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Intrusion des images et hypersensibilité

Dans le document LES ADOLESCENTS FACE AUX IMAGES VIOLENTES (Page 74-77)

Souvent une grande sensibilité à l’image conduit à des évitements, mais elle peut aussi conduire à un travail sur l’image. C’est le cas de Calliopée, qui est hypersensible aux images, mais aussi très attentive aux effets de l’image sur elle, aux effets énergétiques des couleurs. En dehors de représentations de violence, certaines images peuvent lui donner envie d’être violente, de taper dans quelque chose. De cette hypersensibilité elle a fait quelque chose, parce qu’elle souhaite la transformer en compétence, en source de créativité. Elle a pris des cours de dessin. Elle s’oriente dans des filières à dimension esthétique. Mais depuis, elle a nourri sa connaissance des images, et les analyses qu’elle fait montrent qu’elle sait ne pas être prisonnière d’un stéréotype, faire une place à sa sensibilité. C’est notamment apparu dans son analyse de l’image de la publicité pour Citadium qui lui était présentée et qui comporte un chaste baiser sur la bouche entre deux filles, très jolies, mais aussi très maquillées, comme l’a souligné Calliopée.

Iris qui se fait fort de connaître la réalité des jeunes de la cité, d’affronter les difficultés des adolescents, qu’il s’agisse de drogue ou de dépression, de critiquer les discours médiatiques à leur propos, évoque sa peur de certains scenarios comme si certains scénarios pouvaient infiltrer la réalité. Elle a une grande sensibilité aux images violentes et a dû supporter à son adolescence de regarder

Saw 4 que son oncle et son père, pour s’amuser, l’ont forcée à voir : GW : A 14 ans, vous avez regardé Saw 4 avec votre père ?

Iris : J’ai pas regardé, c’est lui qui regardait. J’aime pas les films d’horreur, limite je me cache, je reste dans ma chambre, et en fait mon oncle pour m’emmerder un peu, il me retenait exprès, mais je me cachais mais j’entendais les cris. Mais c’est horrible de faire ça quoi. Vous imaginez, c’est horrible, quoi !

SJ : Qu’est-ce qui est horrible, d’obliger quelqu’un à regarder ça ?

Iris : Non, il faisait ça pour m’emmerder, mais quand il voyait que j’avais peur, il m’a lâché, mais je supporte pas de voir d’autres gens mourir comme ça. Vous aimeriez pas mourir comme ça, je sais pas. Votre tête écrasée par d’énormes glaçons. Mais c’était un peu intéressant parce que c’était des énigmes. Du genre n’ouvre pas la porte, si tu l’ouvres, il meurt. Mais ils sont obligés de s’entretuer entre eux pour ne pas mourir. C’est la loi de la jungle quoi !

Le film a été interdit aux moins de 16 ans et son visa s’accompagne d’un avertissement de la commission de classification, selon lequel le « film comporte des scènes de très grande violence particulièrement éprouvantes", en raison des « scènes de très grande violence et de torture, qui ne justifient toutefois pas une interdiction aux mineurs de moins de dix-huit ans en raison d'un rythme d'images et d'un fil narratif qui les différencient de Saw III ». Iris qui en a vu, malgré elle, quelques scènes a ressenti la violence du film, comme si elle était exercée contre elle. Dans l’entretien, elle a essayé de la faire ressentir à la chercheuse, avec une interpellation assez poignante, « vous aimeriez pas mourir comme ça ! Votre tête écrasée par d’énormes glaçons», laissant voir que la fiction et la réalité ne sont séparées que d’une fine paroi. Elle supporte encore moins les scenarios qui ont une dimension superstitieuse, et qui mettent en scène des histoires de morts-vivants. Pour elle, les scénaristes franchissent là un interdit dangereux.

