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A l’initiative de quelques leaders parlementaires103, élus et acteurs socio-économiques s’organisent en 1950 au sein d’un organisme régional, le Comité d’Etudes et de liaison des Intérêts Bretons (CELIB), transcendant les divisions politiques afin d’élaborer collectivement des perspectives d’avenir de leur région et de faire des propositions sur le développement autonome de la Bretagne. A l’origine, les réflexions du CELIB se focalisent sur l’intégration de la Bretagne dans la politique redistributive mise en place après la seconde guerre mondiale. En effet les décennies d’après-guerre sont consacrées à la réalisation simultanée d’une triple orientation : celle de la reconstruction matérielle du pays, celle de la reconstruction identitaire de la nation et celle de l’intégration européenne. Ce projet suppose

101 Les secteurs laitier, porcin et avicole en sortent totalement bouleversés : la collecte industrielle du

lait représentait 25% de la production en 1958 et 76% en 1968 ; la production de poulets de chair en batteries (en cages) passa de 5 000 têtes en 1957 à 30 000 en 1965 et 83 000 en 1985 (Canévet, 1992).

102 Comme l’a décrit R. Redfield (1955) puis H. Mendras (1976), le statut de notable dans les sociétés

paysannes permet à des acteurs locaux de jouer un rôle particulier de médiation entre ces sociétés et le monde extérieur. Déterminante dans l’accumulation et le partage des ressources au sein des réseaux de relations sociales, la figure du notable serait liée au processus d’intégration des sociétés paysannes dans des collectifs plus vastes (Deverre, 2009). Leur particularité est de pouvoir se tenir au centre d’une dynamique et de cumuler des ressources, grâce à des stratégies individuelles et à des relations personnalisées dans une configuration spécifique organisée en réseau multi-niveaux. Plus précisément, ces notables bénéficiaient d’une position sociale charnière les situant à l’articulation de deux sociétés, l’une locale et paysanne et l’autre englobante, leur permettant d’être membre de l’une et reconnu de l’autre. Ils se caractérisaient également par la confusion, à la fois, des pouvoirs social, économique et politique, de sources internes et externes du pouvoir et par des relations personnalisées (Mendras, 1976).

103 Parmi eux, on retrouve le fondateur Joseph Martray, journaliste ; les cadres-dirigeants Joseph De

Martray, secrétaire général et véritable animateur et René Pleven, député des Côtes du Nord, plusieurs fois ministre et président du CELIB pendant 21 ans. Quatre autres parlementaires devinrent vice-présidents : Joseph Halléguen, Paul Ihuel, député MRP du Morbihan, André Morice, député radical de l’actuelle Loire-Atlantique et Tanguy Prigent qui présida la commission parlementaire du CELIB à ses débuts.

de réduire ou du moins, de ne pas augmenter les écarts statutaires104 entre les différentes franges de la population, en favorisant une meilleure répartition de la démographie et des richesses. Le problème de l’inégal développement des différentes régions françaises avait auparavant été porté dans le débat public par toute une série de publications, lesquelles axaient leur propos sur les disparités ville-campagne et plus spécifiquement sur les écarts entre Paris et la province105. Ces travaux préconisaient la refondation d’un projet social mais aussi économique, à travers la solidarisation des territoires. C’est par la modernisation et la répartition des forces de productions (notamment industrielles) et, plus largement, par un programme d’équipements que l’Etat entreprend de pourvoir au développement équitable du territoire106. Pour les espaces ruraux, ce projet est également doublé d’une ambition de parité culturelle avec le milieu urbain (Chosson, 1991).

Dans ce contexte, les propositions du CELIB sont portées au-devant des Ministères par la commission parlementaire de l’organisation, regroupant les députés des cinq départements bretons. L’action d’influence du CELIB est favorisée par la situation politique française des années 1950 (Sainclivier, 2004b). Dans un contexte de cohabitation, le groupe des députés bretons peut plus facilement faire pression sur un gouvernement à la majorité souvent fragile. En 1952, le CELIB met au point le « Plan Breton », première ébauche de planification régionale en France. A la suite de cette initiative, la loi du 14 août 1954, instaurant le 2e Plan quinquennal, prévoit la mise en place « d’une organisation régionale,

départementale ou locale chargée de mettre au point le développement économique local dans le cadre du Plan ». Cette loi est suivie en décembre 1954 du décret créant les comités régionaux

d’expansion économiques d’où les parlementaires sont exclus, à la différence de l’initiative pionnière du CELIB, le gouvernement ne voulant pas risquer une multiplication des lobbies régionaux.

104 En sociologie, le statut correspond à la position occupée par un individu dans un domaine de la vie

sociale. Il correspond à «l'ensemble des comportements à quoi il peut s'attendre légitimement de la part des

autres» (Stoetzel, 1978, p. 206). L'individu est défini horizontalement par rapport à ses égaux

statutaires, et verticalement par la place qu'il occupe dans une hiérarchie entre les statuts sociaux. Les individus font l'expérience de deux sortes de statuts : ceux qui sont prescrits et assignés tels que le sexe et l'âge, et ceux qui sont acquis et auxquels la personne accède plus ou moins par ses propres moyens. Droits et devoirs spécifiques correspondent à chaque statut et se concrétisent dans des rôles sociaux. Le rôle social d'un individu correspond à «l'ensemble des comportements à quoi les autres

s'attendent légitimement de sa part» (Stoetzel, 1978, p. 206). A chaque statut social s'associent plusieurs

rôles sociaux.

