• Aucun résultat trouvé

Les insuffisances du dispositif de Conseillers aux droits de l’homme des Nations Unies

SECTION II.- LA PROMOTION À TRAVERS LES COMPOSANTES DROITS DE L’HOMME DES OMP ET DES

C- Les insuffisances du dispositif de Conseillers aux droits de l’homme des Nations Unies

Les Conseillers aux droits de l’homme au sein des équipes de pays des Nations Unies ne sont pas très connus du grand public et même des juristes spécialisés dans le domaine des droits humains. En dehors des documents du Haut-Commissariat qui font mention de leurs activités et de leurs attributions, il est difficile de connaitre leurs actions. Ils ne sont donc pas suffisamment utilisés ou mis à contribution dans la dynamique de l’ONU qui consiste à mobiliser l’ensemble des institutions onusiennes dans l’action de promouvoir les droits de l’homme. Par conséquent, nous pensons que les Nations Unies devraient faire connaitre ce dispositif de Conseillers aux droits de l’homme auprès des populations, car ces Conseillers pourraient très bien assurer le rôle d’interlocuteurs entre le Haut-commissariat et les populations locales. Surtout, nous proposons que ces Conseillers soient autonomes des Chefs d’équipes de pays des Nations Unies. Cette autonomie permettrait à ceux-ci d’être davantage connus du public et de conduire des actions qui auront un véritable impact sur la situation des droits humains dans les pays où ils sont envoyés.

En définitive, il faut souligner que les Conseillers aux droits de l’homme permettent au Haut-Commissariat de disposer de relais efficaces en matière de promotion dans les Etats où il ne possède pas de Bureau national ou de composante « droits de l’homme » au sein des OMP. Malheureusement, ce dispositif ou ce vivier d’experts en droits humains n’est pas suffisamment exploité par l’ONU alors qu’il aurait pu permettre d’améliorer la situation des droits de l’homme en Afrique subsaharienne francophone.

Les OMP déployées en Afrique présentent également un bilan négatif dans la promotion et la protection des droits de l’homme.

§3.- Le bilan négatif des OMP en Afrique

Les OMP envoyées sur le terrain en Afrique subsaharienne, pour rétablir la paix et faire cesser les atteintes aux droits humains, se sont révélées inefficaces. Dans chaque cas de pays, la Mission de maintien de la paix déployée termine généralement ses activités, en l’absence d’un accord de paix entre les parties au conflit. Par exemple, au Rwanda, pendant le génocide de 1994, la Mission des Nations Unies pour l’assistance au Rwanda a assisté, impuissante, aux premiers massacres des civils, et son mandat a pris fin dans un contexte local où les violations des droits humains étaient devenues de grave ampleur. En Somalie et en Angola, les mandats

91

des missions de paix des Nations Unies se sont achevés, au moment où les graves violations des droits de l’homme étaient commises. Par ailleurs, les opérations de désarmement, de démobilisation et de réinsertion conduites par les opérations de maintien de la paix ne contribuent pas de manière effective au retour de la paix. Par exemple, en République Démocratique du Congo, les opérations DDR conduites par la MONUSCO sont un échec total au regard du grand nombre des groupes armés encore actifs sur le terrain, à l’Est de la RDC236.

Ces échecs des Nations Unies s’expliquent par la faiblesse des mandats confiés par le Conseil de sécurité. Les missions des Nations Unies des années 90 étaient limitées au maintien de la paix, sans qu’elles ne mettent l’accent sur la protection des populations civiles. Cette posture des Nations Unies s’inscrivait dans le cadre du respect du principe de non-ingérence dans les affaires intérieures de l’État d’accueil. Donc, il était officiellement interdit aux missions de maintien de la paix de recourir à une action coercitive dans le cadre de la protection des populations civiles, même en cas de menace avérée.

En dépit de l’intégration de l’axe relatif à la protection des populations civiles dans le mandat des OMP actuelles, force est de constater que les missions de maintien de la paix multidimensionnelles d’aujourd’hui, ne réussissent pas à protéger les populations civiles contre les crimes et les assassinats de masse perpétrés par les différentes milices armées et par les forces de sécurité nationale. On observe un manque de réactivité des forces onusiennes face aux multiples violations des droits de l’homme commises en République centrafricaine, au Mali et en République Démocratique du Congo237.

