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Internet et RSN : des pratiques intenses et méfiantes

Dans le document LES ADOLESCENTS FACE AUX IMAGES VIOLENTES (Page 52-58)

Le rapport des adolescents du groupe 3 avec internet s’avère particulièrement clivé entre des utilisations intenses, des réseaux atteignant fréquemment plusieurs milliers de contacts et des interruptions brutales du fonctionnement de leur compte, suite à des problèmes rencontrés soit avec la justice, soit des conflits interpersonnels, comme si Internet ne faisait pas partie des espaces de la vie sociale. Ils connaissent tous les réseaux sociaux et ont au moins un moment téléchargé les applications, Facebook, Snapchat, Instagram, Twitter, et parfois Tor. Ils utilisent souvent des pseudos, mais ce n’est pas toujours suffisant pour se protéger, étant donné l’ampleur de leurs réseaux, quand ils publient trop

d’information ils apprennent parfois à leurs dépens qu’on peut aussi les retrouver sur ces réseaux, comme Wesson en a fait l’expérience poursuivi par une bande, il en déduit que Facebook, « c’est un annuaire ». On retrouve dans cette analogie le thème de la carte d’identité numérique, évoqué dans le groupe 1, mais sur un mode minimaliste, et principalement défensif qui les conduit parfois au retrait complet.

L’établissement 3 permet d’illustrer ce clivage. La plupart d’entre eux ont le souci d’être conformes à la norme sociale, et le fait « d’avoir tout » c’est-à-dire d’ouvrir des comptes sur toutes les grandes plateformes disponibles relève de cette préoccupation de normalisation. Mais ayant peu d’inhibitions, ils capitalisent un nombre de contacts particulièrement impressionnants. Sur Facebook, Camil a 3000 contacts et 2000 sur Twitter, mais il a un jugement péremptoire sur ces RSN, « ça sert à rien ». Il dit qu’il était « geek » avant, probablement avant ses soucis avec la justice, il savait « tout faire » créer des sites, créer des forums pour écouler des marchandises. Pour lui, internet c’est simple, « il suffit de lire les modes d’emploi », ou de regarder les tutoriels de YouTube, c’est comme ça qu’il sait craquer des téléphones, débloquer le code d’un IPhone. Il publie très rarement sur Facebook, et pourtant il pense que ce qu’il publie ne pourra pas être retourné comme preuve contre lui. Il publie de ce fait volontiers des images transgressives de lui sur Snapchat, en train de fumer du cannabis. Sur Facebook, il évite ce genre d’image car il a beaucoup de famille dans ses contacts, de la famille de France, mais aussi des cousins du Maroc. Adel, plus taciturne, a donné moins de détails sur ses compétences numériques, mais il est connu des services de la PJJ pour être un geek, et soupçonné de hacker. Effectivement pendant l’entretien, l’informatique et les jeux vidéo sont les seuls centres d’intérêt qui l’animent. Mais il a supprimé son compte sur Facebook, il est conscient d’ailleurs du fait qu’on peut le désactiver et non le supprimer, ce qui manifeste une compétence instrumentale développée. C’est sur YouTube qu’il a appris comment installer un ordinateur, comment installer Windows. Mais il utilise maintenant uniquement son téléphone pour des messages sms ou des appels, et sait désactiver la géolocalisation. Ses parents lui ont supprimé son ordinateur. Les usages qu’ils ont des RSN façonnent leur représentation de ces RSN, ils sont plusieurs à ne pas imaginer l’intérêt social de Facebook, ni son intérêt professionnel. Ils y vont pour parler, Yacine utilise Facetime pour parler avec ses amis, il aime publier des photos et avoir des personnes qui s’abonnent à sa page, sur Snapchat il publie régulièrement des stories qui sont vus par ses copains du quartier. Ils y vont aussi pour collectionner les contacts féminins, mais n’imaginent pas un usage professionnel en dehors des trafics qui sont succinctement évoqués. Yves de ce fait considère que les RSN ne servent à rien, pour lui « c’est des bêtises ». Au collège, il a eu un compte Facebook pendant « une journée » :

Yves : J’ai créé, j’ai rien compris, j’ai arrêté tout de suite. SJ : Autour de toi, tu as des copains qui y sont ?

