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La rédaction de cette thèse, portant sur un sujet vaste, situé à l'orée de divers domaines du droit et en constant développement, a impliqué le concours et l'appui de nombreuses personnalités, que je souhaiterais remercier ici.

Avant tout, je tiens à exprimer ma profonde reconnaissance à mon directeur de thèse, Monsieur le Professeur Blaise Knapp, pour le soutien qu'il m'a apporté durant toute l'élaboration de ce travail. Sa disponibilité, ses conseils et son esprit critique, m'ont permis d'orienter les recherches dans la bonne direction et de mener à bien l'achèvement de cet ouvrage. En m'associant, en tant qu'assistant, aux travaux de recherche du Département de droit administratif, il m'a fait bénéficier d'une atmosphère de travail stimulante et enrichissante.

Mes remerciements s'adressent également à Monsieur le Professeur Charles-André Junod, pour ses observations judicieuses qui ont permis d'éviter plusieurs erreurs, et à Monsieur le Professeur Gérard Hertig, directeur du Centre d'études juridiques européennes, dont les précieuses remarques m'ont incité à pousser l'analyse toujours plus avant.

Je tiens en outre à remercier Monsieur le Professeur Jacques-André Reymond, Doyen de la Faculté de droit de Genève, dont les suggestions et les critiques m'ont été d'un important secours, et Madame le Professeur Danielle Yersin pour l'intérêt qu'elle a porté à ce travail.

De surcroît, je suis redevable à mes amis, en particulier, Mademoiselle Suzanne Lebet et Monsieur François Bellanger, assistants à la Faculté de droit, pour leur lecture critique de nombreux projets et pour les fructueux échanges de vues qui en ont résulté.

Une reconnaissance toute particulière s'adresse de même à mes parents pour leur encouragement et leur appui constant.

Enfin, c'est à Monica, ma femme, que je dois d'avoir pu réaliser ce travail; je lui suis très spécialement reconnaissant pour tout le temps qu'elle a dû consacrer à écouter mes hésitations, éclaircir mes doutes, ou lire les ébauches de cet ouvrage. Il lui est dédié.

Genève, septembre 1990

INTRODUCTION GENERALE

Pendant une assez longue période, le droit fiscal a vécu paisiblement, confiné dans son rôle essentiel de pourvoyeur de recettes nécessaires à l'Etat pour lui permettre de mener à bien ses tâches générales. Peu à peu, parallèlement à l'élargissement des compétences étatiques, qui ont vu le passage de l'Etat-policier à l'Etat-providence, la question de l'utilisation des contributions publiques, non plus aux fins de rechercher des ressources financières, mais comme instruments d'action sur le comportement des individus et des entreprises, est devenue un sujet d'actualité particulièrement sensible.

Ce n'est pas que l'idée soit nouvelle; les droits de douane ont, historiquement, souvent servi à protéger la production indigène contre les importations excessives. De même, l'imposition de l'alcool devait, à l'origine, tendre à freiner sa consommation. Mais l'emploi de certaines redevances dans le but prépondérant, voire exclusif, d'orienter le comportement des particuliers dans une direction favorable à une certaine politique étatique, est un phénomène relativement récent qui, de surcroît, a tendance à prendre toujours plus d'ampleur.

Mentionnons, par exemple, le secteur de l'agriculture où l'on trouve, actuellement, une liste impressionnante de "taxes", "suppléments de prix", "droits de douane supplémentaires" et autres redevances qui servent, pour la plupart, et avec plus ou moins de succès, à protéger la production locale, et ainsi, à exercer une certaine pression sur les comportements économiques qui risqueraient de pénaliser sinon l'agriculture indigène. La lutte contre le bruit a, quant à elle, trouvé une arme très efficace dans le prélèvement de surtaxes qui viennent frapper certains aéronefs dépassant un seuil d'émission autorisé.

On rencontre, dans d'autres domaines également, des contributions publiques au caractère incitatif plus ou moins marqué, voire plus ou moins avoué. Citons ici simplement la politique commerciale, la

politique conjoncturelle, la politique des transports ou la politique sociale.

Cela étant, les propositions récentes d'instaurer de nouvelles redevances, dans le but de modifier l'attitude des individus, abondent.

Au projet, avorté, d'introduire, dans le cadre de la loi fédérale de 1983 sur la protection de l'environnement, un certain nombre de contributions publiques destinées, ouvertement, à pénaliser les comportements nui-sibles à l'environnement, est venue s'ajouter une proposition récente de créer une taxe sur l'énergie, parallèlement à la réforme des finances fédérales. Aux dires de certains, cette taxe devrait tendre, du moins en partie, à favoriser les économies d'énergie, car elle en rendrait la consommation plus onéreuse. Sans parler de divers autres projets, qui vont de l'institution d'une taxe sur les emballages de boissons non recyclables ou sur les sacs à ordures pour encourager une gestion des déchets plus rationnelle et respectueuse de l'environnement, en passant par la création d'un "impôt" spécial sur les gains immobiliers réalisés sur la vente à court terme, impôt destiné à lutter contre la spéculation.

