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En 1972, le CIANE se prononce en faveur de la création de centres spécialisés dans la « pédagogie de terrain ». Cette décision découle d’un travail préalable mené conjointement par quelques scientifiques et hauts-fonctionnaires, dont en particulier, H. De Commarques et

134 Source : Archives du Secrétariat d’Etat à la Jeunesse et au Sport. Versement 19780440 – ART-1-2

J.B. De Vilmorin. Le premier est issu de la noblesse périgourdine et travaille, en même temps qu’il entreprend de racheter et de rénover le domaine familial, au Ministère de l’Agriculture. Soucieux, à travers son expérience personnelle, d’éviter la standardisation des milieux ruraux, il développe l’idée de valoriser la culture locale des Pays. Le second, issu lui aussi de l’aristocratie et naturaliste chargé des relations publiques à la Société Nationale de Protection de la Nature (SNPN) depuis le début des années 1960, est à cette période au service de Conservation de la Nature au Muséum d’Histoire Naturelle. Il est à ce poste quand il est mandaté, par Philippe Saint Marc, Président de la Mission d’Aménagement de la Côte Aquitaine (MIACA) et proche de Serge Antoine135, pour étudier la faisabilité de la création d’une Maison de la Nature. Cette idée de maison de la nature faisait partie du mouvement de rénovation culturelle et sociale des espaces ruraux par la valorisation des ressources locales.

Après une mission d’étude effectuée dans ce cadre par J.B. De Vilmorin auprès des

Fields Centers en Angleterre136, le Ministère de l’Environnement, lui confie le secteur de l’Education à l’Environnement. De ce travail sont issus les Centres Permanents d’Initiation à l’Environnement (CPIE) dont les deux principes fondateurs sont rappelés dans une note aux Préfets en 1976137. Ces principes sont construits autour de l’idée qu’un CPIE doit être en mesure de (ré)animer le territoire sur lequel il s’implante, en créant des emplois, tout en constituant une possibilité d’accueil pour les populations extérieures. D’autre part, il doit permettre la sensibilisation de tous, sur le terrain, à la relation « homme-milieu ». Les CPIE représentent pour les différents Ministères et la DATAR, les aspirations sociopolitiques de la période, centrées sur la transformation socioculturelle des espaces ruraux. En effet, les CPIE cristallisent au moins trois ambitions.

La première ambition est de soutenir la redynamisation de secteurs ruraux dévitalisés par la rénovation d’équipements communaux (anciennes écoles, maisons éclusières, bâtiments historiques, etc.) en bâtiments d’accueil138. Concrètement, les CPIE opèrent la revitalisation rurale par une patrimonialisation des équipements existants qui consiste à réutiliser ou réaffecter des bâtiments inutilisés pour permettre le déroulement d’activités pédagogiques, le développement d’actions d’insertion ou encore d’activités de restauration ou d’hébergement :

« Y’avait qu’une chose à faire : trouver des endroits où il fallait remettre en état un patrimoine qui foutait le camp, une vieille école, un vieux manoir, un vieux

135 Haut fonctionnaire et écologiste, Serge Antoine est chargé en 1963 de créer la DATAR et participe

activement à la mise en œuvre de la politique des PNR dès 1967 (Charvolin, 1997).

136 Les Field Centers ou field clubs anglo-saxons sont principalement des clubs de plein-air dédiés à la

découverte ludique mais aussi scientifique du milieu naturel (Mathis, 2012).

137 Source : archives du siège de l’Union Nationale des CPIE.

138 D’après les résultats d’une enquête nationale menée par le Ministère de l’Education avec le soutien

du Ministère de l’Agriculture en 1975, un tiers des écoles fermées au cours de la décennie 1970 sont désaffectées (source : « L’école en milieu rural ». Fédération des délégués départementaux de l’Education Nationale, compte-rendu de l’enquête nationale, 1976, 72 p.)

château, enfin des trucs qui étaient inutilisés et qu’on pouvait restaurer […] A l’époque, on faisait des dortoirs, des paillasses et des labos, c’était vraiment comme au muséum…et c’était aussi le fait de créer des emplois locaux : comme c’était aussi un hébergement, il fallait une cuisinière, il fallait des gens pour aider, un jardinier, une femme de ménage […] »139.