En Centrafrique, la MINUSCA est incapable de protéger les populations musulmanes contre les exactions des ex-Séléka238. Nous insisterons sur les failles de cette Opération de maintien de la paix pour illustrer l’inadéquation et l’incohérence des mandats confiés par le Conseil de sécurité aux missions de maintien de la paix déployées en Afrique subsaharienne francophone. Les forces de la MINUSCA ont certes permis de sauver des milliers de vies humaines et d’éviter que le conflit centrafricain ne prenne les dimensions d’un génocide, il faut néanmoins reconnaitre que la capacité de réaction ou de réactivité de cette mission présente des insuffisances. Par exemple, lors des violences qui ont éclaté à Bangui le 26 septembre 2015, les 2660 policiers et militaires de la mission onusienne ont été absents des principales zones de

236 Voir HATTO (R), Le maintien de la paix. L’ONU en action, Paris, Editions Armand Colin, 2015, p. 132.

237 À l’Est de la RDC, les Casques bleus manquent de réactivité dans la protection des populations civiles. Voir HATTO (R), Le maintien de la paix. L’ONU en action, op.cit., p. 132.

92

conflit239. Par ailleurs, elles ont été incapables d’aider à l’évacuation des personnes blessées gravement par balles vers les hôpitaux.

Des raisons techniques et structurelles expliquent cette impuissance de la MINUSCA à répondre efficacement aux violations des droits de l’homme. D’abord, on note un manque de coordination entre les unités militaires stationnées à Bangui, entravant ainsi leur mobilisation et leur intervention dans les zones de conflit. Ensuite, la complexité du mandat confié à la MINUSCA ne correspond pas aux moyens mis à sa disposition. Bien souvent, les soldats déployés sont en nombre insuffisant et ils manquent d’équipements ou de matériels nécessaires à la protection des populations civiles. De plus, certains soldats manquent de professionnalisme et de dextérité dans l’accomplissement de leur mission. C’est ce qui explique les accusations de violences sexuelles concernant certains Casques bleus. La source des dysfonctionnements des OMP pourrait aussi provenir de sa composition. Les contingents militaires constitués pour la composition des OMP sont généralement composés de soldats étrangers qui n’ont aucune attache avec le pays en crise. Le sentiment d’impunité ou d’hyperpuissance en terre étrangère semble donc prédominer et c’est finalement ce sentiment qui conduit les forces onusiennes à commettre les atteintes aux droits humains. Sur ce point, nous pensons qu’il serait nécessaire que la composition des Opérations de maintien de la paix soit intégralement réformée. En lieu et place des troupes en provenance des autres Etats, on pourrait parfaitement constituer les Opérations de maintien de la paix à partir des forces armées nationales des pays en crise. Au cas où la crise de l’Etat serait majeure et toucherait les forces armées nationales, les Nations Unies pourraient former très rapidement des jeunes originaires des pays en conflits, en vue de constituer les Opérations de maintien de la paix.

Au regard de cette analyse qui fait apparaître de profondes lacunes dans le mandat de la MINUSCA, il est nécessaire que les moyens humains et matériels de la mission soient renforcés afin de protéger efficacement les populations civiles. La question du renforcement des effectifs et des moyens techniques de la MINUSCA devient aujourd’hui une question d’urgence puisqu’au vu de la défaillance généralisée de l’Etat centrafricain et au regard du retrait imminent des forces françaises de l’Opération Sangaris240, la sécurité et la protection des autorités et des

239 Voir AMNESTY INTERNATIONAL, « Un mandat pour protéger. Les ressources pour réussir ? Renforcer le maintien de la paix en République centrafricaine », Londres, Amnesty International Publications 2016, p. 5.

240 Le Ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, a affirmé que « L’objectif, c’est que l’Opération Sangaris en tant que telle s’arrête… au cours de l’année 2016 ». Le retrait des effectifs s’opère progressivement. Voir le compte rendu « Centrafrique : la France veut mettre un terme à l’opération Sangaris en 2016 », Le Monde Afrique, http://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/01/31/centrafrique-la-france-veut-mettre-un-terme-a-l-operation-sangaris-en-2016_4856830_3212.html Au cours de sa visite effectuée en Centrafrique le 13 mai 2016, le Président François Hollande a confirmé cet objectif de mettre fin à l’Opération militaire Sangaris. Voir l’article : « RCA :

93

populations civiles centrafricaines reviendront à la MINUSCA. Dans ces conditions, afin d’éviter de nouvelles violences intercommunautaires, il sera nécessaire que la MINUSCA renforce ses capacités d’analyse de la situation politique et sociale sur le terrain afin d’anticiper les éventuels conflits locaux et sociaux qui sont susceptibles de produire des effets néfastes sur le plan national.

