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Interprétation en termes d’opérateurs de sauts

IV.4 Comparaison entre les deux méthodes

V.1.2 Interprétation en termes d’opérateurs de sauts

La situation considérée pour obtenir l’équation (V.1) est extrêmement complexe puisqu’elle met en jeu le couplage du système avec un environnement comprenant un nombre infini de degrés de liberté. Cependant, le résultat est étonnement simple et il peut être compris comme le résultat de l’interaction du système avec un environnement fictif beaucoup plus restreint. Nous allons considérer la carte quantique induite par la relaxation du système pendant un temps infinitésimal dt : ρ(t + dt) = (1 − κdt)ρ(t) + κdt(1 + nth)(aρ(t)a+ 1 2ρ(t) − 12aaρ(t) − 12ρ(t)aa) + κdtnth(aρ(t)a +1 2ρ(t) −12aaρ(t) −12ρ(t)aa). (V.3) Afin d’étudier en détail cette carte quantique, nous allons considérer son action sur un état pur ρ(t) = |ΨihΨ|. La généralisation à un mélange statistique étant alors triviale. En remarquant que

1En particulier, c’est parce que nos mesures QND du nombre de photons sont séparées d’un temps bien plus long que le temps de mémoire de l’environnement qu’elles ne bloquent pas la relaxation par effet Zenon.

V.1. Décrire la relaxation 167 les préfacteurs ǫ1 = κdt(1 + nth) et ǫ2 =κdtnth sont des quantités infinitésimales à l’ordre 1 en dt, on peut identifier (V.3) comme le développement à l’ordre 1 en dt de la carte quantique suivante :

ρ(t + dt) = (1 −ǫ21aa − ǫ22aa)|ΨihΨ|(1 −ǫ21aa − ǫ22aa) + ǫ1a|ΨihΨ|a + ǫ2a|ΨihΨ|a. (V.4) On reconnaît la transformation : ρ(t + dt) = X k Mkρ(t)M k, (V.5) avec M0 = (✶ − ǫ1 2aa − ǫ2

2aa), M1 = √ǫ1a et M2 = √ǫ2a. Ces opérateurs vérifient bien (au premier ordre en dt) :

X

k

M

kMk =✶. (V.6)

Ainsi, la carte quantique décrivant la relaxation est identique aux temps courts à celle d’une mesure généralisée à trois composantes dont on ne lirait pas le résultat (on parle alors de mesure non-lue). On peut donc imaginer un environnement modèle E de dimension 3, beaucoup plus simple que l’environnement réel de la cavité. On notera {|e0i, |e1i, |e2i} une base orthonormée de E, et nous supposerons qu’il est est initialisé dans l’état |e0i. La carte quantique (V.3) s’obtient alors en faisant interagir le système et l’environnement selon l’opération unitaire :

|Ψi ⊗ |e0i →X

k

Mk|Ψi ⊗ |eki. (V.7)

Dans le cas général, le système et l’environnement sont alors intriqués. Afin de terminer la me-sure généralisée, on meme-sure finalement l’état de l’environnement de façon destructive. La meme-sure réinitialise alors E dans son état initial. Elle peut être décrite par les opérateurs de Kraus suivants : 1. |e0ihe1| : Un photon a fuit du système vers l’environnement (M1 est en effet proportionnel

à l’opérateur annihilation a).

2. |e0ihe2| : Un photon de l’environnement pénètre dans le système. (M2 est proportionnel à l’opérateur création a).

3. |e0ihe0| : L’état de l’environnement n’a pas changé.

La probabilité des deux premiers événements dépend linéairement de l’intervalle de temps dt considéré. Lorsque l’on détecte un état de l’environnement différent de |e0i, le système saute dans l’un des états a|Ψi

|a|Ψi| ou a†|Ψi

|a†|Ψi|. Au contraire, si l’état de l’environnement reste |e0i, le système ne subit aucun saut quantique, mais une évolution douce décrite par M0. M0ne diffère en effet de l’identité que par une quantité infinitésimale en dt. Ainsi, en l’absence de saut, le système subit tout de même une évolution continue différente de l’identité. Nous illustrerons cette propriété quelque peu paradoxale un peu plus loin sur l’exemple du champ cohérent. Enfin, compte tenu de la forme des opérateurs de Kraus de la mesure sur E, l’environnement fictif est réinitialisé

dans l’état |e0i avant de considérer l’intervalle de temps suivant. L’évolution moyenne obtenue à l’aide de cette subdivision du temps en fenêtres infinitésimales successives permet alors de reproduire l’évolution décrite par l’équation maîtresse (V.1).

Ce modèle décrit donc l’évolution du champ comme une suite de sauts quantiques séparés par des évolutions continues. Ce sont les sauts quantiques, intervenants à des instants aléatoires, qui transforment les états purs en mélanges statistiques. Cependant, comme nous en avons eu un exemple au III.3.1, la formule (V.5) n’est pas la seule décomposition sous forme de somme de Kraus de la carte quantique V.3. Par exemple, la base suivant laquelle l’état de E est mesurée n’a aucune importance (Dans tous les cas, la matrice densité du système est transformée par l’opération de trace partielle sur E). Cependant, en choisissant de mesurer l’état de E suivant une autre base, par exemple {|e0i, 1

2(|e1i + |e2i), 1

2(|e1i − |e2i)}, les sauts quantiques seront décrits par d’autres opérateurs M

1, M 2: M 1 = 1 √ 2(M1+M2) (V.8) et M 2= 1 √ 2(M1− M2). (V.9)

En outre, comme nous l’avions vu sur l’exemple du paragraphe III.3.1, le nombre d’opérateurs de Kraus intervenants dans les différentes décompositions est lui-même variable. Une analyse détaillée de plusieurs décompositions équivalentes d’un même processus de décohérence est donnée dans l’ouvrage [48] (p. 405).

