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Etudier les pratiques d’un réseau d’acteurs en Education à l’Environnement : la mobilisation comme enjeu de l’action

1.T

RADUIRE POUR MOBILISER

1.1. Reconsidérer les réseaux d’acteurs

L’enjeu de la construction d’un monde commun Les étapes du processus de traduction

1.2. La traduction dans le réseau d’acteurs étudié

Les caractéristiques générales d’un dispositif

Enrôler pour préserver la biodiversité: d’un dispositif expert à des dispositifs de sensibilisation

2.

LA MOBILISATION ENVIRONNEMENTALE ET LA TRAJECTOIRE D

UN RESEAU

LOCAL

2.1. Problématique et axes de questionnement

2.2. Hypothèse

2.3. La mise en perspective historique comme modèle d’analyse

3.L

E TRAVAIL DE TERRAIN

3.1. La participation au cœur de l’enquête : cadre et condition de la thèse

La CIFRE en contexte associatif : une histoire de petits arrangements instrumentaux Enquêter en situation professionnelle: conditions de l’échange, malentendus et frustrations S’engager dans l’observation

3.2. La reconstitution de la trajectoire du réseau : une enquête inductive

A la recherche du « bon » sujet

Archives et enquêtes documentaires Les entretiens

3.3. Enquêter sur la mobilisation dans des dispositifs

La « Trame Verte et Bleue », un terrain « du présent » pour la comparaison historique Suivi de réunions et groupes de travail

La réalisation d’entretiens

La question des mobilisations sociales ou de l’action collective bénéficie, au cours du dernier siècle, d’un champ théorique sociologique et anthropologique foisonnant (Céfaï, 2007). D’après E. Neveu (1996) ou D. Céfaï (2007), l'action collective est « une action concertée » qui « implique une intention consciente », « une « intentionnalité » ; elle existe dans un contexte temporel et spatial, elle est ordonnée en forme organisationnelle et présente des visées multiples. Derrière cette action consciente, c'est-à-dire organisée, c’est la question de l’engagement dans les collectifs, et plus encore, celle de la coordination de ces engagements, que nous souhaitons mettre en avant ici. Nous avons en effet montré que l’Education à l’Environnement, dont l’objectif est de mobiliser pour le changement socio-environnemental, était véhiculée dans des collectifs d’acteurs variés, qu’ils soient ou non intégrés à des systèmes institutionnalisés (comme le système scolaire) ou bien agrégés à des revendications environnementalistes collectives préexistantes. A partir de là, comment font les collectifs éducatifs pour engager des élus, pour enrôler des habitants, pour conserver des financements, bref pour coordonner une action collective ?

Les sociologues ont montré que l’engagement, c'est-à-dire d’après la définition du Larousse (2015), « le fait de prendre parti et d’intervenir sur les problèmes sociaux et politiques de

son époque » n’était pas la seule conséquence des engagements personnels mais du rôle joué

par le collectif lui-même. Dans cette approche, ce ne sont pas seulement les motivations à agir qui font les engagements, ce sont les collectifs qui organisent les pratiques : ils apprennent puis enseignent les formes d’action, sélectionnent les candidats, organisent le travail, évaluent et reconnaissent les mérites et les compétences. C’est en s’insérant, par l’adhésion volontaire, dans des contraintes organisationnelles que des acteurs s’engagent effectivement, pour une durée plus ou moins longue, dans des actions en accord avec leurs valeurs mais surtout conformes aux normes du collectif (Dubar, 2009). Comment, alors, sont animés et coordonnés ces collectifs ? Comment ces groupes organisés travaillent-ils à faire valoir le caractère impérieux de leurs revendications et à trouver des soutiens auprès d’un public élargi ? D’où tirent-ils leur légitimité ? A partir de quoi et autour de quoi construisent- ils leur action ?

La notion de collectif utilisée ici se situe au croisement de deux domaines, habituellement distincts : d’une part, l’étude de l’action collective, des mobilisations et des mouvements sociaux (logique du « bottom-up ») ; d’autre part, celle de l’action publique, des politiques publiques et de la gouvernance (logique du « top-down »). Notre perspective vise à interroger la manière dont des acteurs liés par des relations d’interdépendances au sein de configurations en réseau plus ou moins étendues recourent à des techniques ou instruments de coordination visant à faire valoir leur préférence, autrement dit à orienter les réactions de leurs associés ou des publics ciblés dans le but d’imposer une définition de la situation.

C’est à partir des pratiques de l’ULAMIR-CPIE pour enrôler un public élargi autour d’un dispositif de préservation de la biodiversité que nous avons exploré les logiques et les effets de la coordination de l’action collective. Le premier objectif de ce chapitre est de délimiter le processus par lequel le réseau ULAMIR-CPIE entreprend la mobilisation sociale

autour de l’environnement, dans un contexte où l’efficacité des politiques publiques est régulièrement mise en doute. C’est plus particulièrement à partir de la notion de traduction, développée par M. Callon, B. Latour, M. Akrich au cours des années 1980 et 1990 pour expliquer le processus de diffusion des innovations socio-techniques dans l’espace social, que le processus d’enrôlement dans un dispositif socio-environnemental est analysé. Les étapes ainsi que l’objet de ce processus seront plus particulièrement décrits.