La rénovation de ces équipements, et plus rarement leur création ex-nihilo, est assurée financièrement par diverses émanations de l’Etat (Ministères, DATAR, Missions d’Aménagement, budget de la Rénovation Rurale, etc.) mais aussi par les collectivités locales140. En d’autres termes, il s’agit de créer une structure où l‘aide de l’Etat peut n’être que subsidiaire. L’essor du tourisme rural s’ajoute par ailleurs à l’intérêt qu’ont les petites communes rurales à accueillir cette nouvelle clientèle hors des périodes habituelles de fréquentation touristique. Pour le Ministère de l’Agriculture, le CPIE :

« révèle et développe les capacités d’accueil publiques ou privées du monde rural. Il favorise le maintien des services publics, participe à la création ou à la renaissance de certaines activités économiques et justifie ainsi la présence de jeunes dans le pays. Il contribue ainsi à redonner sa juste valeur à l’apport du monde rural dans l’économie nationale grâce aux brassages qui s’y réalisent»141.

Dans cette perspective, les CPIE seraient donc à la fois l’expression et le réceptacle des brassages sociaux et culturels et des innovations ayant désormais lieu dans le milieu rural.

La deuxième ambition des CPIE est d’ordre environnemental. Ils constituent des « centres d’information » sur les problèmes d’environnement et des « centres de production » de documents pédagogiques à ce sujet. Ils sont également, d’après le Ministère de l’Education, des « centres de formation » pour leurs utilisateurs, qu’ils soient enseignants ou étudiants dans les cursus de formation élémentaire, technique et universitaire, jeunes ou adultes, urbains ou ruraux, français ou étrangers. Cette ambition repose sur un parti-pris éducatif dans lequel la pédagogie de l’environnement est construite en parallèle de la pédagogie didactique traditionnelle. Elle repose avant tout sur une « pédagogie de terrain », c’est-à-dire sur la relation sensible au milieu naturel pour « amener à une prise en charge par

chacun de l’avenir de la cité, en prenant en compte l’environnement quotidien »142. Pour les citadins,

résider hors de la ville permettrait « l’éveil critique vis-à-vis de son propre environnement, de

139 Extrait d’un entretien réalisé avec la chargée de mission CPIE, contractuelle d’Etat au Ministère de

l’Environnement entre 1975 et 2009, et mise à disposition de la Commission Nationale puis de l’Union Nationale des CPIE.

140 Rapport de la mission d’évaluation et de prospective sur les CPIE, rédigé par Philippe Seguin,

auditeur à la Cour des Comptes, Avril 1977 (source : Archives du siège de l’UNCPIE, Paris).

141 Ministère de la Qualité de la Vie, Note à l’intention des Préfets, 1976. (Extrait) (Source : Archives du

siège de l’UNCPIE, Paris).

142 Archives du Ministère Jeunesse et Sports, versement 19840014, ART. 1-2. « Réunions du Groupe de

sortir de son rythme habituel, considérer les milieux ruraux et urbains comme complémentaires»143.

Ainsi, par les conditions d’apprentissage qu’ils réunissent, les CPIE permettent de rompre la routine, nécessaire au développement du sens critique et au jugement distancié. De cette façon, ils encouragent « la préservation dynamique des équilibres naturels caractérisant le milieu

rural»144. Concrètement, ce projet pédagogique est opérationnalisé par la mise à disposition, dans chaque CPIE et pour une période de deux ans, de trois fonctionnaires (un instituteur, un conseiller pédagogique de Jeunesse et Sports, un conseiller technique du Ministère de l’Agriculture)145. Dans la conception initiale du projet, les campagnes de sensibilisation et de « responsabilisation » devaient être prolongées par un projet éducatif plus global visant

« l’amélioration de la formation initiale dispensée dans les grandes écoles d’ingénieurs aux futurs responsables du pays, en ce qui concerne la connaissance et la maitrise des problèmes d’environnement »146. Ce projet restera finalement inabouti.

La troisième ambition des CPIE est plus largement, de favoriser les relations entre les milieux ruraux et urbains dans un contexte où les enjeux liés à l’intégration (économique ou démographique) sont multiples. Les CPIE doivent contribuer, d’après le Ministère de l’Intérieur, à renforcer la solidarité en permettant de « préparer les hommes à se familiariser avec

un « temps de vivre » différent »147 et de « mettre fin à l’isolement des blocs culturels qui se méconnaissent »148. Dans cette perspective, ils ont pour objectif de soutenir toutes les

initiatives (associatives comme institutionnelles) allant dans ce sens, ou bien d’en être directement à l’origine. Plus généralement, la pédagogie environnementale, telle qu’elle est imaginée et conçue au sein des CPIE permet de repenser l’action sociale, en développant les habiletés citoyennes (Kalaora & Vlassopoulos, 2013) par la construction et l’animation d’une dynamique culturelle mêlant héritages ruraux et aspirations urbaines. Etre un CPIE, c’est

« agir au bénéfice de ceux qui viennent et de ceux qui restent ; c’est initier, instruire, influencer sur le comportements des premiers, mais aussi amener l’habitant du terroir à se situer en responsable clairvoyant dans son cadre de vie, en développant la connaissance des facteurs déterminants de celui-ci »149. Dans la mesure où les liens d’interconnaissance ne sont plus établis autour de la fonction agricole des territoires, ceux-ci pourraient être restaurés autour de l’expérience de la nature

143 Ibid

144 Archives du Ministère Jeunesse et Sports, versement 19840014, ART. 1-2. « Réunions du Groupe de

Travail Interministériel sur les CPIE, 1973-1977 ». « Journées d’échanges de Lanslebourg, 3, 4, 5 Octobre 1974.