Les trajectoires quantiques obtenues dans ces différents « processus modèles » sont donc purement fictives, et ne représentent en aucun cas l’évolution du système réel, qui lui, est couplé à un environnement beaucoup plus complexe que E. On peut par contre utiliser de telles trajectoires fictives dans des simulations Monte-Carlo à condition de ne considérer que les valeurs moyennes sur un grand nombre de trajectoires[100, 101, 102]. On a pu observer des trajectoires de ce type au chapitre III uniquement parce que le système était mesuré de façon répétée suivant une base particulière.

Application : relaxation des états cohérents à T = 0 Afin d’illustrer le raisonnement pré-cédent, on va l’appliquer au cas des états cohérents. Ce raisonnement n’est bien entendu pas original, on pourra par exemple se référer à [48] p. 197, pour une discussion plus détaillée. Il est cependant reproduit dans ce manuscrit par soucis de clarté. Nous allons dans un premier temps décrire la relaxation d’un état cohérent à l’aide du formalisme des opérateurs de saut. Considé-rons donc que la cavité est préparée dans l’état |βi à l’instant initial t = 0.

ρ(t = 0) = |βihβ|. (V.10)

A température nulle (nth =0), la dynamique décrite par (V.3) se simplifie puisque le passage d’un photon de l’environnement vers la cavité devient impossible. Ainsi, il ne reste qu’un opérateur de saut M1décrivant la détection d’un photon dans l’environnement :

M1 = √

V.1. Décrire la relaxation 169 L’évolution en l’absence de saut est décrite quant à elle par l’opérateur M0:

M0= ✶ −κdt2 aa. (V.12)

Ainsi, après un intervalle de temps infinitésimal dt, le champ aura subi un saut quantique (un « clic » est détecté dans l’environnement) avec la probabilité pc = κdthβ|aa|βi = κdt|β|2 = κdt¯n. Dans ce cas, le champ reste inchangé puisque |βi est un état propre de l’opérateur de saut. Au contraire, si aucun saut ne s’est produit, le champ subit la transformation :

|βi → M0|βi

|M0|βi| ≈ |β − κdt/2i. (V.13)

Ainsi, en l’absence de saut pendant un temps t, le champ subit une décroissance exponentielle :

|βi → |βe−κt/2i. (V.14)

L’évolution est donc très paradoxale : on observe une décroissance exponentielle du champ lors-qu’aucun photon n’est détecté dans l’environnement, tandis que le champ reste inchangé lors de la perte d’un photon dans l’environnement. Ceci est une conséquence de la loi de Bayes. En effet, à cause de la forme de l’opérateur de saut, la probabilité de perdre un photon est d’autant plus grande que le nombre de photons dans le champ est grand. Plus quantitativement, la probabilité de détecter un photon sachant qu’il y a n photons dans le champ est donnée par :

p(c|n) = κdtn. (V.15)

Ainsi, la détection d’un photon modifie notre connaissance du nombre de photons présents avant le « clic ». La loi de Bayes permet d’exprimer la probabilité que le champ ait compté n photons avant le « clic » sachant qu’un photon a été détecté.

p(n|c) = p(n)p(c|n)p

c

, (V.16)

où p(n) est la probabilité à priori que le champ contienne n photons et pc est la probabilité d’observer un « clic ». En remplaçant p(n|c) et pc par leurs expressions et en se rappelant la forme de p(n) pour un champ cohérent on obtient :

p(n|c) = n¯np(n) = p(n − 1). (V.17) Ainsi, l’information apportée par la détection décale la statistique des nombres de photons d’exac-tement une unité. Ceci est une propriété unique de l’état cohérent découlant de la statistique pois-sonnienne de sa population. Finalement, puisqu’un photon a été perdu du fait de la détection, la statistique du nombre de photons reste inchangée dans le processus.

L’autre partie de l’apparent paradoxe consiste à expliquer comment l’amplitude du champ peut diminuer sans pour autant que des photons ne soient perdus dans l’environnement. Là en-core, il s’agit d’une conséquence de la loi de Bayes : plus il s’écoule de temps sans qu’aucun

photon ne soit détecté, plus les petits nombres de photons deviennent probables par rapport aux grands. Il est important que les petits nombres de photons aient une probabilité non-nulle dans l’état initial. Par exemple, pour un état de Fock dans lequel toute la population est concentrée sur un nombre de photon, la décroissance du champ n’a lieu que lorsqu’un « clic » est détecté dans l’environnement. En ce sens, ces trajectoires quantiques sont beaucoup plus intuitives dans le cas des états de Fock. Cependant, les trajectoires quantiques des états cohérents sont parfaitement déterministes puisque les sauts quantiques ne modifient pas ces derniers. Les états cohérents sont alors appelés états pointeurs pour le processus de relaxation décrit par l’opérateur M1.

V.1.3 Relaxation de l’état Chat de Schrödinger