« Le seul film que je suis allée voir avec Jennifer et des potes à nous c’est Lazarus. Mais celui-là il faisait pas peur. Je veux pas être méchante, mais le film il a eu 2.5 sur 10 déjà. […] En fait [une personne] est morte d’une manière conne, parce qu’en fait ils avaient créé, un liquide nommé Lazarus pour faire revenir les gens à la vie. Mais d’une, ça c’est pas bien déjà, la personne elle est morte, elle est morte, tu touches pas.

SJ : Vous voulez dire que, dans un scenario, c’est pas bien ?

Iris : Oui, mais dans la superstition aussi, on touche pas, on fait pas ça. SJ : Comment ça ?

Iris : Y en a qui croient aux âmes errantes, par rapport aux religions ou pas, vous voyez, mais moi je crois plus aux fantômes, vous voyez, et je me dis, s’il y a quelqu’un qui est mort, ça sert à rien de le faire revenir à la vie. Et s’il y a des esprits, faut pas jouer avec ça non plus, c’est dangereux. Ça embête les esprits. Y en a qui sont malsains.

SJ : Vous êtes un peu animiste ?

Iris : Oui, désolée, c’est plus fort que moi. Je crois aux âmes, il faut les laisser dans leur dignité. C’est comme vous, si vous êtes pas bien, vous n’avez pas envie que vos amis viennent vous embêter »

A sa propre sensibilité aux images Iris donne un sens plus général en l’intégrant à des croyances aux esprits, mais elle manifeste aussi une perméabilité du monde quotidien à celui de l’image.

Alexis (établissement 1) a montré une hypersensibilité aux images sexuelles. Il a une hypersensibilité aux bruits de façon générale, et supporte mal la télévision que ses parents ont achetée récemment à cause des voix des JT. Il est également inquiet des interactions entre le web et les personnes physiques, mais c’est lorsqu’il aborde les images sexuelles qu’il perd vraiment le contrôle de ses émotions.

« Il semble donc maitriser les représentations de la violence tant qu’il n’y est pas trop soumis, jugule la pulsion sexuelle de manière beaucoup moins efficace, et se retrouve totalement débordé lorsque violence et sexe apparaissent conjointement. Il admet ainsi que les garçons vont tous sur les sites pornos, mais estime qu’en parler ruinerait sa réputation. Il met ensuite ces sujets à part en les dénigrant, les projetant dans le temps (au collège) ou dans l’espace (d’autres personnes immatures) ou en évoquant le côté « drôle » de ces scènes : en groupe cela peut lui paraitre amusant, mais pas seul. Lorsqu’on évoque l’excitation potentielle [des images pornographiques], il se lance dans une nouvelle explication complexe autour des sens, et répète un discours très idéalisé de relation charnelle et de la femme « pure ». Il identifie une forme délibérée de violence dans le porno et revient sur le danger que représentent ces images. (J.F. Chica, entretien avec Alexis, établissement 1)

Voilà en effet comment Alexis explique le caractère insuffisant et limité des films pornographiques, où l’on voit que les sensations de la sexualité, telles qu’Alexis se les imagine car il n’a pas d’expérience sexuelle avec un-e partenaire, sont confondues et entremêlées avec celles que permet le visionnage, alors même qu’il souhaitait, dans son raisonnement, les dissocier. Les analogies qu’il fait entre l’amour et le plaisir culinaire sont également très abstraites et manifestent une coupure forte vis-à-vis de ses propres sensations :

Mais voilà, les films pornographiques c’est uniquement visuel et sonore, ce n’est que deux sens. Y’a rien de sensoriel. Pour moi, dans ce genre de choses-là [dans l’amour] il y a l’ouïe, la vue, je ne crois pas qu’il y a le goût, sauf oui, peut-être dans le rapport buccal, enfin il n’y a pas de saveur, pas comme quand on déguste un plat, il n’y a pas de goût, pas d’odorat non plus, sauf qu’il a été montré que certains hommes dégagent des odeurs qui attirent les femmes, ah oui il y a le parfum, oui il y a l’odorat aussi si la personne a du parfum, mais sur les sites porno on n’a que la vue et l’ouïe ce qui n’est pas suffisant. Je pense que les personnes qui veulent avoir des bonnes sensations peuvent très bien imaginer plutôt que de voir. (Alexis)

Poursuivant la comparaison entre les films pornographiques et la rencontre amoureuse, il va opposer la violence des situations pornographiques, et la « pureté » qu’il « associe » aux femmes, ce que Jean François Chica appelle un « discours très idéalisé de la relation charnelle ».

