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INGENIERIE TERRITORIALE, MAITRISE FONCIERE ET PLANIFICATION INTERCOMMUNALE

Intégrer le commerce dans l’urbanisme, un processus inachevé

4.2. Vers une sortie de l’urbanisme commercial régulateur ?

4.3.2. INGENIERIE TERRITORIALE, MAITRISE FONCIERE ET PLANIFICATION INTERCOMMUNALE

Au milieu des années 2010, le sujet de la dévitalisation des centres-villes devient de plus en plus prégnant sur l’agenda public. L’État et les collectivités locales se mobilisent contre la dévitalisation des centres urbains. En 2015, le gouvernement annonce qu’il débloquera 300 millions d’euros pour accompagner des expériences de revitalisation de 56 centres bourgs. L’année suivante, en mars 2016, la Caisse des Dépôts (CDC) présente son nouveau dispositif d’accompagnement à la revitalisation des centres-villes : « Centres-villes de demain ». Ceci consiste en une série de conventions signées avec les collectivités locales pour financer et accompagner des programmes de revitalisation ayant recours à des approches globales liant actions sur le foncier, l’aménagement, la mobilité, le développement économique, etc. L’opération concerne neuf villes moyennes fragilisées152. En 2017, le FISAC est réorienté de manière à pouvoir prendre en charge en priorité les centralités fortement touchées par la vacance commerciale. Par ces multiples initiatives, l’État confirme son rôle d’animateur et de financeur d’opérations collectives de revitalisation. De tels financements doivent avant tout stimuler les investissements publics et privés sur le territoire.

De leur côté, les collectivités locales militent pour obtenir des pouvoirs règlementaires renforcés. L’Assemblée des Communautés de France a réalisé un lobbying continu pour soutenir une réforme de l’urbanisme commercial en faveur des communes et des intercommunalités. En septembre 2016, elle organise en partenariat avec l’Institut pour la ville et le commerce (IVC) un colloque sur le sujet

150 Source : « Les enseignes se rebellent contre les centres commerciaux », site internet Les Echos, publié le 21/01/14 [en ligne] : https://www.lesechos.fr/21/01/2014/LesEchos/21609-063-ECH_les-enseignes-se-rebellent-contre-les-centres-commerciaux.htm (consulté le 22/09/2019)

151 « Chez Klépierre par exemple, qui gère 35 centres commerciaux en France, les loyers ont augmenté de 1,9% sur un an au premier trimestre 2014 ». Source : « Pourquoi les boutiques sont inoccupées dans les centres commerciaux », site

internet Journal du Net, mis à jour le 10/12/14 [en ligne] :

https://www.journaldunet.com/economie/distribution/1146809-pourquoi-les-boutiques-sont-inoccupees-dans-les-centres-commerciaux/ (consulté le 22/09/2019)

« Commerce et territoires : la nouvelle donne pour les collectivités et les acteurs privés ». Selon les participants à ce colloque, le plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi) instauré en 2014 doit devenir un document-maître en matière d’urbanisme commercial et les communautés de communes et d’agglomération doivent assumer leur rôle dans la définition de politiques commerciales. La loi NOTRe153 (2016) réalise en souhait en inscrivant le commerce dans les compétences obligatoires des intercommunalités. Cette nouvelle prérogative intitulée « politique locale du commerce et soutien aux activités commerciales d’intérêt communautaire » est intégrée à la compétence de développement économique des intercommunalités. Si l’échelon intercommunal devient l’échelon pertinent d’une régulation du commerce, la réforme en profondeur du régime d’urbanisme commercial se fait encore attendre par les intercommunalités (réunis au sein de l’ACdF154).

Deux rapports successifs déposés au gouvernement semblent abonder dans le même sens. Le premier rapport portant sur la « revitalisation commerciale des centres-villes » rédigé par l’Inspection générale des Finances (IGF) et le Conseil général de l’Environnement et du Développement Durable (CGEDD) et déposé à la secrétaire d’État au commerce et à l’artisanat, Martine Pinville, revient sur les dérives passées et sur la menace de la vacance commerciale. Les rédacteurs du rapport encouragent la mobilisation conjointe des commerçants et des collectivités sur la question de la pérennisation des commerces de centre-ville. Ils suggèrent au gouvernement de travailler sur cinq leviers d’actions155 :

- encourager la définition de stratégies locales pour le développement du commerce ; - rénover les règles d’urbanisme commercial et assurer une meilleure prise en compte de

l’aménagement commercial dans les documents de planification locaux ;

- coordonner les acteurs, promouvoir les managers de centre-ville et la mise en place d’organisation partenariale réunissant les acteurs publics et privés du commerce ;

- accompagner les commerçants dans leur adaptation au commerce de demain, notamment à la transition numérique ;

- mobiliser et gérer le foncier commercial : développer l’expertise sur la question du foncier commercial, encourager la création de foncières commerciales publiques et privées, mobiliser des financements dédiés à la revitalisation commerciale des centres-villes.