De même, au Mali, les Casques bleus de la MINUSMA rencontrent des difficultés à faire face aux attaques répétées des terroristes appartenant au MNLA-CMA. On constate ici les mêmes insuffisances dans la protection des populations civiles qu’en Centrafrique. Cela s’explique par le manque de moyens humains et matériels.

Les effectifs de la MINUSMA sont encore insuffisants, ils n’ont toujours pas atteint le nombre autorisé par le mandat. En mars 2016, la composante militaire comptait 10698 soldats, soit 95% de l’effectif autorisé de 11240 soldats241. En outre, comme il a été souligné par le Secrétaire général dans son dernier rapport sur la situation au Mali, les troupes fournies par les Etats pour la constitution de la MINUSMA, manquent de formation et de moyens nécessaires à leur intervention dans les principales zones de conflit242. Par ailleurs, la difficulté majeure de la MINUSMA réside dans l’absence du recours à la force armée préventive contre la menace terroriste. Cette question de l’absence du recours à la force armée préventive s’inscrit dans le contexte général de l’insuffisance ou du manque de moyens de prévention à la disposition des opérations de maintien de la paix. Les opérations de maintien de la paix ne disposent pas de services secrets et de techniques de renseignement qui auraient permis de prévenir les actions des différents groupes armés. Comme il a été très justement souligné par Ronald Hatto,

« l’absence de renseignement tactique a toujours représenté un handicap pour les forces des Nations unies qui ne peuvent pas anticiper les actions des différents protagonistes »243. Cependant, l’Organisation des Nations Unies explique qu’il s’agit de la volonté de l’Organisation, de ne pas recourir aux services de renseignement qui font référence à l’espionnage244. L’objectif est de ne pas remettre en cause la confiance établie entre l’Organisation des Nations Unies et les différentes parties en conflits. L’utilisation des drones d’observation par la MONUSCO en République Démocratique du Congo en 2013 pour

pourquoi François Hollande se rend-t-il en visite à Bangui ? », http://www.rfi.fr/afrique/20160513-rca-centrafrique-francois-hollande-bangui-sangaris-securite-nigeria-barkhane

241 Voir le Rapport du Secrétaire général sur la situation au Mali du 28 mars 2016, S/2016/281, pp. 12-13.

242Ibidem.

243 Voir HATTO (R), Le maintien de la paix. L’ONU en action, Paris, Editions Armand Colin, 2015, p. 50.

94

recueillir les informations sur les positions des groupes rebelles à l’Est de la RDC245, explique peut-être la fin de cette politique des Nations Unies.

L’autorisation de recourir à la force armée préventive aurait, toutefois, permis à la MINUSMA de s’adapter à la spécificité « terroriste » du conflit malien et par conséquent de détruire les capacités de réaction des groupes terroristes qui maîtrisent particulièrement les techniques de la guerre asymétrique246. Comme en Centrafrique, il est aujourd’hui urgent que le mandat de la MINUSMA soit renforcé afin de pallier les insuffisances des forces armées maliennes et d’anticiper un éventuel retrait des forces françaises du Sahel.

Conclusion du Chapitre I

La promotion des droits humains par le Haut-Commissariat aux droits de l’homme en Afrique fait ressortir trois principales observations. La première observation est que le HCDH parvient à vulgariser les principes relatifs aux droits de l’homme dans les milieux ruraux enclavés du continent qui ne disposent pas de nouvelles technologies d’information, en soutenant notamment les associations locales dont le domaine d’activité est en rapport avec les droits de l’homme. Par exemple, la mise en œuvre du « Projet Aider les communautés tous ensemble » en Centrafrique a permis de financer les activités des associations locales de défense des droits humains. Le travail de collecte des données et d’information de ces associations s’est révélé très utile dans la mesure où il a permis à l’ensemble des acteurs de la Communauté internationale de prendre connaissance des exécutions extrajudiciaires et des violences sexuelles commises par les groupes armés, mais aussi par les civils contre les personnes âgées accusées de sorcellerie dans les villages. De même, en République démocratique du Congo, ce projet a favorisé la conduite d’une campagne nationale sur le respect des droits fondamentaux des femmes, qui a permis de sensibiliser sur les instruments des Nations Unies portant sur ces droits. Cette sensibilisation revêt un intérêt capital pour ce pays où le viol et les graves violences sexuelles contre les femmes sont commis au quotidien. En outre, les activités de sensibilisation du HCDH concernent l’ensemble des catégories socio-professionnelles, à l’instar des fonctionnaires, des religieux, des éléments des forces armées et même des élèves au sein des

