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Les conséquences positives et négatives des valeurs traditionnelles de dignité, de liberté et de responsabilité

SECTION II.- L’APPORT DES MÉCANISMES EXTRA- CONVENTIONNELS DANS LA PROMOTION DES DROITS HUMAINS

B- L’influence des valeurs traditionnelles africaines dans la promotion des droits de l’homme : l’apport du Comité consultatif du Conseil

1- Les conséquences positives et négatives des valeurs traditionnelles de dignité, de liberté et de responsabilité

Le Comité consultatif considère les « valeurs traditionnelles de l’humanité »324, comme des valeurs universellement partagées. Ces valeurs sont inscrites dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui est par ailleurs, une excellente manifestation de la diversité traditionnelle, culturelle et politique du droit international des droits de l’homme. Parmi ces valeurs, on peut mentionner la dignité, l’égalité, la liberté, la responsabilité et la notion même de droits. Cette liste non exhaustive a été reprise par la Rapporteuse spéciale sur la violence contre les femmes, ses causes et ses conséquences, qui considère que « les valeurs fondamentales que protègent et promeuvent les droits de l’homme, notamment la dignité, l’égalité et la notion même de droits ont été consacrées par la littérature, les religions et les pratiques culturelles du monde entier et officialisées sous forme de droit international grâce

323 Voir Étude du Comité consultatif du Conseil des droits de l’homme sur la façon dont une meilleure compréhension des valeurs traditionnelles de l’humanité peut contribuer à la promotion des droits de l’homme et des libertés fondamentales, A/HRC/22/71, Résumé.

324 Cette expression est aussi employée dans la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, au paragraphe 3 de l’article 17 qui dispose que « la protection et la promotionde lamorale et des valeurs traditionnelles reconnues par la communauté constituent un devoir del’Etat ».

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aux décisions prisespar consensus par les représentants des États membres de l’Organisation des Nations Unies au cours de négociations multilatérales et grâce aux activités de sensibilisationmenées par les organisations de la société civile »325.

Toutefois, il convient de relativiser le caractère universel de ces valeurs traditionnelles. Il faut observer qu’il existe des pratiques culturelles conformes aux règles relatives aux droits de l’homme et qui participent à leur vulgarisation ; alors que d’autres pratiques sont néfastes à l’effectivité de la jouissance des droits de l’homme326. Dans cette seconde catégorie, nous avons plus haut démontré, qu’il existe dans la culture africaine, certaines croyances et pratiques traditionnelles néfastes à la jouissance des droits fondamentaux. Par exemple, les mutilations génitales féminines, les mariages précoces chez la femme dans les cultures d’Afrique de l’Ouest ; l’infanticide rituel des enfants dits « sorciers » et la « supériorité » de l’homme à la femme, entretenue dans presque toutes les cultures d’Afrique, relèvent des croyances dépassées et contraires à l’universalité des droits de l’homme.

Dans le cadre de cette réflexion, l’objectif de notre raisonnement n’est pas d’opérer une forme de césure morale entre les pratiques officielles, communément admises comme conformes aux droits de l’homme et les pratiques considérées, comme relevant d’une époque révolue et par conséquent, rejetées par l’opinion internationale, mais l’objectif de ce travail, est d’analyser la contribution des valeurs traditionnelles à la promotion des droits de l’homme en Afrique, en nous fondant sur l’Étude réalisée par le Comité consultatif sur « la façon dont une meilleure compréhension des valeurs traditionnelles de l’humanité peut contribuer à la promotion des droits de l’homme et des libertésfondamentales ».

Comme il a été souligné par le Comité consultatif, les principes juridiques d’égalité et de respect de la dignité humaine avaient déjà été érigés en règles coutumières au sein de plusieurs groupes culturels africains, comme chez les Kambas du Kenya327, les Akans du

325 Report of the Special Rapporteur on violence against women, its causes and consequences”, Yakin Ertürk,

Intersections between culture and violence against women, A/HRC/4/34, le paragraphe 35, p. 14.