Yves : Oui, les gens, ils disent faut aller sur Facebook ? Moi j’aime pas les trucs comme ça. J’aime pas être fixé à rien faire devant un écran. Les gens tu peux les voir directement, avec les réseaux, tu te caches derrière un écran.

SJ : Si tous les gens y sont ?

Yves : Moi, je suis pas intéressé. J’ai des potes, ils me racontent des histoires qu’ils ont sur Facebook. J’en ressens pas le besoin. C’est des bêtises.

Yves a des usages très retreints de l’internet. Ayant développé une méfiance extrême vis-à-vis des médias, il ne veut pas même utiliser les recommandations de YouTube pour découvrir de nouvelles chansons, il préfère écouter les conseils directs de ses copains. « Le monde virtuel ne l’intéresse pas » comme le note Geoffroy Willo dans son rapport. Si l’on suit le raisonnement d’Yves, ne pouvant comprendre immédiatement le fonctionnement de Facebook, il a préféré arrêter. On peut penser que la volonté de contrôle et d’immédiateté l’empêche au final de comprendre l’utilité sociale des RSN, niant par là-même la place de ces espaces publics dans la société.

Le groupe 3 a des pratiques proches de celles du groupe 2, tournées vers la télévision, les programmes de téléréalité, les séries grand public, la musique hip hop et le rap. Mais ils semblent avoir un rapport plus intense avec les programmes audiovisuels et les chansons de rap, comme si la recherche de ressources identificatoires était pour eux plus vitale, du fait de repères familiaux plus déficients. Les jeunes délinquants cultivent davantage les contenus qui peuvent étayer des identités de toute puissance et de marginalité, à travers des films de gangsters, ou des chansons de rap orientées vers les univers de la drogue, des trafics, des gangs. Sur les RSN les comportements sont plus clivés encore que dans le groupe 2, particulièrement pour les jeunes délinquants. Ils alternent entre des moments d’activités très intenses, avec des réseaux d’une ampleur impressionnante, destinés avant tout à faire des rencontres et à diffuser une image dans le quartier, et des moments de retrait absolu, comme si on pouvait dénier à ces réseaux tout rôle social. L’idée même d’une régulation des contenus sur les RSN leur semble irréaliste.

Conclusion

La plupart des adolescents de notre échantillon partagent des pans de leur culture médiatique, ils ont cité des blockbusters états-uniens, dans le registre de l’action, des Marvel, comme les Spiderman, des films de science-fiction, des dystopies. A la télévision, les pratiques sont contrastées mais certaines séries, les dessins animés humoristiques traversent les barrières sociales.Les jeux vidéo les plus vendus (comme GTA V, Call of Duty, Clash of Clans) ont été pratiqués par la plupart des garçons et une partie des filles. Ils circulent sur les mêmes plateformes, YouTube, Facebook, Snapchat, Instagram. Mais leurs pratiques sont, sur YouTube différenciées même si la plupart connaissent les « chaînes » d’humoristes, comme Norman, Cyprien, Natoo, et que les filles déclarent regarder des tutoriels de mode ou de maquillage. Loin d’une homogénéité des références, les entretiens ont montré une polarisation des pratiques médiatiques dans chaque groupe.

La culture médiatique du groupe 1 est marquée par un gout pour l’écrit et la médiatisation des savoirs, un certain éloignement des médias audiovisuels, même si ce n’est pas le cas de tous (notamment dans l’établissement 2). Les choix s’expriment aussi bien positivement parce qu’on va consulter volontairement, les séries essentiellement d’origine nord-américaine, jugées classantes, qui les rapprochent des goûts des cadres, une culture cinématographique éclectique, qui n’est pas entièrement centrée sur les blockbusters, à l’incitation des parents, et par les contenus qui sont évités, émissions de téléréalité, films d’horreur notamment. La perspective des études supérieures et la