Le deuxième objectif de ce chapitre renvoie à notre ambition plus générale non seulement de caractériser mais d’expliquer les formes actuelles de la traduction produite par le réseau local. Nous considérons que le travail de terrain détient une importance particulière dans la réalisation de cet objectif, d’une part parce qu’il résulte d’un cadre de recherche spécifique – celui de la CIFRE - relevant d’un engagement certain, et d’autre part parce qu’il nous permet, de manière inductive, de formuler les orientations et les hypothèses de notre recherche.

1.T

RADUIRE POUR MOBILISER

La question de la mobilisation et de l’engagement des « parties-prenantes » à un projet de changement socio-environnemental est une question récurrente pour leurs praticiens et les opérateurs. Nombreuses sont les publications retraçant plus particulièrement les difficultés conduisant à l’échec de tels projets, dans les pays occidentaux ou dans d’autres contextes culturels, qu’ils soient à l’initiative ou simplement soutenus par l’Etat : méconnaissance des réalités locales (Olivier de Sardan, 1995), volonté d’imposer des modèles d’action pré-définis (Caratini, 2005), résistances au changement attribuées au parties- prenantes (Joule et al., 2007), etc. D’autres facteurs pourraient expliquer les échecs: les catastrophes environnementales (ouragans, tsunami, réchauffement climatique, etc.) illustrent par exemple ces moments où les objets (ici «naturels») font irruption et bousculent les programmes d’action établis (Obin, 2013). Lorsque les difficultés ou les résistances sont d’origine humaine, elles peuvent prendre la forme de controverses, c'est-à-dire d’interprétations divergentes d’une situation ou d’une question. La controverse suppose une publicisation et une politisation des points de vue (du conflit) et par conséquent, une relative « montée en généralité » (Lolive, 1997). L’efficacité des politiques publiques est à ce titre régulièrement questionnée par des controverses. Plus précisément, les controverses, qu’elles portent sur des questions sociales, techniques ou environnementales invitent à repenser la manière dont se construisent les représentations communes d’un problème.

Ces difficultés sont l’objet de différentes approches analytiques, que ce soit en psychologie ou en sociologie. La question du changement comportemental des individus constitue par exemple l’objet des travaux en psychologie sociale sur la communication engageante (Girandola, 2003). Ces travaux mettent plus particulièrement en évidence la complexité du lien entre la décision individuelle et le passage à l’acte tout en formulant des préconisations (Joule & Girandola, 2007). La sociologie de la traduction a pour objectif de

comprendre les mécanismes sociaux de la diffusion, réussie ou non, d’une politique ou d’une technique. Elle propose une lecture analytique du monde commun en train de se faire, au sein duquel l’acteur se construit avec les réseaux, les territoires ou encore les institutions. Dans ce cadre, la sociologie de la traduction a pour ambition d’étudier le collectif en mouvement, les phases où les choses bougent et se recomposent Il s’agit de considérer les acteurs, leurs systèmes et leurs environnements comme co-construits. H. Amblard et al. (2005) donnent une définition générale de la notion de traduction :

« Dans le langage courant, traduire renvoie à une opération qui consiste à transformer un énoncé intelligible en un autre énoncé intelligible pour rendre possible la compréhension de l’énoncé initial par un tiers. La traduction est réussie si elle n’a pas engendré un détournement de sens» (Amblard et al., 2005 : 135).

Dans une perspective plus théorique, la traduction serait le résultat d’une négociation réussie entre différentes parties. M. Callon et B. Latour (1991) postulent que le processus de traduction agit comme un lien entre des activités hétérogènes, des déclarations et des enjeux. Le traducteur est l’acteur qui aide et nourrit le lien qui relie les membres de ces entités hétérogènes qui constituent un réseau. Plus précisément, la sociologie de la traduction donne des clés d’analyse pour lire les processus d’innovation et de changement social, mettant en avant des aspects souvent cachés mais néanmoins essentiels du travail des praticiens du développement, liés à la construction et à la négociation de l’adhésion pour imposer un cadre interprétatif légitimant l’action. Autrement dit, la traduction est un processus visant à mettre au jour « les réseaux que la raison ignore » (Latour, 1992). Ainsi, qu’ils aient « échoué » ou « réussi », qu’ils aient survécu à des crises ou non, tous les projets peuvent se lire comme des tentatives de construire des réseaux socio-techniques où les résultats découlent du processus autant que des choix initiaux (en termes d’objectifs, de montage institutionnel, etc.). En effet, d’après B. Latour (1992 : 77), « un projet n’est pas réaliste ou irréaliste, il se réalise

ou se déréalise progressivement » et de multiples facteurs peuvent contribuer à ces deux

alternatives.

1.1. Reconsidérer les réseaux d’acteurs

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