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INTERROGER DES “GROUPES SPÉCIAUX” OU DES PERSONNES PRÉSENTANT DES CARACTÈRES SPÉCIFIQUES

H. APPROFONDIR L’ENQUÊTE

I. INTERROGER DES “GROUPES SPÉCIAUX” OU DES PERSONNES PRÉSENTANT DES CARACTÈRES SPÉCIFIQUES

54. Les HRO doivent savoir que certaines personnes interrogées présentent des caractères particuliers, comme leur âge ou les traumatismes qu’elles ont subis, qui posent eux aussi des problèmes particuliers. En outre, certains “groupes spéciaux” comme les femmes ou les enfants doivent être approchés et traités différemment des autres. Pour que les entretiens avec ces personnes soient bénéfiques, il faut une certaine préparation et un peu plus de patience.

1. Les victimes de tortures

55. Interroger des victimes de tortures (ou des témoins si traumatisés qu’ils ressemblent de très près aux victimes) à propos de leur expérience est une tâche très délicate, qu’il ne faut jamais prendre à la légère. L’entretien d’établissement des faits peut rappeler suffisamment les questions des tortionnaires pour raviver des peurs conscientes et inconscientes chez la victime de tortures. L’interviewer sera particulièrement attentif à ce problème de sensibilité, et évitera de retraumatiser les victimes ou témoins.

56. Si ce Manuel emploie des termes comme “victimes de tortures”, victimes” ou

“affaires” pour la facilité de l’exposé, le HRO doit savoir que ces termes sont de nature déshumanisante et susceptibles d’approfondir le processus de dégradation que le tortionnaire entendait sans doute infliger à la personne. Il faut faire en sorte que la personne se sente importante, et non pas objet de pitié.

57. Le HRO qui interroge une victime doit être prêt à faire face aux émotions. Le HRO fera preuve de sympathie auprès de la victime, et l’encouragera à parler de cette expérience traumatisante. Si la victime se laisse submerger par l’émotion, l’interviewer lui montrera son soutien. Il peut proposer de faire une pause dans l’entretien, et offrir de l’eau ou du café.

Après avoir laissé le temps à la personne interrogée de reprendre contenance, il devra si possible tenter de ramener l’entretien sur un terrain moins douloureux. Encore une fois, le HRO fera preuve de sympathie, mais il doit se souvenir qu’il n’a pas une formation de psychiatre et que son travail ne consiste pas à apporter un traitement.

58. Les victimes souffrant d’un état de stress post-traumatique (notamment après avoir subi des tortures) sont affectées d’anxiété sévère; d’insomnies avec cauchemars de

persécutions, de violences, ou rappelant leur propre expérience de torture; de symptômes somatiques d’anxiété, de phobies, de suspicions et de peurs. Les victimes de tortures peuvent également souffrir d’engourdissement psychique, de minimisation, de refoulement ou de dénégation de l’expérience subie. Chez les victimes, le manque de confiance, la honte, l’humiliation et les troubles de mémoire peuvent amener des déclarations confuses et

apparemment contradictoires, ainsi qu’une incapacité à se souvenir des détails. Bref, il peut arriver que les victimes soient incapables de décrire les tortures qu’elles ont subies. En pareil cas, il peut devenir nécessaire d’avoir recours à d’autres sources d’informations (comme les déclarations d’amis et parents) pour connaître le passé de la victime et le cadre dans lequel elle évolue. Chaque fois que possible, le HRO se procurera une expertise médicale.

59. L’examen médical d’une victime de tortures porte en général sur les éléments suivants : (1) pouls; (2) tension artérielle; (3) taille; (4) poids; (5) tout changement de poids marqué; (6) toute cassure dentaire, fracture osseuse, etc.; (7) état des muscles et articulations (mollesse, gonflements, souplesse); (8) ecchymoses, cicatrices; (9) évaluation générale du fonctionnement intellectuel et du sens de l’orientation; (10) modulation vocale révélatrice de stress; (11) tout état d’hallucinations, d’interruptions du sommeil, de cauchemars,

d’angoisses, etc.; (12) apparence émotionnelle, notamment larmes, lèvres tremblantes, dépression, etc. Au cours de l’examen médical, chacun de ces éléments sera noté de façon détaillée. Étant donné que les dommages neurologiques dus aux coups sont souvent parmi les effets les plus graves de la torture, le médecin pratiquant l’examen en recherchera tous les signes.

