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Au-delà des images, les RSN : un environnement médiatique menaçant

Dans le document LES ADOLESCENTS FACE AUX IMAGES VIOLENTES (Page 86-90)

La rencontre avec les images violentes, sexuelles ou haineuses se fait en grande part à travers les RSN. Ils n’en sont pas la seule source, puisque nous avons vu que les adolescents connaissent des sites spécialisés où ils peuvent ne voir que des images violentes ou sexuelles. Mais sur les RSN, ils en sont alimentés au-delà de leurs propres recherches, avec des images qui, du fait de la surprise et de

leur curiosité, peuvent les sidérer. Pour certains, le choc finit par constituer un mode de divertissement et d’excitation, surtout quand ils sont déprimés.

Les RSN constituent aussi des espaces où des images d’eux peuvent circuler, du fait de leurs propres publications, mais aussi du fait des publications ou des actions des copains. Dans les deux premiers groupes, il est apparu qu’ils avaient des pratiques consistant à constituer des dossiers sur les autres à partir des images volées sur Snapchat. Nous les qualifions de volées, dans le sens où ce sont souvent des images de dérision, envoyées aux proches copains pour susciter le rire et la complicité, à cause de leur caractère éphémère. Le fait de les conserver est une première trahison de la confiance des copains. Les copains peuvent être au courant ou non de cette captation, selon les applications utilisées. C’est Maël qui a semblé le plus sur la défensive, dans l’établissement 1, où tous cherchaient à contrôler au mieux leur image de jeune, branché, détendu, mais lucide sur le fonctionnement des RSN. Il apparaissait que les dossiers qu’il semblait constituer massivement sur ses amis étaient une façon de se protéger de menaces éventuelles ou de révélations sur sa vie privée. Dans l’établissement 2, malgré une ambiance bien moins compétitive, la dimension de menace était encore présente, la constitution de dossiers réelle, et le refus de mettre des photos personnelle sur les comptes partagé par certain-e-s.

Dans les deux établissements ont été évoqués en plus des « dossiers » la pratique de la remontée du fil d’actualité, consistant à refaire circuler des photos des années antérieures, qui pourraient être particulièrement ridicules dans le contexte actuel pour les adolescents concernés. Il s’agit de pratiques que les uns et les autres acceptaient néanmoins avec un certain flegme. Saïda dans le groupe 3, ressentant avec acuité les effets de surveillance que produisent les RSN disait qu’ils, les RSN, cherchaient à inculquer « la peur de soi », en faisant de soi-même son propre ennemi. Il s’agit là d’une violence symbolique que nous devons prendre en compte, au-delà même du caractère violent, sexuel ou haineux des images. Les RSN mettent les adolescents en situation d’être observés, d’être comptables de leurs actions passées, fussent-elles parfaitement légales, mais seulement inappropriées, ou ridicules à un âge plus grand, ou exposées hors de leur contexte. Ils créent un environnement qui incite à la parade, qui peut en faire basculer du côté de la parade violente, par jeu, ou par mimétisme, du côté de la parade sexuelle, en revêtant les insignes de l’hyperféminité, ou de l’hypervirilité, mais qui sous la pression des groupes peut se transformer en piège, porter atteinte à la réputation, aboutir à des formes de menaces voire de harcèlement, pour faire vaciller au final l’estime de soi. Les phénomènes de harcèlement sont à présent assez bien documentés (Debarbieux 2011, Couchot-Schiex S. 2016). Mais nous voudrions insister ici sur la menace diffuse et permanente qui en résulte pour tous les adolescents, même lorsqu’ils ne sont pas directement menacés et qui inspire leur prudence.

Dans le groupe 2 cette menace a été abondamment décrite. La plupart des garçons et des filles ont dépeint la fulgurance du risque de perte de la réputation, pour une épaule découverte, un décolleté trop plongeant, une mise en avant « de ses formes ». Comme le disait bien Jennifer, la jalousie entre filles y trouve un terrain particulièrement favorable. Elle se conjugue à l’expression d’une domination masculine redoublée, aboutissant au final à une pénalisation extrême de conduites parfois anodines,

qui vient dénaturer le terrain d’expérimentation que pourrait être le web et transformer des espaces de liberté en espaces de moralisation où les intégrismes peuvent se déployer. Ces témoignages nous incitent à conclure dans le sens d’une violence de ces espaces tant pour ce qui y circule que pour leur dispositif panoptique qui vient décupler les effets du contrôle social.

Conclusion

L’analyse précise faite avec les jeunes, en particulier dans les entretiens individuels, de leur ressenti face à des images violentes, sexuelles ou haineuses (VSH) auxquelles ils avaient été confrontés pendant leur enfance ou leur adolescence, a fait émerger un nuancier très varié d’émotions. Les adolescents ne sont pas insensibles aux images, et quand ils le sont au moment de l’entretien, c’est souvent parce qu’ils le sont devenus, à force d’être confrontés à un environnement réel ou médiatique qui les a surexposés à des violences. Selon les milieux sociaux, selon le caractère plus ou moins sécure de leur environnement, selon l’attention parentale à la violence des images ou à leur degré de sexualisation, les adolescents ont le souvenir d’images qui les ont choquées ou qui leur ont fait honte et qui émanent de contenus plus ou moins anodins ou au contraire considérés comme particulièrement inadaptés aux plus jeunes, selon les classifications officielles. L’analyse de ces émotions a permis de montrer que les angoisses liées aux images médiatiques sont des alertes liées à des processus endogènes et exogènes, ou à des angoisses liées à des événements parallèles qui leur ont été associés. Les adolescents du groupe 1 ont été la plupart du temps préservés des images violentes, et sont restés de ce fait sensibles à des images moins violentes que ceux du groupe 2. Les adolescents du groupe 3 en particulier les jeunes suivis par la PJJ ont généralement peu de souvenirs d’expérience médiatique choquante ou n’ont pas souhaité en parler.