326 À ce sujet, Jean-Gobert Tanoh souligne que « l’absolution des particularismes culturels » avilit les Africains en ce sens qu’« elle est source de conflit et de rejet systématique de l’autre,qui a pour seul tort d’être différent de nous ». TANOH (J-G), « Être africain. Approche métaphysique de l’identité humaine en Afrique », Le Portique, En ligne, 2-2006, Varia, mis en ligne le 15 décembre 2006, consulté le 14 avril 2015.

URL http://www.leportique.revues.org/865

327 MUTUA (M), “The Banjul Charter and the African Cultural Fingerprint; an Evaluation of the Language of Duties”, Virginia Journal of International Law, 1995, vol. 35, p. 350.

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Ghana328, les Amharas d’Éthiopie ou les Kubas de la République démocratique du Congo329. De plus, ces principes de dignité humaine, d’égalité et de liberté figurent dans la Charte de l’Organisation de l’Unité africaine330 (devenue Union africaine) et dans la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples331.

C’est ici que se situe la spécificité de la Charte africaine par rapport aux autres textes régionaux de protection des droits de l’homme. En effet, la Charte africaine consacre non seulement des valeurs historiques et positives de la civilisation africaine, telles que le caractère sacré de la vie humaine et le respect de la dignité de chaque être humain, mais elle consacre aussi des devoirs de l’individu vis-à-vis de sa famille, et de la société332. Toutefois, cette deuxième caractéristique de la Charte africaine comporte un risque social évident. Ce risque est de créer une forme d’assistanat familial et social ad vitam aeternam, qui consisterait à prendre en charge tous les parents, même éloignés, dépourvus de moyens de subsistance. Le Professeur Paul-Gérard Pougoué fait la même analyse, en soutenant qu’ « une lecture attentive de ce chapitre de la Charte indique la tentation de soumettre les individus aux fins collectives. On n’est pas loin alors de la conception marxiste des libertés et de la conception fasciste de l’individu. L’article 29 de la Charte présente plusieurs dangers de ce point de vue : devoirs de servir la communauté nationale, obligation de travailler, obligation de solidarité, etc. La Charte, sur ce point, suscite des interrogations »333.

328 WIRIDU, cité dans MUTUA (M), « The Banjul Charter and the African Cultural Fingerprint; an Evaluation of the Language of Duties », article précédemment cite, pp. 348-354.

329 Voir FERNYHOUGH (T), “Human Rights in Pré-colonial Africa” in COHEN (R) et al (eds), Human Rights and Governance in Africa, Florida, University Press of Florida, 1993, p. 62.

330 Dans ses objectifs, ce texte dispose que « la liberté, l’égalité, la justice et la dignité sont desobjectifs essentiels à la réalisation des aspirations légitimes des peuples africains ». Voir le deuxième paragraphe de la Charte de l’OUA ; voir aussi le deuxième paragraphe de l’Acte constitutif de l’Union africaine.

331 L’article 5 de cette Charte établit un lien entre le respect de la dignité humaine et l’interdiction de l’esclavage, de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

332 Voir HAMIDA (C B) et MEJRI (K), « L’Union Africaine : d’une association d’Etats à une communauté de valeurs ? » in ACHOUR (R B) et LAGHMANI (S) (dir.), Les droits de l’homme : une nouvelle cohérence pour le droit international ? Paris, Editions A. Pedone, 2008, pp. 232-233.

333 Voir POUGOUE (P-G), « Lecture de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples » in

MAUGENEST (D) et POUGOUE (P-G) (dir.), Droits de l’Homme en Afrique centrale, Colloque régional de Yaoundé (9-11 novembre 1994), Yaoundé et Paris, Presses de l’UCAC et Editions Karthala, 1994, p. 36. Il convient de voir aussi le débat, lors de l’élaboration de l’article 29 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, entre la conception marxiste qui insistait sur la notion de « devoirs » ou d’obligations morales de l’individu envers sa communauté, et la conception libérale qui excluait que l’on fasse peser des obligations morales sur l’individu. Cette conception définit la liberté comme la sphère d’action de tout individu, qui ne saurait admettre une ingérence. Voir DE FROUVILLE (O), L’intangibilité des droits de l’homme en droit international. Régime conventionnel des droits de l’homme et droit des traités, Paris, Editions A. Pedone, 2004, pp. 75-80.