Le deuxième rapport « Inscrire les dynamiques du commerce dans la ville durable »156 réalisé par le CGEDD et déposé en mars 2017, vient compléter leur premier rapport. Les rapporteurs y proposent

153 La loi portant Nouvelle Organisation Territoriale de la République

154 Depuis plusieurs années, l’ACdF milite pour la réforme de l’urbanisme commercial, en témoigne la pétition lancée en 2011 et signée par près de 400 présidents de communautés. Cf. la pétition en ligne : http://www.adcf.org/contenu-article?num_article=731&num_thematique=12

155 Source : « La carte de la vacance commerciale en France », site internet LSA Conso, publié le 21/10/2016 [en ligne] https://www.lsa-conso.fr/la-carte-de-la-vacance-commerciale-en-france,247557

156 Rapport CGEDD « Inscrire les dynamiques du commerce dans la ville durable Les fondements d’une nouvelle politique des perripherries urbaines et commerciales », mars 2017 [en ligne] :

une analyse de l’urbanisme commercial périphérique au regard des enjeux de développement durable et de protection de l’environnement. Ils déplorent la prolifération continue d’espaces commerciaux en périphérie des villes et ce malgré une législation sans cesse réformée depuis cinq décennies :

« La prolifération des espaces commerciaux qu’on observe en France depuis cinq décennies, aux confins ou à l’extérieur de la “tâche urbaine” constituée semble se poursuivre de façon continue, alors qu’observateurs et acteurs locaux sont de plus en plus nombreux à en déplorer les conséquences sur la qualité des paysages, l’organisation des villes et le devenir des centres urbains principaux ou secondaires, notamment dans les villes moyennes ».

Toujours selon les rapporteurs, une difficulté majeure réside dans la difficulté d’instaurer une forte gouvernance locale, que ce soit à l’échelon de l’intercommunalité où le manque de cohésion entre communes peut être un frein à une régulation efficace du commerce ; ou à l’échelle des centres-villes, qui sans projet urbain fort, perdent de leur vitalité face à une périphérie où les projets continuent de se multiplier. Les rapporteurs résument la situation ainsi :

« Les retours d’expérience confirment tous que la principale difficulté qui s’oppose à une bonne organisation de l’offre commerciale est liée à des questions de gouvernance (…) l’intérêt est donc réel de construire, entre les collectivités territoriales et les acteurs économiques, une vision partagée des enjeux du commerce et de ses perspectives de développement » (CGEDD, 2017 : 56).

Si le renforcement de la planification commerciale à l’échelon intercommunal est perçu comme un horizon souhaitable par les rédacteurs de ces rapports, la collaboration entre acteurs publics et privés, la mise en place d’une ingénierie territoriale, l’intervention sur le foncier paraissent aussi nécessaires pour lutter contre la vacance commerciale et limiter un développement périphérique anarchique et peu durable.

Un an plus tard, Patrick Vignal, député de l’Hérault et président de l’association Centre-Ville en Mouvement (CVM) adresse un courrier officiel à Emmanuel Macron en août 2017 pour déclarer les centres-villes « grande cause nationale »157. « Plus qu’une problématique de commerçants, nous soutenons un projet de société » déclare le député lors d’une conférence de presse. L’argument de la fracture territoriale est toujours présent dans les discours : le député regrette que la transformation réussie des métropoles n’ait pas su « entraîner dans son sillage » les petites villes. Le député et Centre-Ville en Mouvement, soutenus par le président de Monoprix, demandent au gouvernement la mise

http://cgedd.documentation.developpement-durable.gouv.fr/documents/cgedd/010468-01_rapport.pdf (consulté le 23/09/2019)

157 Source : « Le centre-ville déclaré Grande Cause Nationale 2018 par le député Patrick Vignal », LSA Conso, publié le 08/09/2017 [en ligne] : https://www.lsa-conso.fr/le-centre-ville-declare-grande-cause-nationale-2018-par-le-depute-patrick-vignal,265207 (consulté le 23/09/2019)

en place d’un moratoire d’une année sur l’extension des zones commerciales périphériques, dans le but de réfléchir à de nouveaux critères de régulation du commerce. En parallèle, ils défendent le rôle des régions dans la gestion de l’équilibre entre les territoires et souhaitent voir se développer des sociétés d’économie mixtes (SEM) régionales chargées de soutenir des actions dans les centres-villes les plus touchées, par exemple, en permettant de racheter des pieds d’immeubles.