La mise en oeuvre de telles redevances, envisagées comme des instruments permettant à l'Etat de parfaire la conduite d'une politique donnée, ne va pas sans poser des problèmes juridiques auxquels les fiscalistes, jusqu'à récemment, n'ont pas été souvent confrontés.

Depuis des lustres, la science juridique distingue deux catégories de contributions publiques: les impôts d'un côté, les taxes causales de l'autre.

Les premiers sont dus par le contribuable, du simple fait qu'il remplit les conditions d'assujettissement, tandis que les secondes reposent, en principe, sur une prestation étatique particulière, dont elles représentent la contrepartie, et qui en constitue la cause. Ces diverses contributions publiques ont, en revanche, en commun le fait qu'elles permettent à l'Etat de se procurer des ressources financières pour pouvoir mener à bien les diverses tâches dont il a la charge.

De cette distinction fondamentale découle une série de conséquences juridiques quant à l'admissibilité des contributions publiques d'un point de vue constitutionnel. En particulier, le partage des compétences fiscales entre la Confédération et les cantons dépend de l'appartenance de la redevance en cause à l'une ou à l'autre de ces catégories. De même, le respect de certaines règles constitutionnelles fondamentales telles que le principe de légalité, de l'égalité de traitement, de la capacité contributive, voire le principe de la liberté du commerce et de l'industrie, s'appréhende différemment suivant que l'on qualifie une contribution publique de taxe causale ou d'impôt.

Or, ces redevances spéciales -redevances appelées ici taxes d'orientation-dont le but déclaré est d'àgir sur le comportement des particuliers, ne peuvent s'intégrer sans autre dans un tel système. Par leur caractère instrumental, les taxes d'orientation s'apparentent plus aux moyens de régulation de l'Etat qu'aux contributions publiques - dont elles ne revêtent que la forme.

Faut-il pour autant assimiler purement et simplement les taxes d'orientation aux autres modes d'intervention de l'Etat auxquels on peut les comparer, ou doit-on encore tenir compte de leur appartenance formelle?

Toute la problématique est là et réside dans le caractère ambivalent inhérent à toutes les redevances de ce type: elles cherchent à pénaliser, mais dans un même temps, elles procurent des ressources à l'Etat, puisque l'on doit s'attendre à ce que certains contribuables, pourtant visés par de telles taxes, ne se soient pas laissés décourager par leur montant.

La réponse est toutefois fondamentale. Suivant que l'on met en exergue l'aspect formel ou celui de fond, les limites constitutionnelles qui vont s'imposer à l'Etat, lorsqu'il envisage de mettre en oeuvre des redevances de ce type, ne seront pas les mêmes.

Le problème de la compétence constitutionnelle de la Confédération, respectivement des cantons, d'instaurer des taxes d'orientation, devra,

tout d'abord, se résoudre de façon particulière si l'on tient compte principalement du but visé par de telles redevances; une simple attribution de compétence fiscale paraît insuffisante, puisque par le biais de ces contributions publiques, l'Etat cherche directement à mener à bien une tâche publique qui va au-delà du simple prélèvement de moyens financiers.

A l'inverse, le fait de se voir attribuer, par la Constitution, une compétence dans un domaine bien délimité (politique conjoncturelle, encouragement de l'agriculture, protection de l'environnement, politique de l'énergie, par exemple) suffit-il pour que la collectivité puisse instituer des redevances destinées à mener à bien de telles politiques ? D'un autre côté, de telles contributions publiques ne reposent plus sur la légitimité fiscale qui permettait, jusqu'alors, à un Etat souverain d'exiger de ses sujets des ressources pour conduire ses activités. La mise en oeuvre de taxes d'orientation risque donc fort de heurter ce que l'on a coutume d'appeler la justice fiscale. Il est en effet admis que les contributions publiques doivent respecter quelques principes, notamment celui de la légalité, de l'égalité de l'imposition, de la capacité contributive, de la proportionnalité et de la généralité de l'imposition.

Or, pour pouvoir valablement induire une certaine tendance, l'Etat devra forcément frapper certains sujets de façon plus incisive que d'autres.

Doit-on ainsi conclure à l'inconstitutionnalité de principe des taxes d'orientation ?

En outre, ces dernières auront tendance à porter atteinte à quelques droits fondamentaux garantis aux particuliers par la Constitution. Par des redevances incitatives, l'Etat peut, dans les faits, exercer une pression telle qu'il risque de rendre aléatoire l'exercice de certaines libertés, en général peu remises en cause par les contributions publiques traditionnelles: la liberté du commerce et de l'industrie, la garantie de la propriété ou la liberté personnelle.

