fait référence à des éléments dont le sens ou la valeur ont été transformés au cours du temps par l’homme (Weber in Lefeuvre, 1990), à travers un processus de patrimonialisation. Le processus de patrimonialisation d’une culture ou d’un environnement naturel permet de représenter leur passé, parfois conçu sous la forme d’idéaux (Jeudy, 1990). Le plus souvent, le passé s’exprime à travers le présent selon des modalités immatérielles et symboliques. La construction d’un patrimoine culturel consiste à rejeter cette filiation en créant une séparation entre passé et présent par l’accumulation des restes matériels. En fait, l’exclusion du passé s’effectue en le rendant visible. Ce travail permet de constituer une rupture entre la société d’avant, société disparue, et la situation présente structurée par de nouvelles institutions chargées de gérer le temps présent et d’orienter l’avenir. Par le patrimoine, il s’agit de relier passé, présent et futur pour rendre à l’action présente sa possibilité de maîtrise du monde (Rumpala, 2010). L’émergence de nombreux évènements ou structures locales réactualisant la mémoire collective et les traditions culturelles des villages (fêtes nocturnes, célébrations des pardons, festivals, fest-noz, muséographie, hébergements, etc.)129 témoignent de ce processus de patrimonialisation. Plus précisément, les actions menées par le PNRA vise à ce que le développement local puisse être alimenté par ce processus (Van Tilbeurgh, 2007). La quinzaine d’écomusées130 participent par exemple à la reconstruction d’une histoire locale et du développement touristique et les ateliers d’aide architecturale conseillent les néo-ruraux désireux de transformer leurs habitations.

129 Parmi les nouvelles structures locales, l’association DASTUM (« recueillir » en breton) est créée en

1972 et s’occupe du collectage, de la sauvegarde et de la diffusion du patrimoine oral de l’ensemble de la Bretagne historique : chansons, musiques, contes, légendes, histoires, proverbes, dictons, récits, témoignages, etc.

130 D’après R. Lucas (2012), l’originalité des écomusées est d’opérer sur un espace de vie (ici un

territoire rural) pour en valoriser l’environnement naturel et culturel. Il ne s’agit donc pas de musées au sens strict du terme, c'est-à-dire chargés de présenter des collections. Les écomusées présents sur le Parc restituent l’organisation de la vie domestique traditionnelle (habitation, mobilier, habitudes alimentaires, etc.), le fonctionnement d’ouvrages tels que les moulins, tanneries ou lavoirs, etc. Plus généralement, les sujets abordés au sein des écomusées sont divers : géologie, faune, flore, préhistoire, société locale, activités agricoles, artisanales, touristiques, etc.

Cette conception patrimoniale de la culture bretonne et de l’identité rurale est, d’une manière générale, partagée par la principale association de protection de la nature régionale, la SEPNB, qui renforce au même moment son action militante dans la protection des équilibres naturels en accentuant son lien avec le réseau scientifique local. Mais la relation entre la SEPNB et le PNRA ne se limite pas à l’introduction d’une culture scientifique dans le débat public autour de l’environnement. La culture locale comme l’environnement naturel sont construits par ces deux organismes comme étant des biens communs témoignant d’une société agraire disparue. En ce qui concerne plus directement le patrimoine naturel, l’action de la SEPNB consiste à tenter de recréer un milieu naturel tel qu’il est supposé avoir existé. C’est précisément dans cette évolution que le rôle de l’agriculture se redéfinit, notamment à travers sa capacité, jusqu’alors ignorée, à assurer des fonctions culturelle et biologique, comme la sauvegarde des paysages et des équilibres naturels. En effet, l’environnement naturel était auparavant entretenu par les paysans, lesquels sont transformés, avec le Parc, en agents de conservation des biens naturels voire même en fabriquant ces biens. Pour que les discours sur ces bénéfices supposés puissent se pérenniser après le déclin des sociétés agraires, la gestion de ces biens doit être prise en charge dans la construction d’un rapport spécifique au passé131. D’une manière générale, le PNRA a contribué, avec la SEPNB, à mettre en récit les territoires et leur composante naturelle, c’est-à-dire inscrire le milieu biophysique dans un nouvel ordre social, en identifiant par exemple des espèces d’animaux, de végétaux ou des paysages emblématiques et en produisant un discours sur leur idéal de développement dans le temps132.

