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B - LE JUGE ET LA FORCE MAJEURE

Dans le document La rupture du contrat (Page 29-33)

peut pas être une condition ou un motif pour anéantir un lien contractuel. Mais le juge peut décider de sanctionner un contractant par la résolution du contrat et cela, même dans le cas où un manquement n’a pas porté préjudice à l’autre partie, comme le précise la Cour de cassation dans son arrêt du 27 avril 194899. En l’espèce, l’affaire concerne un litige entre une société immobilière et une personne physique : la société immobilière avait loué des garages à une personne physique, cependant cette dernière avait sous-loué quelques locaux à une autre personne physique qui les a utilisés à des fins autres que des locaux de garage. Ces locaux étaient en effet, utilisés pour la fabrication de croix de guerre. La société immobilière, informée de l’existence d’une sous-location, décide d’engager une action en justice afin de résoudre le contrat au motif que la sous-location des locaux était destinée à une activité autre que celle prévue dans le bail principal. Cela étant une violation d’une obligation essentielle du contrat, le bail serait logiquement résolu de plein droit. Saisie de l’affaire, la Cour d’appel d’Alger en décidera tout autrement ; selon le juge, le contrat ne doit pas être résolu sous prétexte que le manquement, autrement dit la sous-location, n’a porté aucun préjudice à la société bailleuse, la demande a donc été rejetée.

51. La position de la Cour de cassation.- La Cour de cassation a censuré la décision de la Cour d'appel d'Alger. La haute juridiction, en effet, estime que cette sous-location a pour but d’utiliser les biens pour un objectif autre que celui prévu dans le premier contrat, ce qui constitue une violation d’une obligation essentielle de la convention et même si le manquement ne provoque aucun préjudice au demandeur, le contrat est résolu aux torts du bailleur principal.

Le manquement contractuel, quoi il en soit, doit conduire à la rupture du contrat; l'existence ou l'inexistence d'un préjudice ne doit avoir aucune incidence sur l'anéantissement du contrat. Il aura uniquement une influence sur l'octroi des dommages et intérêts. Mais pour une justice contractuelle, il est plus équitable de mettre en demeure le débiteur ou lui octroyer un délai pour remédier à son manquement, avant de résoudre le contrat.

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Dans une autre affaire du 5 février 1971, la Cour de cassation a, en effet, confirmé qu’un contrat peut être résolu même en l’absence de préjudice pour l’autre partie. Elle précise ainsi que « La violation de conventions

légalement faites permet au juge d’en prononcer la résiliation laquelle n’est

pas subordonnée à l’existence d’un préjudice » 100. En l’espèce, un particulier

avait loué des locaux à des fins commerciales, mais ce dernier transforma une partie de ces locaux pour en faire une habitation, cela sans l’autorisation du bailleur. Une demande de résiliation a été déposée pour violation des obligations contractuelles essentielles. La Cour d’appel rejette la demande au motif que celle-ci – c’est-à-dire la transformation des locaux- n'entrainait aucun préjudice ni aucune possibilité de préjudice. Cette décision a été donc censurée par la Cour de cassation pour les motifs cités auparavant. De plus, un autre arrêt du 4 mars 1994101 confirme cette orientation. En l’espèce, la société KENYS avait loué des locaux à usage commercial à la société MERGO, dans le contrat, une clause stipule que les locaux doivent être assurés contre les incendies par la société locatrice, or la société KENYS met en demeure la société MERGO, car cette dernière n’avait toujours pas transmis le justificatif d’assurance ; elle la menace cependant de résoudre le contrat de bail en faisant jouer la clause résolutoire pour non-respect d’une obligation essentielle du contrat.

La société locatrice s’est exécutée dans le délai prévu et a transmis le contrat d’assurance comme le stipule le contrat. Or, la société KENYS avait en même temps entamé une demande de résolution du bail pour manquement à une obligation, car, les locaux étaient restés quatre ans sans assurance contre les incendies.

Le contrat de bail est donc résolu aux torts de la société locatrice, même si le manquement n’a porté aucun préjudice à la société bailleuse.