« La présence, quand on y est, c’est beaucoup plus agréable, c’est le vrai plaisir de la personne qui s’ouvre à vous. Il y aussi un problème avec le porno c’est qu’il y a une forme délibérée de violence et de vices, on voit qu’il y a quelque chose derrière, ce n’est pas possible d’être aussi dur avec une personne. Il faut faire vraiment attention avec internet. Une personne sensible qui veut se faire plaisir et qui va voir, ça va peut-être voir une scène qui va la choquer profondément. Moi j’associe les femmes à une sorte de pureté et dans le porno il y a une sorte de violation, de viol délibéré de sa personne et de sa pureté, de toute sa chasteté. Et la façon dont ils font les choses parfois c’est révoltant et on n’a plus envie de regarder… » (Alexis)

Au final les efforts d’intellectualisation que réalise Alexis pour surmonter l’excitation sexuelle que lui procurent les images, échouent à la contenir. Devant l’image en noir et blanc d’un strip-tease féminin de dos (voir annexe), il se projette dans l’image, croit sentir la chevelure de la femme, manifestant un écart entre un discours intellectualisé et sa difficulté concrète à analyser l’image de façon détachée. Jean-François Chica concluait :

Il semble qu’Alexis soit encore assez perméable aux représentations de la violence : il n’est pas armé pour y faire face autrement que par l’évitement. Face aux représentations sexuelles crues, ses défenses se montrent fragiles. Dans la dernière partie de l’entretien, quand nous lui soumettons des images, ses défenses s’effondrent et la pulsion prend le dessus, l’excitation le submerge, les tendances qui le cadrent, notamment l’intellectualisation, cédant la place à une pseudo- organisation de la pensée qui l’expose totalement. » (J.F. Chica, entretien avec Alexis, établissement 1)

Adel, dans l’établissement 3, est un adolescent très énigmatique. Les éducateurs le connaissaient à peine et avaient le plus grand mal à le faire parler. Son seul centre d’intérêt tourne autour de l’informatique et de son téléphone portable. En matière d’images violentes, il s’y connait et nous montre, quand nous lui demandons de nous en parler, un site particulier où se trouvent exposés des meurtres, goregrish, un site de « Isis », selon lui. Il s’y connecte pendant l’entretien et nous montre une vidéo où l’on assiste au meurtre d’un homme à terre, le corps à moitié enterré, et dans lequel des hommes plongent des poignards. Il regarde jusqu’au bout la vidéo, sans ciller, sans le moindre mouvement des yeux. Après, il ne peut rien en dire, ne peut ni décrire ce qu’il a vu, ni esquisser la moindre explication. Il peut juste dire qu’avant il en regardait beaucoup, et qu’il en regarde moins, parce que « ça m’intéresse pas trop ». Rien ne peut aller dans le sens d’une hypersensibilité aux images chez Adel, mais on est bien dans un cas où les images font intrusion au point de rendre impossible l’accès à un sens des images, et où probablement la recherche d’images ultra-violentes, conduit à une insensibilité et à une répétition sans fin du visionnage, comme si un sens pouvait s’en dégager, alors même qu’il génère une adhésion à l’image et non la production d’un sens. Tout ce qui a pu être dit par Adel, c’est que ces images faisaient bien partie des images qui choquent mais de ce qu’il en ressent, de la nature de ce choc, tout restera opaque.

Ambivalence du rapport à l’image (représentation de la réalité,

Dans le document LES ADOLESCENTS FACE AUX IMAGES VIOLENTES (Page 74-77)

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