60. Les dommages physiques, émotionnels et psychologiques peuvent également être confirmés par des examens biologiques, des rayons X, des biopsies histopathologiques, ou des photographies. Pour éviter de permettre l’identification de l’individu, et obtenir son consentement pour les photographies, seules les parties du corps affectées seront

photographiées. Tout ceci en sachant que les victimes de tortures doivent être traitées avec une grande délicatesse tenant compte de la nature des sévices qu’elles ont subis, et des examens qu’elles sont en mesure d’endurer.

61. Le médecin chargé d’établir les faits tentera aussi d’avoir accès aux résultats d’autres examens médicaux ou psychiatriques effectués tant avant l’internement qu’au plus tôt après les sévices supposés. En questionnant les médecins impliqués dans ces examens et en lisant leurs rapports, le médecin chargé d’établir les faits aura des chances de distinguer d’une part les maladies et blessures préexistantes ou auto-infligées, de celles causées par les sévices d’autre part; il saura y déceler les ecchymoses et autres symptômes de sévices qui sont susceptibles de se modifier avec le temps, et pourront confirmer ou mettre en question son propre diagnostic.

2. Les femmes6

62. Les femmes interrogées peuvent montrer une particulière répugnance, voire une incapacité, à parler du viol ou d’autres formes de violences sexuelles, en raison de la stigmatisation sociale attachée à ces souffrances. Établir une relation avec des femmes peut-être violées ou ayant subi des violences sexuelles exige un effort tout spécial. On doit plus encore être sûr que cette femme veut bien se laisser interroger, et qu’elle comprend que ces renseignements demeureront confidentiels ou ne seront utilisés que comme elle l’aura accepté. La personne interrogée sera informée qu’elle peut refuser de répondre à toute question qu’elle trouvera difficile à vivre, et qu’elle peut interrompre l’entretien à tout moment. Il faudra une grande délicatesse pour établir les faits élémentaires de ces tortures ou autres abus, à savoir quoi, quand, où, par qui, et s’il y a eu des témoins. Mais une fois ces renseignements recueillis, il ne sera peut-être pas indispensable de s’étendre sur les détails des abus.

63. Dans toute la mesure du possible, l’entretien sera mené par un membre féminin de la mission sur les droits de l’homme, et avec l’assistance d’une interprète elle aussi de

6 Voir HCR, Lignes directrices pour la protection des femmes réfugiées (1991); HCR, Violence sexuelle à l’encontre des réfugiés, Principes directeurs concernant la prévention et l’intervention 32-34, 38-41 (1995).

sexe féminin. Cette femme HRO sera réceptive tout en restant objective dans la conduite de l’entretien. Elle prendra garde aux signes indiquant que celui-ci est en train de retraumatiser le témoin. Si ce dernier est submergé par les souvenirs de ses souffrances, l’entretien sera brièvement suspendu ou repris à une date ultérieure. Le fonctionnaire sera conscient des différences dans la communication interculturelle qui peuvent intervenir en parlant à un étranger. C’est ainsi qu’une femme peut refuser le contact visuel en raison des impératifs de sa culture. Le HRO demandera si la femme a besoin de soins médicaux et/ou psychologiques;

toutefois, comme dans tout autre entretien, on aura soin de ne pas faire de propositions ou de promesses qui ne puissent être tenues.

3. Les réfugiés et autres personnes déplacées

64. Il importe d’être sensible au fait que les réfugiés et personnes déplacées subissent un stress considérable du fait qu’ils sont sans ressources, et éloignés de leur foyer et, parfois, de leur famille. L’interviewer devra déterminer la situation actuelle du réfugié : court-il le risque d’être renvoyé dans son pays ou sa région d’origine ? demande-t-il l’asile ou la réinstallation ? L’interviewer s’assurera du lieu où séjourne le réfugié (camp, placement domiciliaire, etc.). Ces renseignements sont essentiels au suivi ultérieur.