L’affaire est portée devant la Cour de cassation, où la société MERGO reproche au juge du fond d’avoir prononcé la résiliation du bail alors qu’elle avait assuré les locaux comme prévu dans le contrat et comme lui avait demandé dans sa mise en demeure la société KENYS. En effet, la société « Bailleuse ne pouvait se prévaloir d’aucun manquement à l’obligation

d’assurance » et « Ne pouvait (…) invoquer aucun préjudice actuel »102.

La Cour de cassation a rejeté le pourvoi et confirmé la décision de la Cour d’appel de résoudre le contrat justifié par le manquement de la société

100

Cass. 3ème Civ., 5 février 1971, Bull. civ., III, n° 90, p. 65.

101Cass. 3 ème Civ., 4 mai 1994, Bull. civ., III, n° 84, p. 53.

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locatrice antérieurement à la demande en résolution et estime aussi qu’elle « N’avait pas à distinguer, que ceux-ci aient causé ou non un préjudice au

bailleur(…) »103.

La position de la jurisprudence est claire, elle estime que : pour qu’un contrat soit rompu, le manquement ne doit pas nécessairement porter préjudice à la partie victime d’une inexécution.

Le juge ne se pose donc pas la question de l’impact du préjudice ni de son importance ni même sur son existence, car l’existence ou l’inexistence d’un préjudice ne peut être vu comme preuve de l’existence d’un manquement grave, qui justifierait l’anéantissement. Le manquement grave à une obligation essentielle du contrat ne produit pas spécialement un préjudice à la partie victime du manquement, mais provoque la rupture du contrat. 52. La condition de la résolution.- La doctrine ne critique pas la position de la jurisprudence. En revanche, le doyen CARBONIER se demande comment la résiliation pouvait être admise " plus largement que son diminutif ", c’est-à-dire, rupture du contrat suivi par la condamnation à des dommages-intérêts. Par ailleurs, une grande partie des auteurs contemporains se contentent au contraire, d’observer que le préjudice n’est pas une condition de la résolution104.

Le professeur STORCK par exemple, précise qu’« Il n’est pas nécessaire,

pour que la résolution soit obtenue, que le créancier ait subi un

préjudice… »105.

Le professeur BENABENT lui aussi affirme « Qu’il n’est pas nécessaire que

l’inexécution ait causé à l’autre partie un préjudice consommé »106.

Plusieurs auteurs précisent que « Même lorsqu’elle n’entraîne pas un

préjudice pécuniaire, l’inexécution serait en quelque sorte toujours à l’origine d’un préjudice moral pour la partie au contrat qui en est victime, préjudice

que la résolution du contrat viendrait réparer »107.

Pour résumer, l’existence du préjudice ne peut en aucun cas intervenir, ni être avancée pour prononcer la résolution d’un contrat. En revanche, il est

103 Cass. 3ème Civ., 4 mai 1994, op.cit.

104

Z. LAOUANI, Le juge et la résolution du contrat, thèse, Lille II, ANRT, 2001, p. 121.

105

M. STORCK, Résolution judiciaire, in, Droit des contrats France Belgique, Éditions Larcier, 2005, p.17.

106 A. BENABENT, Droit des obligations, Montchrestien, 13ème éd, 2012, p. 242.

107 V. en ce sens M. PLANIOL et G. RIPERT, Traité pratique de droit civil français, tome VI, 2ème éd, n° 431. Le doyen CARBONNIER apporte cette précision : « Encore faut-il que le préjudice moral existe bien et qu’il soit

prouvé. Or il n’est pas certain que l’inexécution entraîne toujours un préjudice moral pour la partie qui en est victime », J . CARBONNIER, Droit civil, Les obligations, tome 4, 22 ème éd, 2000, p. 242 .

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indispensable de prouver l’existence d’un préjudice pour accorder des dommages et intérêts.

« Il faut (… ) se garder de systématiser ou d'automatiser le raisonnement : ce n'est pas parce que le manquement ne s'est pas renouvelé qu'il ne sera pas jugé suffisamment grave. D'un autre côté, ce n'est pas parce que le manquement s'est renouvelé qu'il sera jugé suffisamment grave. Même si un manquement renouvelé est en soi un indice de gravité, c'est avant tout la nature du manquement et son contexte qui seront décisifs. À ce titre, la liberté d'appréciation du juge est très similaire en matière de congé pour

motif légitime et sérieux ».108

Dans le document La rupture du contrat (Page 29-33)