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Difficultés à construire une médiation cohérente

Dans le document LES ADOLESCENTS FACE AUX IMAGES VIOLENTES (Page 154-156)

Les environnements numériques rendent assez difficile pour les parents le maintien d’une cohérence dans les activités médiatiques. La volonté de respecter l’autonomie de l’enfant peut empêcher les parents de s’opposer à certaines décisions comme la création de compte sur les RSN, décision que les parents de milieux favorisés retardent plus volontiers. La sensibilité forte aux images sexuelles, ne s’accompagne pas toujours d’une sensibilité aux images de violence, malgré les chocs émotionnels qu’elles peuvent engager. Les parents de milieu populaire peuvent être plus démunis par rapport aux images violentes car elles n’enfreignent pas le tabou de la sexualité, et qu’elles leur semblent faire partie de la réalité du monde que tous ont à accepter d’une certaine façon.

Maeva, mère de deux adolescents, sophrologue cherche à assurer une médiation cohérente reposant notamment sur l’autonomie de l’enfant, la confiance, elle est d’ailleurs persuadée que les enfants ont une « intelligence » précoce vis-à-vis d’internet. Mais elle maintient une vigilance vis-à-vis de leurs activités numériques. Son inquiétude principale vient particulièrement de la plateforme YouTube, sur laquelle son fils regarde des Youtubeurs comme Cyprien ou Norman, ce qui est assez répandu dans sa classe d’âge. Mais elle trouve que certaines de leurs publications évoquent d’une façon trop crue la sexualité. Elle a fait l’effort de les regarder « Si on ne va pas écouter de nous-même, on ne sait pas ce qui est dit. » Ces contenus ne la dérangent pas trop pour son grand fils de 12 ans, mais davantage pour le plus jeune de 8 ans qui écoute avec lui, et elle ne sait pas ce qu’il en comprend. Elle accepte cependant sans difficulté que son fils joue à 12 ans à des jeux de guerre en réseau, ce sont pour elle « juste des jeux de guerre en réseau», alors que certains peuvent être interdits aux moins de 16 ou 18 ans, et que les forums des jeux de guerre sont aussi des lieux d’échange où les propos ne sont pas très policés. Elle ne semble pas au courant de leur fonctionnement.

Catherine, mère de 4 enfants (dont une de 15 ans) donne un accès libre à internet à l’ainée, qui ne suit pas les cours au lycée, mais à distance en restant à domicile. A son enfant de 8 ans, elle donne un téléphone sans internet mais équipe le petit de 3 ans d’un téléphone avec le wifi, « pour les applis », sans abonnement. Or le petit pourrait réaliser d’autres activités grâce au téléphone que jouer sur les applis. Elle-même l’a remarqué et dit « ça se dérègle souvent, il va sur d’autres choses… ». Parmi ces applications, elle lui permet de jouer au jeu « Candy Crush » qui est un jeu vidéo sur le web mais également sur Android, Apple, Windows phone. Le but de ce jeu est de faire écraser des bonbons colorés en associant des combinaisons d'au moins trois bonbons, afin de remplir un objectif de « niveau » et de gagner des points. Catherine considère ce jeu comme « éducatif grâce aux couleurs ». Or un jeu comme Candy Crush, jeu freemium, qui vise à se transformer en jeu payant, peut être considéré comme un jeu quasiment addictif, du moins visant une forme de consommation intensive, ce qui expliquerait son succès mondial49. Il ne s’agit pas d’un jeu à vocation éducative, mais d’un pur

divertissement commercial. On peut voir dans le choix de ce jeu pour Catherine, la marque d’un manque de formation. L’incohérence du discours de Catherine apparaît également quand elle ajoute « il faut faire attention aux addictions ». Catherine organise avec ses enfants une médiation axée sur la confiance et une forme de bricolage. Le fait de prendre Candy crash comme un jeu éducatif pour son plus jeune enfant manifeste à la fois une incompréhension du fonctionnement commercial des applications numériques gratuites et une aptitude au bricolage, qui repose sur une forme de confiance en elle, puisqu’elle s’autorise elle-même à trouver, dans ce jeu tous publics, une ressemblance avec certains jeux éducatifs qui demandent aux enfants de réunir des couleurs ou des formes identiques. Ce type de bricolage témoigne aussi d’une certaine souplesse des milieux populaires vis-à-vis des contenus médiatiques. On a pu aussi retrouver des parents qui n’étaient pas très favorables au fait que leurs enfants jouent à des jeux de guerre, mais qui finissaient par leur accorder GTA pour les récompenser de résultats scolaires satisfaisants en sixième (n°21).

Les comportements des parents eux-mêmes ne sont pas forcément cohérents avec leurs propres principes. Il est évidemment rare de pouvoir le relever dans les entretiens avec les parents ou dans les ateliers. Nous en avons cependant eu un exemple avec Virginie qui suit sa fille avec le GPS et veut tout savoir de ses conversations, mais raconte qu’elle peut invectiver son ex-mari sur son propre compte Facebook au point que celui-ci en soit prévenu par des tiers. L’incohérence se situe parfois dans une compréhension partielle de la situation de ses enfants. Laurène évoque le cas de sa fille comme étant agoraphobe, « elle a peur du monde, elle se fait taper dessus ». Sa fille a une maladie de la peau et a éprouvé du rejet dans le cadre scolaire pendant son enfance. Cette jeune fille est cependant décrite

49 C’est un des jeux qui a eu le plus de succès au cours des années 2014-2016 et qui générait le troisième résultat journalier sur

Iphone aux Etats-Unis en janvier 2016 (742 000 €) juste après Clash of Clans et Game of War. La réussite commerciale de ce jeu produit par King, une société anglo-suédoise, rachetée par Activision en 2015 grâce à ce succès, repose notamment sur la possibilité de générer des paiements. Seuls 2.6% des joueurs acceptaient en 2016 d’améliorer leurs scores grâce au paiement (Le Monde, 12/2/2016). Le processus qui peut métaphoriquement se révéler « addictif » vient de ce que les scores sont bloqués artificiellement et empêchent de passer à un niveau supérieur, tant que le joueur n’a pas payé. Mais il suffit d’attendre un certain temps sans jouer pour que les niveaux supérieurs soient accessibles. Le jeu teste donc bien une forme de dépendance au jeu.

par sa mère comme « accro depuis qu’internet existe, depuis 4,5ans ». Si la mère insiste sur sa « peur du monde », elle explique cependant que sa fille est inscrite sur les principaux RSN, Facebook, Messenger, Snapchat et qu’« elle se prend en photo, elle est sur YouTube ». Concrètement, sa fille semble plus en difficulté avec sa famille, en refusant de manger avec ses parents, ou de sortir avec eux. Il est cependant possible que sa fille ne ressente pas de la même façon l’exposition à travers les RSN et le face-à-face.

4. Les solutions proposées

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