stimulation intellectuelle des parents construisent un rapport aux médias d’information fait de curiosité et d’ouverture à l’information internationale. Le rapport à internet et les publications qu’on peut faire sur les RSN sont l’objet d’une attention particulière. L’enjeu perçu est celui de la construction d’une identité numérique valorisante, dans un contexte de fort contrôle social et de fort contrôle de soi. Les deux établissements présentaient cependant des différences sur ce point : dans le 1er établissement les

jeunes étaient capables de discuter longuement de leurs stratégies, faites de présence et de « nonchalance », travaillant le champ et le hors-champ, pourrait-on dire, travaillant à maximiser la conscience de l’image que les publications peuvent projeter de soi ; dans le second établissement les jeunes développaient une relation plus confiante et décontractée à leur public et faisaient primer le partage d’une représentation de soi sociable, « cool ».

La culture médiatique du groupe 2 se caractérise par des pratiques communes aux milieux populaires, la télévision reste très présente même si les pratiques plus individuées sur les téléphones portables, le téléchargement de séries, le visionnage de vidéos sur YouTube viennent s’ajouter à elle et tendent à la supplanter. Le rapport des jeunes à l’information est ambivalent, marqué par une méfiance à l’égard des médias qui ne diraient pas la vérité, en même temps qu’une curiosité sur le monde auquel les médias donnent accès, tournée sur des sphères culturelles variées peu rencontrées dans le groupe 1, Corée, Turquie, Maroc. Cette curiosité se double parfois d’une certaine naïveté dans la confiance faite à des programmes de divertissement, qui peut coexister avec des discours péremptoires sur la mauvaise qualité de l’information. Sur les RSN, l’ambivalence est à son comble. Les pratiques semblent principalement de consultation, surtout sur Facebook, le niveau d’anxiété sur les risques liés à une mauvaise réputation est très élevé, du moins pour les filles. Pourtant la plupart cumulent les comptes sur les différents RSN, se réfugiant depuis peu sur Snapchat qui leur semble assurer une plus grande discrétion.

Le groupe 3 a des pratiques proches de celles du groupe 2, tournées vers la télévision, les programmes de téléréalité, les séries grand public, la musique hip hop et le rap. Mais ils semblent avoir un rapport plus intense avec les programmes audiovisuels et les chansons de rap, comme si la recherche de ressources identificatoires était pour eux plus vitale, du fait de repères familiaux plus déficients. Les jeunes délinquants cultivent davantage les contenus qui peuvent étayer des identités de toute puissance et de marginalité, à travers des films de gangsters, ou des chansons de rap orientées vers les univers de la drogue, des trafics, des gangs. Sur les RSN les comportements sont plus clivés encore que dans le groupe 2, particulièrement pour les jeunes délinquants. Ils alternent entre des moments d’activités très intenses, avec des réseaux d’une ampleur impressionnante, destinés avant tout à faire des rencontres et à diffuser une image dans le quartier, et des moments de retrait absolu, comme si on pouvait dénier à ces réseaux tout rôle social.

Dans tous les groupes, les jeunes abordent internet à partir de leurs propres sujets d’intérêt, et en profitent pour creuser des pistes qui correspondent à des formes de recherche de soi (dans le graphisme, la présentation de soi, la connaissance scientifique, la découverte de cultures différentes de la leur…). Ils manifestent tous des niveaux d’inquiétude élevés vis-à-vis des conséquences de leurs

publications sur les réseaux sociaux. Mais ils l’abordent chacun avec les ressources qui leur sont propres. Le groupe 1 développe les principes d’une stratégie nourrie d’une forte réflexivité pour maîtriser la « carte d’identité » que les RSN donnent de soi et rationaliser les peurs. Le groupe 2 développe une attitude plus souvent méfiante vis-à-vis des RSN tout en restant très attirés par le modèle de communication visuelle et intensive, notamment à travers Snapchat. Le groupe 3 semble plus démuni et adopte des attitudes particulièrement clivées.

Chapitre 4. La rencontre des

adolescents avec les images violentes,

sexuelles et haineuses

1. Images violentes, sexuelles, haineuses, images « trash »

Définitions et méthode d’identification des images « trash », et

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