105 D’après J. Sainclivier (2004b), la parution de l’ouvrage de J-F. Gravier (Gravier J-F., 1947. Paris et le Désert français. Paris, Le Portulan) secoue d’autant plus les dirigeants bretons qu’il les renvoie à la

situation de la Bretagne. Plus généralement, cet ouvrage est la première réflexion d’importance en France sur l’aménagement du territoire. Elle s’inscrit dans un contexte plus large de planification incitative à la fois voulue par les dirigeants français et nécessitée par le plan Marshall.

106 La modernisation et la répartition industrielle fait également l’objet d’ouvrages à cette période. Cf.

Dessus G., George P., Weulerse J., 1949. Matériaux pour une géographie volontaire de l’industrie française. Paris, Armand Colin, 178 p.

Tout au long des années 1960, l’action du CELIB est renforcée par celle des réseaux qui émergent localement, dans le nord du Finistère, dans le sud de la Cornouaille ou encore dans le Méné, pour promouvoir un développement micro-territorial (Houée, 1984 ; Jollivet, 1985)107. Par exemple, la création de la Société d’Economie Mixte d’Etudes du Nord-Finistère (SEMENF) en 1963 s’inscrit, bien qu’intervenant à une autre échelle, dans la dynamique initiée par le CELIB. Instance de planification et de préconisations, la structure rassemble en son sein notables, acteurs économiques et leaders agricoles, dans le but de porter leurs projets de développement jusqu’au plus proche des instances décisionnelles108. Ces réseaux traduisent, notamment à partir des mobilisations agricoles, un mouvement de réappropriation des mobilisations régionales dans l’objectif de réorienter les économies locales (Fournis, 2006). En effet, la naissance du « modèle agricole breton » est à l’origine de l’engagement des réseaux de développement finistériens en faveur d’un processus d’équipement et de désenclavement destiné à permettre la déterritorialisation et l’intégration de la production agricole bretonne au marché européen (Canévet, 1992). Plus exactement, ces réseaux considèrent que l’intégration économique des différents territoires bretons ne peut véritablement se réaliser que si leur désenclavement logistique, social et culturel, devient lui aussi effectif. Ainsi, sous la pression des organisations agricoles et de développement, qui souhaitaient une plus grande implication de l’Etat dans ce processus, la politique de Rénovation Rurale est décidée par décret le 24 octobre 1967, pour une durée initiale de 5 ans. En reprenant les périmètres des ZSAR, ce programme s’apparente à une politique exceptionnelle « d’accélération régionale »109 par les priorités qu’il permet de dégager, par les moyens financiers qu’il apporte, et par les techniques d’animation qu’il introduit et qui constituent des leviers de développement puissants. Ce programme de Rénovation Rurale prévoit un axe de développement logistique dans le but de « mettre l‘agriculture en état de

compétitivité sur le marché européen et donner à la profession agricole la parité avec les autres catégories sociales, en concentrant les efforts sur le secteur dominant des productions animales »110. Il

doit également permettre la réalisation des « équipements de communication et les

investissements intellectuels qui permettront à l’extrême ouest de vaincre son éloignement, de sortir de

107 Ces réseaux, tous créés en 1963, sont : le Comité d’Expansion économique de Cornouaille (CECOR),

la Société d’Economie Mixte d’Etudes du Nord-Finistère (SEMENF), le Comité d’Action pour la Bretagne de l’Ouest (CABRO). Dans le pays du Méné, des habitants se mobilisent autour du slogan

« Le Mené ne veut pas mourir » et créent le Comité d’Expansion du Méné (CEM) en 1965. Paul Houée,

prêtre, membre de la JAC et universitaire en est la figure emblématique.

108 Après une première phase d’études prospectives et de campagnes d’informations, un Schéma de

structure voit le jour en 1967. Ce schéma a pour ambition d’aider, au niveau national, l’élaboration des programmes quinquennaux, en exposant l’évolution souhaitable, jusqu’en 1985, du nord du Finistère. (Dossier de presse sur le Schéma de structure, 1967 (extrait). Source: Archives départementales du Finistère, Cote 1160W9).

109 Source : Article rédigé par le Commissaire de la Rénovation rurale le 06 Juin 1972. Archives

Départementales du Finistère, Cote 1013W466.

son isolement et d’accéder à un développement moderne »111. Le Plan Routier Breton (1968), qui

consiste à mailler le territoire d’un réseau cohérent d’axes routiers, est la première grande opération mise en œuvre, que viennent compléter l’automatisation du téléphone, la réalisation de ports en eau profonde et les équipements universitaires à Rennes et Brest. Enfin, plus généralement, la politique de Rénovation Rurale doit favoriser « l’insertion de la

région dans le courant de l’expansion économique européenne par une politique vigoureusement affirmée en faveur des secteurs non-agricoles »112. Cette orientation se traduit en particulier à

travers la mise en place de formations permanentes dans le domaine de l’artisanat, de l’agro- alimentaire et du tourisme rural.

Le programme transversal de Rénovation Rurale est ainsi le résultat de l’agrégation de revendications sectorielles en faveur de la modernisation agricole et du désenclavement territorial et d’engagements plus larges et plus anciens sur le développement régional. Cette approche régionale, en promouvant un développement socio-économique global, permettrait également de répondre aux nombreux bouleversements provoqués par la modernisation agricole sur la société rurale bretonne.

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