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Chapitre 2 Dramaturgies : l’image, le son, l’espace et le texte au théâtre

2.4.3 Les nouveaux modèles dramaturgiques

2.4.3.3 Exemples d’œuvres intermédiales

2.4.3.3.4 Juan Rafael Mora Porras (2010)

Juan Rafael Mora Porras : lo llamaban Juanito, texto escénico multimedia commence

quand Juan Rafael Mora Porras (1814-1860), personnage réel de l’histoire politique costaricaine, rentre dans son pays, en 1859, malgré sa condition d’exilé. Mora, rempli de nobles principes, veut reprendre la position de président de la République qui lui a

529 Ibid., p. 38-40. 530 Ibid., p. 42-43.

injustement été enlevée. Dans la deuxième partie de l’œuvre, l’histoire remonte dans le passé, au moment où Mora, en tant que président, fait appel à la population pour défendre le territoire national contre les flibustiers de William Walker. Cette bataille a été gagnée en 1856, grâce à l’intervention de Mora, qui a ainsi assuré l’indépendance du Costa Rica. Dans la troisième partie, l’histoire reprend au moment où Mora entre au pays comme exilé et à cause de son effort pour retourner au pouvoir, est emprisonnée et fusillé en 1860, par son propre peuple.

Cette œuvre combine le théâtre, la danse, la musique, la poésie et la vidéoscénique. La proposition dramaturgique n’est pas linéaire. Les personnages de Juan Rafael Mora Porras et Inecita (son épouse) sont représentés par des acteurs de théâtre, par des danseurs et des chanteurs. Ce croisement de disciplines caractérise toute l’œuvre. Au début, le conflit est porté par l’univers visuel. Par exemple, alors que le personnage du vieux soldat narre de manière lyrique le destin fatal de Mora, l’image de plusieurs pieds qui marchent dans la boue sont présentés en transparence et superposés à l’image de la mer, de la plage et au portrait de Mora, qui s’estompe. Cette image est chargée de la prémonition de la mort de Mora ; elle est répétée avec certaines variations pendant la première partie. Si nous pensons au mouvement du soldat qui marche et se prépare à la guerre, cette image complète le sens de ce qui est dit par le personnage sur la scène. Cela crée une tension dramatique entre ces deux espaces et ces deux temps qui se complètent : l’image et la scène. Dans la proposition visuelle, nous observons également l’emploi d’images qui présentent le contexte de l’époque : la lumière d’une bougie, la roue d’un chariot typique du Costa Rica, des documents manuscrits, des illustrations de lieux en lien avec la guerre, des baïonnettes et des torches. Ces images permettent de comprendre les conditions de l’espace-temps dans lesquelles se déroule l’histoire, sans que ces informations soient données par les paroles des personnages.

La note liminaire de cette œuvre présente des consignes pour la création visuelle. Il y est question de transparence et de superposition des images, de traitement du rythme, du temps et des transitions. Puis, l’auteur suggère d’utiliser des images préenregistrées et des images captées en direct. Selon lui, l’exploration de la vidéo en direct pendant les répétitions peut apporter une certaine marge de performativité intéressante pour la proposition de la vidéo et

le traitement du discours global du metteur en scène. Dans ce sens, l’auteur propose de capter en direct et de superposer des images, en favorisant les premiers plans (yeux du personnage, une main qui pose un geste très significatif, etc.)531. Une fois encore, le langage cinématographique fait partie des indications pour certaines parties de la proposition visuelle de l’œuvre. Un élément intéressant à souligner est que la forme du texte est semblable à l’organisation et à la disposition des éléments d’un scénario. Sur la figure 3, nous voyons que le texte est divisé en deux colonnes : dans la première colonne, nous trouvons le texte dramatique et les didascalies à propos de la chorégraphie et de la musique. Dans la deuxième colonne apparaissent les didascalies touchant la vidéoscénique.

Figure 3 Extrait de l’œuvre Juan Mora Porras

En résumé, dans les trois œuvres analysées, l’auteur met en place une proposition d’écriture intermédiale sous une forme textuelle, envisagée à la fois comme écriture dramatique et comme proposition scénique qui intègre l’image, le son, l’éclairage, le texte et le travail d’interprétation, tous ces éléments étant en relation et en échange constant les

uns avec les autres. Le regard adopté est à la fois celui du dramaturge et du metteur en scène. Un regard qui vise l’élaboration textuelle d’une pièce de théâtre, et qui s’imprègne d’un contact avec le dispositif et ses possibilités narratives, tout en reposant sur une bonne connaissance de cet ensemble. La dimension sonore et visuelle des œuvres s’affirme dans les indications scéniques et contribue à faire comprendre le sens global de l’œuvre. Malgré leur diversité, les trois œuvres de Thenon se ressemblent par la façon de traiter le tissu dramaturgique en relation avec les possibilités significatives et sensorielles que les médias apportent à la scène.

Le texte est invité à dialoguer avec les autres médias qui l’accompagnent. Comme nous l’avons vu, la création d’une écriture intermédiale exige que le dramaturge soit familier avec les possibilités poétiques des médias qu’il intègre, mais aussi avec leur fonctionnement technique. Ce type de texte propose une scène avec un type de montage expressif (Martin), une vue multiple (Schechner), où tous les médias deviennent des signes. Ce qui porte à réfléchir est que cette façon d’opérer en réseau dans l’écriture intermédiale a des analogies surprenantes avec le fonctionnement d’un ordinateur. Les images, les sons et les textes sont fournis de telle sorte que ce soit le lecteur ou le spectateur qui construise ses hyperliens et sa propre lecture.

Nous aurions pu citer d’autres exemples de ce type d’écriture intermédiale. L’œuvre La

face cachée de la lune de Robert Lepage, écrite en 2007, en est un bien connu. Ce texte

prend comme point de départ la mise en scène réalisée par le même auteur en 2000. Il comprend une description détaillée du dispositif et même des illustrations. Les indications scéniques décrivent également les transformations du dispositif, la vidéoscénique, la relation du dispositif et de l’acteur.

Bref, ce qui nous attire dans l’écriture intermédiale, c’est, d’une part, qu’elle permet d’élaborer une création scénique par l’exploration avec les dispositifs et l’intégration des technologies numériques dans la scène. D’autre part, elle nous amène à repenser de manière originale l’adaptation du conte au théâtre et le rôle que peuvent y jouer les technologies numériques. C’est pourquoi l’écriture intermédiale constitue un des outils à explorer dans le cadre de notre recherche-création.

2.4.4 Concepts et notions pour discuter le texte