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ertes, Dieu ne peut pas jouer sur un violon brisé. Il y a pour-tant de nombreuses personnes — de bons Chrétiens — qui sont brisés. Comment Dieu peut-il les utiliser ? Il est une sorte de brisure dont nous souffrons tous dans notre route vers la plénitude (la "contrition" désigne, au sens littéral, l'état d'être brisé), mais mal-heureusement trop de Chrétiens sont brisés de façon destructrice et si grave qu'ils ne peuvent appliquer le commandement d'aimer Dieu et son prochain. Leur désordre intérieur les empêchede se conformer à la volonté de Dieu, et pourtant, paradoxalement, ils arrivent encore à croire que ce mal estla volonté de Dieu. En conséquence, ils ne sont guère enclins à demander à être libérés de ce qu'ils pensent leur être imposé par Dieu.

Imaginons, par exemple, que je souffre de dépression et que je trouve difficile de croire à l'amour de Dieu pour moi. Comment pourrais-je l'aimer en retour ? Une trop grande tristesse peut m'empêcher d'avoir un rapport d'amour avec les autres. Ma souffrance est trop grande, tout ce que je veux, c'est trouver un endroit tranquille où je puisse être seul, me réfugier dans une grotte. Je suis trop blessé pour être actif au sein d'une communauté Chrétienne agissante. Je suis trop brisé pour ac-complir même les tâches les plus élémentaires de la vie d'un Chrétien.

En outre, mes blessures remontent peut-être si loin dans mon enfance que je ne peux pas faire grand-chose pour me changer, même avec une aide psychologique. Or, combien de prêtres et de ministres du culte sont prêts à prier pour une telle personne, dans la certitude que Dieu ne souhaite pas qu'elle soit en si triste état et que Dieu apportera la paix de l'âme si seulement nous le lui demandions ? Si Dieu est venu nous sauver, pourquoi y a-t-il tant de Chrétiens brisés en corps et en esprit ? L'une des raisons majeures en est le spectaculaire renversement qui est intervenu entre les premiers temps où les Chrétiens considéraient santé et guérison comme la réponse normale d'un Père aimant envers ses

en-fants malades, et l'attitude plus tardive où la souffrance a été considérée comme le signe d'une bénédiction spéciale de Dieu.

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IMPORTANCE MAL COMPRISE DE

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Une opinion courante sur la souffrance, et qui a influencé bien des gens — y compris moi-même —, est que ceux que Dieu aime le plus auront le plus à souffrir. Ce point de vue s'est trouvé conforté de bien des manières : "Si tu supportes dignement la croix dans cette vie, tu seras récompensé par une couronne de gloire au paradis." Il y a une image, au début du livre La montée du Carmel, de St Jean de la Croix, qui exprime la même idée : une montagne abrupte gravie jusqu'au sommet par un chemin étroit et difficile d'où serpentent d'agréables chemins de traverse représentant toutes les tentations qui nous détour-nent de Dieu. D'anciennes biographies de saints (tels que Henri Suso le Bienheureux, cité dans le dernier chapitre), mettaient en général en exergue les pénitences et souffrances endurées par ces grands héros spirituels. Tout lecteur ordinaire, non initié, de ces livres en ressort avec la conviction que la réunion à Dieu est affaire sérieuse (ce qu'elle est en effet), et que de grandes souffrances sont exigées si nous désirons atteindre le faîte de cette réunion à laquelle Dieu nous appelle. La ten-dance naturelle des moins vaillants est de se dérober et de dire : "Je laisse cela aux saints."

Certains courants de spiritualité traditionnelle ont mis l'accent sur l'importance de la souffrance et de la pénitence — surtout la souffrance non choisie— qui apporteraient les bienfaits suivants :

• Pour moi en tant qu'individu : "Elle me purge de tout égocentrisme et égoïsme. Si je parviens à anéantir mon abusif désir de plaisir en acceptant la souffrance, je pourrai progresser en détachement et en amour pur et désintéressé de Dieu et de mon prochain."

• Pour le monde : "Je peux unir mes souffrances à celles de Jésus sur la croix, et lui offrir de les utiliser de façon rédemptrice afin d'aider les autres. Comme St Paul, je peux lui demander de compléter dans mon corps ce qui manquerait aux souffrances du Christ offertes pour le salut du monde."

Le but principal de mon désir de souffrance est d'imiter le Christ

aussi parfaitement que j'en suis capable, de marcher sur ses pas san-glants, afin que je puisse devenir comme lui et prendre part à sa mis-sion de rédemption de la race humaine à travers la souffrance. N'a-t-il pas affirmé, de façon explicite, que la personne qui ne porte pas sa croix chaque jour, et ne le suit pas, est indigne d'être son disciple ?

Jusqu'à un temps relativement récent, les conseillers spirituels récon-fortaient les malades en leur expliquant que le Christ leur vouait un amour particulier puisqu'il les avait choisis pour partager plus pro-fondément encore sa vie de crucifié. Cet idéal de vivre une vie de cru-cifié était d'un rigorisme héroïque dont on trouvait une représentation graphique sur les crucifix, fabriqués à la main en Espagne, que l'on re-trouvait parfois dans les couvents et les monastères : ces perles de sang et ce masque de souffrance, peints sur le visage du Christ, nous don-naient un sentiment de culpabilité devant notre propre vie faite de confort et d'absence de mortification.

Si votre spiritualité était ainsi "axée sur la croix", ne vous sentiriez-vous pas coupable de demander à être guéri d'une maladie ? Une gué-rison vous priverait de la possibilité d'imiter Jésus et d'aider à racheter le monde. Succomberiez-vous à votre faiblesse plutôt que d'aspirer à la sainteté ? Vous demanderiez peut-être des bienfaits spirituels, mais vous hésiteriez à en solliciter de matériels, par crainte qu'ils ne vous privent des mérites de la souffrance.

Inconsciemment influencés par ce type de doctrine, de nombreux Chrétiens, certainement Catholiques pour la plupart, n'ont jamais pensé à la prière comme remède à leurs maux, même en sachant bien que le Christ avait le pouvoir de guérir les malades et de faire qu'ils soient en bonne santé. Si j'étais censé porter ma croix, il serait préférable que je m'attelle à celle que Dieu semblait m'avoir réservée plutôt que d'en demander une plus légère : implorer la guérison serait une lâcheté.

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OMMENT ENVISAGER CORRECTEMENT LA SOUF

-FRANCE

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La Bible nous enseigne une apparente contradiction. Jésus dit à ceux qui le suivent de porter leur croix : pourtant, à chaque rencontre avec des malades, il tend la main et les guérit. Était-il incohérent, ou bien ses mots ont-ils été mal interprétés ?

Je pense que nous pouvons résoudre ce problème en faisant une dis-tinction importante entre deux sortes de souffrance :

• La croix que Jésus a portée était celle de la persécution, le genre de souffrance qui vient du dehors à cause de la méchanceté d'autres personnes qui sont mauvaises. Il a profondément souffert à l'inté-rieur de lui-même, mais la source de son tourment était extél'inté-rieure à lui. Jésus a pleuré pour Jérusalem, on l'a injurié et on s'est moqué de lui, on l'a cloué sur la croix et il est mort.

• La souffrance que Jésus n'a probablement pas lui-même endurée, et qu'il a ôtée à ceux qui l'ont approché dans la foi, était celle de la maladie : la souffrance qui nous déchire de l'intérieur, qu'elle soit physique, émotionnelle ou morale.