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Instruments de politique des transports

LES TAXES D'ORIENTATION DANS LE DROIT ACTUEL

V. Instruments de politique des transports

1. La redevance sur le trafic des poids lourds

L'article 17 DT/Cst. permet à la Confédération de percevoir, pour l'utilisation des routes ouvertes au trafic général, une redevance annuelle sur les véhicules automobiles et les remorques d'un poids total supérieur à 3,5 tonnes. L'article 17 al. 2 DT/Cst. fixe le montant de cette redevance selon une progression qui est fonction du poids du véhicule.

Se fondant sur cette disposition, le Conseil fédéral a arrêté l'ordonnance du 12 septembre 1984, réglant la redevance sur le trafic des poids lourds (ORTPL)146, ordonnance qui prévoit, notamment, la perception de la redevance par le canton du lieu d'immatriculation du véhicule (art. 26 al. 1 ORTPL), ou par les bureaux de douane, pour les véhicules imma-triculés à l'étranger (art. 26 al. 2 ORTPL). Le contribuable est le déten-teur du véhicule (art. 7 et 16 ORTPL).

Pour les véhicules suisses, l'assujettissement commence le jour de l'immatriculation et s'achève lors de la remise des plaques, la période de taxation étant l'année civile (art. 8 et 9 ORTPL); en revanche, l'assu-jettissement commence lors de l'entrée en Suisse pour les véhicules étrangers, et est calculé proportionnellement, en pour-cent des taux, dans la mesure où le séjour du véhicule en Suisse est inférieur à une année (art. 18 et 19 ORTPL). Le produit de la redevance n'est pas affecté à une tâche particulière.

Si l'on examine le but visé par la redevance, on constate qu'elle comporte des traits caractéristiques des redevances fiscales et des taxes d'orientation.

C'est ainsi que le Message du Conseil fédéral concernant une vignette autoroutière et une redevance sur le trafic des poids lourds, du 16 janvier 1980147, expose, d'une part, que cette dernière permettrait

146 RS. 741.71.

147 FF 1980 I pp. 1089 ss.

d'assainir la mauvaise situation financière de la Confédération14s, ce qui souligne le caractère fiscal de la redevance. Plus loin, le Message précise que cette redevance vise en premier lieu à assurer la compensation des frais d'infrastructure imputables à ce trafic149, ce qui la rapprocherait d'un impôt d'attribution des coûts ("Kostenanlastungssteuer")15o perçu en accord avec le principe de causalité151.

D'un autre côté, la redevance, toujours selon le Message, pourrait contribuer à empêcher que les camionneurs choisissent l'itinéraire suisse afin d'éviter les péages et les redevances perçues sur les tronçons étrangers 152.

Quant au Tribunal fédéral, tout en relevant le caractère non discriminatoire de la redevance, qui frappe de façon égale les détenteurs suisses et étrangers, il a laissé ouverte la question de savoir si la redevance sur le trafic des poids lourds constitue un impôt ou une taxe d'utilisation des routes153.

En accord avec la doctrine qui s'est penchée sur la question154, on peut cependant conclure, suite aux modifications apportées par le Parlement au projet initial du Conseil fédéral, à la qualification d'impôt au sens strict, c'est-à-dire au but fiscal prépondérant, de la redevance sur le trafic des poids lourds.

D'une part, alors que le projet du Conseil fédéral prévoyait l'affectation particulière des recettes de la redevance, le texte final a abandonné cette particularité. Le produit de la redevance alimente donc la caisse fédérale.

D'autre part, avec Malinverni/Hottelier155, dans l'hypothèse où la redevance aurait été qualifiée de taxe causale par le Parlement, on peut se demander si, au préalable, l'article 37 al. 2 Cst. n'aurait pas dû être

148 Ibid., p. 1091.

149 Ibid., p. 1132.

150 Sur cette notion, voir Bückli, lndirekte Steuern, p. 52s.

151 Wagner, Das Verursacherprinzip, p. 381, qui émet des doutes à ce propos.

152 FF 19801 p. 1133.

153 ATF Maison G. SPRL, 112 lb 183 (187).

154 Hohn, Commentaire ad article 17 DT/Cst., No 4; Bockli, Die Schwer-verkehrssteuer, p. 21; Malinverni/Hottelier, La nature juridique, p. 278.

155 La nature juridique, p. 280.

abrogé, puisque cette disposition consacre le principe de l'exemption des taxes pour l'utilisation des routes. Non seulement tel n'a pas été le cas, mais encore l'article 17 DT/Cst. ne mentionne pas que cette disposition a été adoptée en dérogation à l'article 37 al. 2 Cst.

On pourrait cependant soutenir que l'article 17 DT/Cst. constitue une lex specialis par rapport à l'article 37 al. 2 Cst.