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Par ailleurs, les Constitutions et les juridictions constitutionnelles africaines ont constamment intégré le principe de la dignité humaine, comme un principe juridique d’essence traditionnelle. À titre d’exemple, la Constitution de l’Ouganda interdit les lois, les cultures, les coutumes et les traditions qui sont contraires à la dignité humaine, au bien-être et à l’épanouissement de la femme334. En Afrique du Sud, la Cour constitutionnelle a toujours considéré le principe de la dignité humaine comme un principe de l’ordre religieux, inhérent à tout être humain335.

Les principes d’égalité et de respect de la dignité humaine ne sont donc pas étrangers à la culture africaine puisqu’ils ont toujours été consacrés dans les coutumes et dans les textes juridiques. En revanche, les limites apparaissent dans l’application des dits principes. Les inégalités sociales et la gouvernance politique fondée sur des crimes de masse dans les pays africains ne pourront favoriser l’égalité et le respect de la dignité humaine en Afrique.

La seconde valeur traditionnelle africaine se trouvant dans la quasi-totalité des instruments juridiques internationaux relatifs aux droits humains, est la liberté. La liberté suppose l’absence de contrainte ou d’ingérence d’un élément extérieur à la volonté humaine, ce qui renvoie à la « liberté de circuler »336, la liberté de pensée, de conscience et de religion. Ces différentes libertés fondamentales sont prévues par la majorité des Constitutions africaines.

La troisième valeur fondamentale de la culture africaine, est celle de la responsabilité. En droit international des droits de l’homme, le principe de responsabilité concerne, principalement l’État337 dans la mesure où il incombe, à titre principal, à l’État de promouvoir le respect universel des droits de l’homme. En cas de non-exécution de cette obligation, la responsabilité de l’État est susceptible d’être engagée. Cette acception du droit international est presque identique à la définition de la notion de responsabilité qu’on trouve dans les traditions africaines, à la différence que les traditions africaines font reposer la responsabilité de la

334 Voir Étude du Comité consultatif du Conseil des droits de l’homme sur la façon dont une meilleure compréhension des valeurs traditionnelles de l’humanité peut contribuer à la promotion des droits de l’homme et des libertés fondamentales, A/HRC/22/71, le paragraphe 18, p. 7.

335 Voir Cour constitutionnelle de l’Afrique du Sud, Minister of Home Affairs.v. Minister of Justice, 2006.

336 La liberté de circulation était réellement appliquée dans l’Afrique traditionnelle puisque les personnes se déplaçaient librement et les échanges commerciaux entre les différents royaumes se faisaient sans obstacle.

337 Il faut préciser que la responsabilité des acteurs non étatiques peut être engagée en vertu du droit international des droits de l’homme, notamment lorsque ceux-ci agissent et exercent des fonctions pour le compte de l’Etat. Voir CLAPHAM (A), Human Rights Obligations of Non-States Actors, Oxford, Oxford University Press, 2006 ; voir aussi ALSTON (P), Non-State Actors and Human Rights, New-York, Oxford University Press, 2005.

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promotion et de la protection des droits humains sur les individus338 et non sur l’État. Il en va de même dans la tradition asiatique, qui s’appuie sur « la responsabilité des individus, des familles et des communautés de prendre soin d’autrui, qui correspond aux notions de respect et desolidarité dans la culture africaine.

L’existence de ces valeurs traduites en principes juridiques, présuppose l’existence d’un ensemble de normes dans les sociétés traditionnelles africaines, qui participait à la promotion

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