245 Voir l’article « Mon point de vue. Le Chef des opérations de maintien de la paix fait le bilan de l’année 2013 »,

Échos de la MONUSCO, Volume IV, n°29, 30- décembre-janvier 2014, p. 4. Voir également « Événement du mois : Hervé Ladsous explique l’usage des drones », Échos de la MONUSCO, n°29, 30, décembre-janvier 2014, p. 31.

246 La guerre asymétrique consiste pour les terroristes à viser des cibles non militaires telles que les civils, les fonctionnaires et les acteurs internationaux présents au Mali afin de compromettre le processus de paix. C’est dans ces conditions qu’en décembre 2015, des assaillants armés ont abattu trois civils, un journaliste, un étudiant et un prestataire local de la MINUSMA devant les locaux d’une radio de Tombouctou. Voir le Rapport du Secrétaire général sur la situation au Mali du 28 mars 2016, S/2016/281, p. 5.

95

établissements scolaires. Ces activités permettent d’asseoir une culture de respect des droits de l’homme dans les différents domaines d’activité au sein de la société. Cependant, la question de l’efficacité de cette stratégie de promotion des droits humains se pose particulièrement en ce qui concerne les forces armées, car il faut reconnaitre qu’en dépit de nombreux séminaires, ateliers et formations sur les règles du droit international des droits de l’homme, les forces armées africaines sont constamment responsables des exécutions extrajudiciaires et des violences sexuelles sur les populations civiles. Nous pensons ici que l’Organisation des Nations Unies devrait repenser sa stratégie de promotion des droits humains au sein des milieux armés. La nouvelle stratégie consisterait pour le Haut-Commissariat à travailler en étroite collaboration avec la hiérarchie militaire. Les sanctions disciplinaires et les poursuites judiciaires seraient ainsi engagées contre les soldats responsables de violations graves des droits de l’homme devant les juridictions pénales militaires. Dans ce cadre, l’effectivité de la promotion et de la protection de ces droits serait garantie. La seconde observation nous montre que le Haut-Commissariat dispose d’une panoplie de moyens pour s’informer sur la situation des droits humains sur le terrain. Ainsi, il est doté des Bureaux nationaux et régionaux ; des composantes « droits de l’homme » dans les OMP et des Conseillers aux droits de l’homme sur l’ensemble du continent. Ces mécanismes permettent à l’ONU de disposer d’une réelle connaissance de la situation des droits humains et d’apporter les premières réponses aux atteintes portées à ces droits. Toutefois, les Conseillers aux droits de l’homme ne sont pas suffisamment mis à contribution dans la promotion de ces droits alors que par le biais de leur expertise ils pourraient permettre le renforcement du cadre juridique de protection des droits humains des Etats d’Afrique subsaharienne francophone. Enfin, la troisième observation est relative à l’analyse de l’action des composantes « droits de l’homme » des OMP. À ce propos, il convient de préciser que les stratégies de promotion élaborées dans le cadre des composantes « droits de l’homme » sont généralement incomplètes, elles ne mettent pas un accent particulier sur les droits de certaines minorités ethniques. On note ainsi une insuffisance de programmes de droits humains à l’intention des Pygmées en Afrique centrale alors que ces derniers subissent une marginalisation politique, sociale, économique et culturelle. Par ailleurs, les violations des droits humains commises par les Casques bleus et l’incapacité de l’O.N.U. à rétablir la paix et la sécurité dans les pays tels que le Mali et la Centrafrique, ont décrédibilisé l’action des Nations Unies sur le continent africain.

À côté du Haut-Commissariat aux droits de l’homme, l’Organisation des Nations Unies dispose d’autres organes prévus par la Charte des Nations Unies et les Conventions internationales relatives aux droits de l’homme, pour promouvoir les droits humains en Afrique.

97

-CHAPITRE II-

LA CONTRIBUTION COMPLÉMENTAIRE DES MÉCANISMES

Outline

Documents relatifs