En tout état de cause, les débats parlementaires attestent que l'objectif prépondérant de la redevance est de renflouer les caisses de la Confédération 156. L'aspect de la redevance tendant à inciter les camionneurs à ne pas emprunter l'itinéraire suisse est ainsi passé à l'arrière-plan157; cela d'autant plus que tant les poids lourds suisses que les étrangers sont frappés de la redevance. La qualification de taxe d'orientation ne saurait donc être retenue ici.

2. La contribution à la prévention des accidents

Selon l'article 1 al. 1 de la Loi fédérale sur une contribution pour lutter contre les accidents de la circulation routière158 (LFCPA), tout détenteur d'un véhicule à moteur doit verser annuellement une "contribution", fixée à 0,75 % de la prime nette de l'assurance responsabilité civile159, pour lutter contre les accidents de la circulation routière. Le montant de cette redevance sert à couvrir les frais d'un fonds de droit public, lequel permet d'encourager des mesures visant à lutter contre les accidents (art.

3 LFCPA). Le Message expose, à propos de la qualification juridique de cette contribution, que, selon "le principe du risque inhérent, cette contribution financière constitue une prestation "causale" et nullement un impôt"160. Cette conclusion, à laquelle Res Auer se rallie161, nous paraît cependant discutable.

156 BQ CE 1982 pp. 329 ss; BQ CN 1983 pp. 328 ss.

157 Du même avis, Wagner, Das Verursacherprinzip, p. 381.

158 LF du 25 juin 1976 (RS 741.81).

159 Art. 1 de l'QCF d'application, du 13 décembre 1976 (RS 741.811).

160 FF 1976 1 pp. 1117 ss (1126).

161 Sonderabgaben, p. 119.

En effet, et Vallender l'a clairement démontré162, ce n'est pas parce qu'une contribution publique met en oeuvre le principe de causalité163 qui veut que celui qui est responsable d'un dommage doive le réparer -que celle-ci doit être qualifiée de taxe causale. Il existe aussi bien des impôts qui mettent en oeuvre ce principe (la surtaxe sur les carburants164, par exemple) que des taxes causales (on songera aux contributions de raccordements aux canalisationst65 prélevées chez les propriétaires que l'on peut considérer comme les pollueurs).

La contribution dont il est ici question pose dès lors un problème de qualification dont l'enjeu n'est pas négligeable. En effet, l'article 37bis al. 2 Cst. ne prévoit pas le prélèvement d'un impôt, mais se contente d'affirmer que la "Confédération peut édicter des prescriptions concernant les automobiles et les cycles". De l'avis de la doctrine166, cette disposition ne confère que des compétences d'édicter des mesures de police concernant la circulation. La qualification d'impôt stricto sensu rendrait ainsi cette redevance inconstitutionnelle, car il est admis qu'une base constitutionnelle expresse est nécessaire pour prélever des impôts.

En revanche, selon la doctrine dominante, une base constitutionnelle implicite devrait suffire pour les taxes causales167. On peut soutenir qu'il s'agit d'une charge de préférence, car elle permet de financer des mesures étatiques dont les contribuables tirent un avantage particulier.

Son objectif premier consiste cependant à procurer des ressources à la Confédération pour lui permettre, ensuite, de financer des mesures préventives. En tant que telle, la redevance en cause ne cherche pas, du moins pas de façon prépondérante, à engendrer une modification de comportement des automobilistest6s, Son faible montant plaide également

162 Kausalabgabenrecht, pp. 186 ss.

163 Dont on trouve un cas d'application à l'article 2 LPE; voir à ce propos, Wagner, Das Verursacherprinzip, pp. 359 ss, Petitpierre, Le principe pollueur-payeur, pp. 449 ss.

164 Voir article 36ter Cst.; en outre, P. Locher, Commentaire ad art. 36ter Cst., No 9, qui qualifie cette surtaxe, à la suite de Bockli, Indirekte Steuem, p. 53, de

"Kostenanlastungssteuer".

165 ATF Consortium Giessen, 106 la 241 (242s)

=

JdT 1982 pp. 485 ss (487).

166 Lendi, Commentaire ad art. 37bis Cst., No 3.

167 T. Fleiner, Rechtsgutachten, p. 313; Imboden/Rhinow, Verwaltungsrecht-sprechung, p. 756; Hohn, Commentaire ad art. 42 Cst., Nos 9 et 13.

168 Voir aussi, Diriwiichter, Lenkungsabgaben, p. 208, pour qui l'effet d'attribution des coûts ("Kostenanlastungseffekt"), à savoir celui de faire supporter les frais que

dans ce sens. Il ne saurait être ici question d'une taxe d'orientation, au sens où nous l'entendons.