65. L’interviewer pourra commencer par demander pourquoi la personne a fui son pays ou sa région. Cette question aboutira au récit des abus de droits de l’homme subis par le réfugié. L’interviewer se montrera en sympathie non seulement avec l’expérience du réfugié en tant que victime ou témoin de violations des droits de l’homme, mais aussi avec ses sentiments d’incertitude, de déracinement et de perte de contrôle.

66. Confirmer les témoignages de réfugiés et de personnes déplacées pose un problème particulier, puisqu’il peut ne pas être possible de visiter leur pays ou région d’origine. Il est donc particulièrement important d’examiner avec la personne son témoignage pour en vérifier le détail et la véracité. On pourra obtenir d’autres éléments de confirmation en interrogeant d’autres réfugiés ou personnes déplacées provenant de la même zone.

4. Les enfants7

67. L’enfant a une perception du monde très différente de celle de l’adulte. L’interviewer aura cette différence à l’esprit, et abordera l’entretien différemment selon l’âge, la

maturité et la compréhension de l’enfant. Il sera sans doute nécessaire d’employer un langage plus simple et de passer davantage de temps à établir une relation avec l’enfant à interroger. Si un interprète est nécessaire, le HRO pourra chercher à identifier un interprète formé pour travailler avec des enfants ou habitué à le faire. Il sera peut-être particulièrement utile d’expliquer plus soigneusement le rôle du HRO, le déroulement de l’entretien, et les

7 D’autres informations sur les droits spécifiques des enfants figurent au Chapitre 12 - “Les droits des enfants”.

raisons de poser certains types de questions. Le HRO encouragera l’enfant à poser des questions au cours de l’entretien, de dire s’il ne comprend pas une question, ou de demander pourquoi on la lui pose. Le HRO devra s’attendre à ce que l’entretien demande davantage de patience et de temps que d’habitude. Il sera attentif aux signes montrant que l’enfant devient anxieux ou qu’il est débordé. Il conviendra peut-être d’interrompre l’entretien, de faire une pause, ou de revenir un autre jour (d’autres informations figurent au Chapitre 12 • “Les droits de l’enfant”).

68. En plus d’interroger l’enfant, l’interviewer devra, si possible, parler avec des membres de sa famille et de sa communauté, des enseignants, des soignants, et autres personnes s’étant occupées de l’enfant. Il pourra aussi être utile de demander l’avis de spécialistes de la perspective enfantine.

5. Les populations rurales

69. Tout comme les membres de communautés autochtones, les individus accoutumés à la vie rurale peuvent avoir une conception différente du temps. Il est important de préciser toute déclaration concernant des dates et heures. Des dates précises peuvent revêtir peu de signification, aussi convient-il que l’interviewer se réfère à un cadre familier. Par exemple avec des questions comme : “Cela s’est-il produit avant ou après les semis ?”

70. Il importe également de se souvenir que les personnes pauvres, peu éduquées ou autrement vulnérables peuvent manquer de confiance en elles-mêmes et répugner à fournir des renseignements. Les organisations locales de droits de l’homme peuvent apporter une assistance à cet égard, en contribuant à rassurer les témoins qui ont peur d’apporter des informations.8

6. Les communautés autochtones

71. Les communautés autochtones peuvent avoir un mode de vie très différent du reste de la société ou du pays, et a fortiori de celui de l’enquêteur. L’interviewer sera sensible et respectueux vis-à-vis des différences de langues, de méthodes de communication, de notions du temps et de structures sociales. Si possible, il se renseignera avant l’entretien sur la culture et les coutumes du groupe.

7. Les groupes à faibles revenus

72. Les groupes à faibles revenus, qui comprennent les habitants des taudis, les occupants sans titre et ceux qui vivent dans la pauvreté, ont en général des opinions et points de vue différents de ceux qui travaillent dans une mission sur les droits de l’homme. Il est possible

8 Daniel J. Ravindran, Manuel Guzman, Babes Ignacio (éds.), Handbook on Fact-Finding and Documentation of Human Rights Violations 41 (1994).