145 Rapport de la mission d’évaluation et de prospective sur les CPIE, rédigé par Philippe Seguin,

auditeur à la Cour des Comptes, Avril 1977 (source : Archives du siège de l’UNCPIE, Paris).

146 Extrait du rapport de présentation de la Commission Animation-Formation-Education du CIANE,

1974. Source : Archives du Ministère de l’Environnement, versement 19850660, ART. 9-10, Politiques des Parcs et CIANE.

147 Extrait d’un rapport de présentation des CPIE, 1975. Source : Archives du Secrétariat d’Etat à la

Jeunesse et aux Sports, versement 19780440, ART.3, 1973-1975.

148 Archives du Ministère Jeunesse et Sports, versement 19840014, ART. 1-2. « Réunions du Groupe de

Travail Interministériel sur les CPIE, 1973-1977 ». « Journées d’échanges de Lanslebourg, 3, 4, 5 Octobre 1974.

et des loisirs de nature, dans des espaces tels que les CPIE. De plus, cette idée de « réveiller » le monde rural par l’initiative et la capacité d’entreprendre des acteurs locaux s’oppose à l’idée d’un « milieu rural assisté » ayant prévalu jusqu’alors, caractérisé par l’intervention exclusive de l’Etat, notamment financière, pour pallier aux insuffisances territoriales. Ainsi, c’est dans un rééquilibrage entre politiques publiques « top-down » (descendantes) et initiatives locales « bottom-up » (ascendantes) que les enjeux du milieu rural sont pris en charge par les CPIE.

Ces ambitions ont pour vocation d’être traduites sur l’ensemble du territoire français, d’abord par un groupe de travail interministériel et des conventions passées avec l’Etat, puis par une Commission chargée d’instituer et de labelliser les nouvelles structures, créée en 1976. A cet égard, la logique d’implantation des CPIE est pensée de la même manière que celle des PNR, ils doivent en effet « constituer de petites unités « truffant » le milieu rural tout en

restant à l’échelle humaine »150. Le récit de J.B. de Vilmorin, au sujet de l’implantation des CPIE,

illustre particulièrement bien ce contexte général:

« J’ai eu l’occasion de parler à André Malraux, il m’a dit « Jean-Baptiste, faites des CPIE, dans les lieux où il y eu de la Résistance […] ». Ce qui est une remarque très intéressante puisque les CPIE sont l’expression de la volonté forte d’un Pays. Là où il y a une existence forte, des sentiments forts, cela prouve que les gens ont une envie de vivre et les CPIE comptent sur cette envie de vivre »151.

Entre 1972 et 1980, neuf CPIE voient le jour. Alors même qu’ils sont présentés comme des centres de découverte de la nature, les contenus pédagogiques déployés par ces premiers CPIE ont une très forte connotation naturaliste. Dans la pratique, les premiers CPIE ont accompagné l’implantation des politiques de conservation menées au sein des parcs nationaux (Vanoise, Bigorre). L’enjeu de leur création est avant tout de consolider l’action du Ministère de l’Environnement qui, ayant peu d’assises locales, doit s’appuyer sur des réseaux orientés vers le développement d’une action éducative et de loisirs à partir des ressources naturelles et humaines locales pour faire valoir la légitimité de son action. Finalement, les débats corrélatifs à la création des CPIE recoupent ceux de la délimitation de l’action ministérielle et des enjeux de définition d’un nouveau domaine d’action publique, l’environnement.

Jusqu’au milieu des années 1990, seules deux tentatives d’implantation de CPIE ont eu lieu en Bretagne. Il s’agit du CPIE lié au PNRA et du CPIE du Trégor liés à l’apprentissage de la voile dans les Côtes d’Armor. A cette période, d’autres structures associatives aux pratiques similaires coexistent et ne seront labellisées, pour certaines d’entre elles, que plus tard.

150 Extrait d’un rapport de présentation des CPIE, 1975. Source : Archives du Secrétariat d’Etat à la

Jeunesse et aux Sports, versement 19780440, ART.3, 1973-1975.

151 Extrait du recueil de témoignages recueillis à l’occasion des 20 ans de l’UNCPIE, le 29 Septembre

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