En conséquence, il nous a paru opportun d'examiner dans quelle mesure la perspective pour l'Etat d'employer des redevances spéciales aux fins d'exercer une influence sur le comportement des particuliers pouvait

s'insérer dans le système actuel des contributions publiques, et d'esquisser les limites constitutionnelles typiques à l'institution des redevances de ce type. Pour atteindre cet objectif, nous avons divisé notre travail en deux parties principales.

La première est consacrée à la qualification juridique des taxes d'orientation. Pour ce faire, nous avons tenté d'extraire tous les éléments caractéristiques de ce concept afin de vérifier comment cette catégorie de redevances pouvait s'intégrer dans le droit actuel des contributions publiques, qui distingue deux catégories traditionnelles: les impôts d'un côté, les taxes causales de l'autre (Première partie).

Après avoir décrit les critères permettant de procéder à la distinction traditionnelle, nous exposerons les divers points de vue proposés par la doctrine et le Tribunal fédéral, pour donner une qualification juridique à ces nouvelles formes de contributions publiques (chapitre 1). Cette analyse, à caractère plutôt descriptif, sera suivie d'une prise de position, dans laquelle nous proposerons une qualification juridique des taxes d'orientation qui tient compte à la fois de leur appartenance formelle au droit des contributions publiques et du but particulier que ces redevances tendent à réaliser (chapitre 2). Enfin, dans un troisième temps, nous décrirons, dans ce que l'on pourrait appeler une partie spéciale, diverses taxes d'orientation du droit actuel, (chapitre 3) afin d'en esquisser les traits caractéristiques et, dans une certaine mesure, de servir de démonstration au point de vue défendu dans le chapitre antérieur.

La seconde partie, quant à elle, sera consacrée aux limites que la Constitution permet de tracer à l'institution des taxes d'orientation. Cette partie ne prétend pas à l'exhaustivité: seules les limites constitutionnelles propres à restreindre la marge de manoeuvre du législateur fédéral ou cantonal seront envisagées, limites qui nous paraissent les plus pertinentes (Seconde partie).

Il s'agira, en premier lieu, de décrire comment la Constitution répartit la compétence de mettre en oeuvre des taxes d'orientation entre la Confédération et les cantons (chapitre 1). Seront examinées ensuite les exigences que l'article 4 Cst. nous semble imposer à l'institution de ces

redevances particulières (chapitre 2). Il restera alors à vérifier si d'autres droits constitutionnels ne sont pas susceptibles de réduire, de façon significative, le pouvoir du législateur dans ce domaine. Ce sera l'occasion d'exposer le rapport, particulièrement sensible, entre les taxes d'orientation et la liberté du commerce et de l'industrie (chapitre 3), qui sera suivi par un examen de ces mêmes redevances sous l'angle de la garantie de la propriété (chapitre 4), et, dans une moindre mesure, de la liberté personnelle (chapitre 5).

Il convient de préciser que notre champ d'analyse se limite aux problèmes juridiques posés par la mise en oeuvre de taxes d'orientation, c'est-à-dire de contributions publiques spéciales destinées à agir sur le comportement des individus dans un sens voulu par l'Etat. Ne font, en revanche, pas l'objet de cette étude, les diverses formes d'incitations financières positives par lesquelles l'Etat cherche à encourager certains comportements, le plus souvent par l'octroi de subventions. De même, les incitations financières négatives, sous forme d'aménagement particulier du taux de contributions publiques clairement fiscales que la collectivité serait tentée d'introduire, ne seront pas examinées de façon spécifique.

Il nous a paru plus intéressant de nous limiter à ces formes particulières et récentes de contributions publiques que l'Etat introduit, exclusivement ou de façon prépondérante, afin d'induire certains comportements.

Jusqu'à ce jour, en effet, les limites constitutionnelles typiques à l'emploi de ces redevances, appelées taxes d'orientation, n'ont pas fait l'objet d'analyse approfondie en doctrine.

Deux mots encore à propos des termes "taxes d'orientation".

Dans la littérature française, on rencontre les termes de taxes, contributions ou redevances d'orientation pour décrire ces formes spéciales de contributions publiques qui tendent à inciter à un comportement. On parle aussi parfois, dans ce cas, de redevances incitatives. La littérature de langue allemande semble s'être mise d'accord sur le terme "Lenkungsabgabe", ou aussi "Lenkungssteuer", pour décrire le même concept. Nous avons renoncé, quant à nous, au

terme "contribution d'orientation", qui pouvait prêter à confusion dans la mesure où, par "contributions", la législation agricole vise souvent des aides octroyées par l'Etat pour encourager certaines branches d'activité.

En revanche, le terme "taxe d'orientation" a le mérite d'une certaine neutralité. Il en va de même de celui de "redevance d'orientation". Si notre préférence va au premier de ces deux termes - qui est, du reste, employé également par l'administration fédérale - nous utiliserons, au cours de ce travail, dans un sens synonyme, les deux expressions susmentionnées.