que les pauvres aient à l’égard de la mission de l’ONU des attentes d’une ambition irréaliste quant à leur niveau de vie, mais tout aussi possible qu’ils soient complètement rétifs envers toute intervention non désirée dans leur communauté. Les fonctionnaires de terrain prendront le plus grand soin de reconnaître et de comprendre des points de vue qui peuvent, de prime abord, sembler difficiles à appréhender. Par exemple, telle communauté d’occupants sans titre — même occupant la terre en question depuis des décennies — peut devenir défiante si le fonctionnaire des droits de l’homme aborde immédiatement des questions de droit. Le décalage fréquemment énorme, en termes de revenus et de possibilités, entre ce fonctionnaire et les personnes appartenant à des groupes à faibles revenus, peut également constituer un obstacle difficile à franchir pour la mise en œ uvre d’une collaboration fructueuse.

8. Les fonctionnaires du gouvernement et les suspects de violations

73. Interviewer des autorités est très différent d’interviewer des victimes ou témoins de violations des droits de l’homme; il y faut à la fois de la diplomatie et une préparation méticuleuse. L’interviewer doit sonder les déclarations tout en évitant une confrontation excessive; il doit rester courtois et rester ouvert en posant ses questions. Plus l’entretien aura de signification, et plus la préparation en sera importante. Comme on l’a vu, l’interviewer préparera une liste de questions et réfléchira bien à l’ordre de celles-ci. Cet ordre n’aura pas à être suivi rigidement, car il sera plus important de réagir aux informations fournies par le fonctionnaire du gouvernement et de poser les questions qui en découlent. Si possible, les entretiens avec les fonctionnaires du gouvernement auront lieu après que la mission sur les droits de l’homme de l’ONU ait rassemblé des informations en bonne quantité, mais tant que l’on peut encore réunir d’autres éléments. Dans ce cadre, le gouvernement pourra fournir des explications quant aux déclarations des victimes et témoins, permettant à la mission de l’ONU de procéder à des investigations supplémentaires sur la base de ces explications.

74. La situation peut devenir difficile si, au cours d’un entretien, l’interviewer en vient à estimer que son interlocuteur est personnellement impliqué dans des persécutions, ou l’a été.

Ce cas de figure sera discuté à l’avance, afin que l’interviewer dispose d’un mode de conduite au cas où il surviendrait. Il est en général important d’entendre les informations fournies par l’individu, et de les faire figurer dans le rapport. Il arrive parfois qu’un

responsable du gouvernement fournisse des renseignements inestimables concernant les abus des droits de l’homme.

Chapitre 9 • Les visites aux personnes détenues

Sommaire

Les personnes détenues sont protégées par un certain nombre de normes internationales. La torture, les châtiments corporels, l’isolement cellulaire prolongé, les châtiment par placement au cachot obscur, et tout autre traitement ou châtiment cruel, inhumain ou dégradant, sont toujours prohibés. Il existe en outre des droits spécifiques concernant l’arrestation et la procédure judiciaire, la détention provisoire, les conditions matérielles de la détention, la discipline, la surveillance de la détention, et autres.

La mission de terrain sur les droits de l’homme devra :

• vérifier si le CICR visite déjà les personnes détenues dans le pays de la mission;

• toujours chercher à coordonner ses visites aux prisons avec celles du CICR;

• être au courant des méthodes de travail du CICR, d’où peuvent être déduits différents principes méthodologiques relatifs à ces visites;

En rendant visite aux personnes détenues, l’équipe de HRO, composée de plusieurs membres comprenant un médecin ou un membre d’une profession médicale, aura à :

• s’entretenir avec le directeur de la prison;

• visiter l’ensemble du site;

• pouvoir rendre visite à tous les détenus librement et sans témoins, même si en pratique elle pourra ne parler qu’avec certains détenus;

• s’entretenir avec d’autres responsables de la prison;

• avoir un entretien final avec le directeur de la prison;

• dans les jours suivants, rédiger un bref rapport confidentiel destiné au directeur de la prison, comportant les conclusions et accords établis au cours de la visite;

• rédiger un rapport confidentiel, qui portera fréquemment sur plusieurs établissements, destiné au gouvernement;

• renouveler les visites aux prisonniers, notamment à ceux déjà rencontrés au cours des visites précédentes;

• être en mesure de rendre visite à tous les lieux de détention du pays.

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