Pour résumer, l’action publique qui prend forme à la fin des années 1960 pour aider les territoires locaux à leur reconversion a pour objectif d’apporter aux acteurs locaux « une

vision globale des problèmes posés par les relations qui unissent l’homme avec son milieu de vie »133. C’est autour de la mise en scène des patrimoines naturel et culturel que la mobilisation des acteurs s’effectue et que de nouvelles institutions, portées par de nouvelles coordinations d’acteurs, se légitiment au sein d’une société locale en recomposition. Autrement dit, le PNRA et la SEPNB permettent, par la patrimonialisation, de reformuler les relations entre les

131 Dans ce cadre en effet, le maintien d’une activité agricole évite l’abandon de terres, lesquelles sont

régulièrement réexploitées par la plantation de conifères, jugée néfaste pour l’environnement (appauvrissement et baisse de la perméabilité des sols, impact paysager) par les mouvements écologistes naissants (Moliniaux, 1999).

132 Des expériences de sélection génétique et d’élevage extensif sont par exemple entreprises, avec

l’aide complémentaire de l’Institut National de la Recherche Agronomique (INRA), dans le but de réintroduire des espèces domestiques autrefois autochtones et aujourd’hui menacées (vache Pie Noire, mouton d’Ouessant, cheval de Prjevalski, Postier breton, etc.) en même temps que d’assurer le maintien des pâturages. La réintroduction d’espèces sauvages telles que les castors ou les cerfs bretons, espèces endémiques, est également organisée pendant plusieurs années. Dans le cadre de ce processus de patrimonialisation, de nombreuses expositions permanentes composées de panneaux, vitrines, dioramas sur l’évolution des espaces naturels sont également conçues et des sentiers d’observation du milieu naturel sont tracés entre les différentes infrastructures du Parc.

133 Avis émis par les représentants du Ministère de la Qualité de la Vie dans une note à l’intention des

habitants, leur environnement, leur passé et leur futur (Van Tilbeurgh, 2007). Plus généralement, la politique patrimoniale des PNR contribue à l’émergence de communautés locales renouvelées, par le développement d’un sentiment d’appartenance à une histoire, une culture et un environnement communs, à l’image de la politique des Parcs Nationaux qui, elle, devait encourager la solidarité de la nation toute entière par l’expérience émotionnelle des paysages naturels (Blanc, 2015). En plus d’avoir des effets sur la reconfiguration des relations sociales, la patrimonialisation serait également susceptible d’accompagner la reconstruction économique du territoire, par la création de nouvelles activités (Pecqueur, 2002 ; Hadjou, 2009). En effet, cette idée de patrimoine rejoint les ambitions du CELIB de faire de la Bretagne une région touristique, par la mise en valeur des « charmes de son paysage,

de la beauté de ses monuments, de la richesse des arts et du folklore, et de son climat » mais aussi par

la modernisation des équipements et des institutions locales (Marzin, 2011 : 187). Ainsi, d’après A. Micoud (2004), le processus de patrimonialisation serait porteur d’avenir, c’est pourquoi dans les bourgs ruraux, comme dans les zones littorales plus touristiques, la culture et l’environnement tendent à devenir des éléments de la politique des élus locaux (Chosson, 1990 ; Lepart & Marty, 2006).

La DATAR n’est pas la seule émanation de l’Etat à entreprendre une action en faveur de la reconversion des territoires. En effet, le Ministère de l’Environnement, à sa création en 1971, entreprend de lancer un Comité Interministériel de la Nature et de l’Environnement (CIANE) doté d’un fonds du même nom, le FIANE. Ce Comité a pour objectif de rassembler les mandataires des différents départements ministériels de l’Environnement, de l’Agriculture, de l’Education, de l’Intérieur, des Affaires Culturelles et de Jeunesse et Sports, de concevoir un plan de développement rural tenant compte des différents objectifs économiques, sociaux, culturels et environnementaux. Dans cette configuration, les liens entre le Ministère de l’Environnement, le Ministère de l’Education et le Secrétariat d’Etat à la Jeunesse et aux Sports se renforcent tout particulièrement, jusqu’à se formaliser respectivement en 1971 et 1973 à travers deux Protocoles d’actions conclus entre les différentes entités134. Ces protocoles énoncent l’idée suivante : les activités sportives de plein- air et les activités socio-éducatives sont des vecteurs privilégiés pour la sensibilisation à l’environnement et la valorisation des espaces naturels et la réconciliation entre les « mondes » urbain et rural.

Les Centres Permanents d’Initiation à l’Environnement (CPIE) et la construction des

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