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Identifications et repères issus de la téléréalité et des autres contenus audiovisuels ou cinématographiques (groupe 3)

Dans le document LES ADOLESCENTS FACE AUX IMAGES VIOLENTES (Page 171-173)

Les processus d’identification aux personnages présents dans des contenus médiatiques ne sont pas spécifiques aux adolescents suivis par la PJJ. Mais ce sont ces professionnels qui en ont le plus parlé. Les jeunes suivis par la PJJ présentent diverses formes de fragilité, notamment des fragilités du moi, la recherche de figures d’identification est de ce fait plus visible chez eux. La faiblesse des identifications parentales (des « imagos parentaux » comme le disent les psychologues) renforce le poids des figures médiatiques. Les contenus audiovisuels sont perçus par les professionnels comme des « bulles » de réconfort. Le visionnage de séries (séries familiales, voire dessins animés, comme nous l’avions recueilli dans les entretiens avec les adolescents) « crée des petits pansements », des espaces d’apaisement. En EPM, la télévision joue un rôle essentiel selon les professionnels pour éviter la confrontation à soi-même dans des cellules individuelles, elle les aiderait à lutter contre la dépression : c’est comme « un colocataire », une présence, « ça les occupe au niveau de l’esprit, ça évite que le choc carcéral soit trop prononcé ».Ils se mettent sur le lit pour la regarder « ça les pose ». Sinon ils ont tendance à crier par la fenêtre. La télévision maintient un lien avec l’extérieur, tant pour les programmes de fiction que pour les informations et canalise leur agressivité. Ils disposent en effet d’un accès gratuit mais, en principe, à certaines heures de la journée, en dehors des plages d’activités éducatives proposées et seulement jusqu’à 23 heures. La fermeture du flux télévisuel est placée sous la responsabilité des surveillants de chaque unité. Nous n’avons pas rencontré de réflexion sur le choix des chaînes proposées, en fonction de leur programmation. Un éducateur s’est cependant posé la question de l’accès des films ou programmes déconseillés aux moins de 16 ans, et de l’impossibilité de les éviter pour les mineurs de moins de 16 ans, quand il y en a dans leur unité d’hébergement.

Plus largement les adolescents suivis par la PJJ viennent puiser ou renforcer leurs identités dans des répertoires constitués de références cinématographiques ou audiovisuelles. Pour une jeune fille dépressive, qu’une enseignante décrit comme ne pouvant se détacher de son téléphone, les mangas et le cosplay seraient une façon de faire bonne figure. Mais les programmes qui ont été le plus souvent évoqués dans les échanges avec les professionnels du groupe 3, sont les émissions de téléréalité. Dans quatre ateliers sur six, les professionnels ont souligné à quel point les jeunes qu’ils suivent s’identifient aux participants de téléréalité. Ces programmes les font rêver pour de nombreuses

raisons. Leur réussite, avec un faible bagage scolaire ou culturel, leurs clashes qui les amusent, l’hypersexualisation des filles qui met à leur disposition des images érotisées alors qu’ils vivent dans une frustration sexuelle intense (cf étude INJEP 2017). Comme le remarque un éducateur, la situation des participants aux émissions leur rappelle leur propre situation d’enfermement. Ils en partagent aussi les valeurs et d’abord le désir de célébrité, l’importance du regard extérieur pour donner consistance à l’existence. Ces programmes offrent une réponse enchanteresse, du fait du luxe des décors, de la mise à disposition des corps féminins, au vide intérieur qu’ils remplissent ainsi.

Un surveillant (EPM) a observé que certains jeunes préfèrent parfois regarder Les Anges dans leurs cellules, plutôt que de venir déjeuner avec les autres. C’est le rêve de la vie facile, sans travail, dans laquelle la production organise chaque jour une fête. Ces programmes renforcent aussi l’attrait de l’argent facile et abondant, ainsi que leur tendance à l’agressivité et à l’exhibition de la brutalité. Les émissions de téléréalité renforcent une image très négative des filles. Une enseignante (en EPM) a relevé la typologie des femmes présentes dans la téléréalité dressée par un garçon pendant son cours : ce sont « soit des salopes, soit celles qui viennent pleurer devant la caméra et qui vont gagner à la fin».

En EPM, les adolescents sont amenés à regarder beaucoup la télévision. Selon les surveillants qui passent régulièrement dans leurs cellules, ils regardent aussi des enquêtes d’investigation, des films d’action et écoutent de la musique. Ils prennent dans les informations et les émissions d’investigation ce qui peut les intéresser directement, cela peut concerner de nouvelles réglementations sur la fouille, le fonctionnement des go fast comme celui des services de police.