Les adolescents ont tous été confrontés récemment à des images VSH. Il peut s’agir d’images qu’ils vont chercher sur des sites spécialisés, auxquels ils peuvent être plus ou moins préparés, mais ce sont aussi des vidéos qui apparaissent sur leurs fils d’actualité, ou sur les comptes qu’ils consultent sur les différents RSN. Facebook, Instagram ont été particulièrement cités. L’ampleur de l’envahissement par ce type d’image est corrélée aux réseaux de contact, à l’absence de tri des « amis ». Les adolescents suivis par la PJJ semblent les plus exposés à ces images qu’ils recherchent particulièrement. Les adolescents du groupe 2 cliquent plus volontiers sur des vidéos violentes que ceux du groupe 1, alors que certains se sont déclarés être plus éloignés des images sexuelles, en invoquant un interdit religieux pesant sur le sexuel.

Les images VSH peuvent faire effraction pour certains jeunes, qu’il s’agisse de films d’horreur, d’images sexuelles ou de vidéos de crime ou de propagande, nous avons pu l’observer dans tous les groupes. Même s’ils ont été davantage protégés dans leur enfance vis-à-vis de ces images, certains adolescents du groupe 1 présentent également des signes de vulnérabilité aux images. Les images des attentats, en France ou dans le monde, ont pu créer un effet de sidération pendant plusieurs jours pour ceux qui les ont regardées.

Les adolescents qui sont le plus exposés aux images VSH développent une forme d’habitude, et ne les trouvent plus si choquantes. Tel est le cas particulièrement de ceux qui y ont été exposés depuis l’enfance, ou qui ont pris l’habitude de voir des films d’horreur ou de cliquer sur toutes les vidéos qui leur sont proposées sur le fil d’actualité. Les plus exposés sont souvent en grande difficulté pour élaborer une analyse de ces images. Certains, particulièrement parmi les jeunes suivis par la PJJ, vont rechercher sur internet des images qui font écho à des violences vues ou subies dans leur environnement proche. Les images médiatiques sont alors perçues comme moins violentes ou moins choquantes que la réalité, mais le caractère répétitif de leur visionnage semble marqué d’une certaine compulsivité qui signalerait des formes de traumas. Dans d’autres cas, des adolescents s’exposent volontairement à ces images pour s’endurcir, se familiariser au spectacle de la mort ou accéder à une « face cachée du monde ».

Les RSN apparaissent pour l’ensemble des adolescents comme un environnement doublement menaçant : pour les images qui y circulent qui peuvent les exposer à voir des situations de violences, de haine, ou de crudité sexuelle qui ne sont pas recherchées par celui qui les reçoit, mais aussi pour les publications qui peuvent les concerner et qui peuvent les mettre en danger. Des publications qui leur semblaient favorables peuvent déchaîner des commentaires haineux et « détruire » leur réputation. Des publications republiées en les détachant de leur contexte d’origine peuvent transformer des preuves d’amitié partagées confidentiellement, en source d’humiliations plus ou moins cuisantes. La surveillance panoptique que permettent les réseaux, favorisent les petites trahisons et la « peur de soi ».

Chapitre 5 Les stratégies observées

dans les trois groupes

Chaque groupe est ancré dans un terreau socio-culturel différent, pas entièrement homogène mais avec des prédominances. L’hypothèse principale d’une vulnérabilité aux images violentes, sexuelles et haineuses associée à des difficultés tant sociales, parentales, qu’aux capacités de symbolisation par l’écriture ou la lecture, conduit à supposer que les stratégies qui sont mises à l’œuvre par les adolescents des 3 groupes sont de nature différente. On pourrait supposer davantage d’autonomie chez les adolescents du groupe 1. Les groupes 2 et 3 sont marqués par des vulnérabilités cumulées plus grandes, en termes de proximité avec des violences physiques, qui induisent dans un certain nombre de cas le sentiment d’un environnement peu sûr et qui viennent renforcer, de par la structure des réseaux de contacts sur les plateformes numériques, la prégnance des images violentes, sexuelles ou haineuses sur les fils d’actualité. Il sera tout à fait important de voir néanmoins qu’avec un capital social et culturel plus faible, certains enquêtés des groupes 2 et 3 manifestent une propension nette à l’autonomie, alors que dans le groupe 1, une tendance au conformisme social et scolaire peut représenter un obstacle à l’autonomie. C’est sur la diversité des stratégies dans chaque groupe que nous chercherons à mettre l’accent. Pour autant, nous avons pu repérer des tendances dominantes dans les types de réactions mises en œuvre face aux images violentes, sexuelles ou haineuses dans chaque groupe.

1. Construction d’une typologie des stratégies et postures mises

en œuvre face aux images violentes, sexuelles et haineuses

Dans le document LES ADOLESCENTS FACE AUX IMAGES VIOLENTES (Page 86-90)

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