Les enseignants et des surveillants ont le sentiment que la plupart des jeunes détenus ont une relation de « fans » à l’égard des héros des films d’action ou de voiture, comme Fast and Furious. Les adolescents seraient peu sensibles au fait qu’il y a un travail de montage, que les scènes les plus impressionnantes nécessitent des cascadeurs : « plus c’est violent et improbable, plus ça leur plait ». La violence des protagonistes leur semblerait toujours justifiée, les situations les plus invraisemblables relever du possible, « ils sont fascinés ». Pour un surveillant, ils « idolâtrent des personnages qu’ils aimeraient retranscrire dans leur vie », « ils aiment les bandits s’identifient à eux, et certains prennent vraiment [ces films] au 1e degré comme si il s’agissait d’un documentaire ». L’adrénaline que suscite le

montage rapide de ces films entretient le désir d’argent, le refus des frustrations. Les adolescents ont parfois participé à des clips, avant leur détention, et en sont fiers, surtout s’ils mettent en scènes armes, joints, billets, voitures. L’impact de leur adhésion à ces représentations fait aussi qu’ils ont du mal à relativiser leurs propres expériences de vie et à penser qu’il existe d’autres vies « normales ».

Le gout du risque, ou la faible prise de conscience des risques de la voiture par les adolescents suivis par la PJJ est observée par un professeur de conduite. Il l’attribue en partie à l’intensité de leurs pratiques des jeux vidéo. Mais il reconnait que celle-ci s’ajoute à des consommations régulières de drogue qui brouillent aussi la perception de la réalité. Il est inquiet de voir que certains jeunes se mettent dans des situations risquées, sans en mesurer les conséquences, sans percevoir les dangers, pour eux et pour les autres. Il fait de son mieux pour leur faire obtenir leur permis, tout en s’inquiétant de ce qu’il

advient par la suite. Il a le sentiment que leur perception de la réalité est émoussée, comme s’ils vivaient dans un monde virtuel. Apprendre le code de la route est une manière de leur apprendre des règles, mais ce n’est sans doute pas suffisant. Un autre éducateur qui encadre d’autres activités est également inquiet de ce sentiment de flottement vis-à-vis du réel. Il se demande pour sa part si le court-circuit de la réalité dans le jeu vidéo n’est pas lié à la faible présence de paroles dans ces plateformes, avec une incitation à des actions réflexes (tirer, shooter).

L’imaginaire qu’ils confortent par leurs contenus culturels préférés les rend parfois incapables d’accepter les codes de la vie quotidienne et de l’univers du travail. Attachés à leurs postures de rebelles, « ils ne veulent pas ressembler à de bons élèves », ne veulent pas faire un effort de tenue pour leur stage, et, au fond, ne veulent parfois pas vraiment travailler, si c’est une tache modeste de cariste, déménageur ou éboueur. Ils rêvent d’argent, de luxe. Selon cet enseignant, leur imaginaire médiatique et ces postures les rendent en quelque sorte « handicapés de la vie ».

Les programmes les plus caricaturaux, films d’action, jeux vidéo d’actions, et certains clips de rap viennent leur donner une panoplie identitaire qui leur permet de combler un sentiment de « déshérence ». Leurs difficultés d’expression y contribuent. La figure du dealer leur donne en quelque sorte une consistance. Un éducateur de rue a remarqué qu’ils exagèrent souvent les sommes gagnées pour légitimer leurs trafics, et semblent parfois moins intéressés par l’argent gagné que par la reconnaissance qui y est associée, la place que le trafic leur donne vis-à-vis de leurs « collègues » de deal, la place qu’ils occupent dans la hiérarchie dans l’organisation. Une éducatrice peut citer le cas d’un jeune qui a réussi son bac mais ne peut se projeter en dehors de sa bande. Les démarches d’insertion sont bloquées lorsqu’ils sont attachés au deal et qu’ils le considèrent déjà comme un métier, avec des relations-clients. La bande faisant fonction d’entreprise. Leur dépendance réelle à la drogue aussi. Car ils sont eux-mêmes souvent engagés depuis des années dans la consommation de la drogue qu’ils commercialisent, même si ce point ne fait pas forcément l’unanimité entre éducateurs. L’insertion dans le trafic peut se faire en effet en facilitant leur consommation : les dealers leur offrent leurs premières consommations avant de leur faire rembourser leur « dette » pendant des années. La facilité d’accès à la drogue (cannabis, cocaïne) serait pour beaucoup dans leurs difficultés à quitter leurs postures, remarque une éducatrice de rue. L’imaginaire médiatique assurerait une sorte de collage aux identités de la délinquance, et la consommation de drogue, mais aussi les transgressions diverses, viendraient en quelque sorte les actualiser.

Dans le document LES ADOLESCENTS FACE AUX IMAGES VIOLENTES (Page 171-173)

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