En réponse aux propositions de l’association Centre-Ville en Mouvement, le Centre National des Centres Commerciaux publie deux mois plus tard, un communiqué intitulé « Pour une véritable concertation, contre un moratoire ». Sans surprise, le CNCC s’oppose à la création d’un moratoire car selon l’organisation, la moyenne d’âge des centres commerciaux est de trente ans et ces derniers ont besoin de se renouveler face au e-commerce et aux besoins changeants des consommateurs. Il rejette par ailleurs la responsabilité entière de la dévitalisation des centres-villes :

« Accuser le commerce périphérique d’être seul responsable de ce phénomène n’est pas fondé. L’exode de la population vers les zones péri-urbaines a provoqué une obsolescence de l’immobilier en centre-ville avec pour conséquence une paupérisation et un vieillissement de ses résidents. Les services publics n’ont pas été les derniers à suivre le mouvement avec la fermeture de nombreux collèges, hôpitaux ou casernes. Certains élus ont en outre abusé de la piétonisation alors qu’ils n’avaient pas développé des infrastructures de transports en commun ou de parkings publics, rendant inaccessibles leurs centres-villes. Enfin, les situations sont très variables d’une ville à l’autre en termes tant démographique qu’économique. Décréter un moratoire généralisé serait inadapté et risquerait à l’évidence de provoquer les effets négatifs de toute politique malthusienne »158

Lors d’une journée de conférences organisée à leur initiative « (Ré)concilier la Ville et le Commerce », le CNCC présente ses contre-propositions159. Il y exprime sa totale opposition au moratoire souhaité par le député Patrick Vignal et propose trois solutions alternatives « au bénéfice du commerce en centre-ville ». En tout premier lieu, le CNCC propose de créer de « zones commerciales prioritaires » (ZCP) dans les centres-villes, à l’initiative des EPCI. Les projets commerciaux implantés sur ces zones bénéficieraient alors de trois privilèges : une exonération d’autorisation d’exploitation commerciale, une exonération fiscale sur une période de trois ans pour les primo-commerçants, et enfin, la création d’un bail commercial éphémère et une simplification de déclaration d’autorisation de travaux pour faciliter l’installation de pop-up stores.

158 Source : « Les propositions "antigel" du CNCC pour revitaliser les centres-villes », LSA Conso, publié le 04/10/2017 [en ligne] : https://www.lsa-conso.fr/les-propositions-antigel-du-cncc-pour-revitaliser-les-centres-villes,268002 (consulté le 23/09/2019)

159 Source : « Les propositions "antigel" du CNCC pour revitaliser les centres-villes », LSA Conso, publié le 04/10/2017 [en ligne] : https://www.lsa-conso.fr/les-propositions-antigel-du-cncc-pour-revitaliser-les-centres-villes,268002 (consulté le 23/09/2019)

Au nom de la liberté d’entreprise et en réponse à la pression des distributeurs et des promoteurs, l’État refuse de donner suite à la proposition de moratoire de Centre-Ville en Mouvement. L’année suivante, le gouvernement réfléchit tout de même à la possibilité de moratoires locaux décrétés par les élus locaux. La question de l’encadrement du développement commercial semble être encore au cœur de l’actualité, et la problématique de son instrumentation est toujours au cœur des discussions

Conclusion

Au long de ce chapitre, nous avons tenté de retracer l’évolution de l’instrumentation de l’action publique (Halpern et al, 2014) en matière de commerce depuis les années 1990. Cette période ouvre la voie à de nouveaux modes d’instrumentation basé sur le droit de l’urbanisme et sur la planification. D’un côté, l’urbanisme commercial régulateur, incarné par les commissions départementales, permet de filtrer l’entrée des acteurs les plus puissants sur le marché. Néanmoins, son fonctionnement est fréquemment remis en cause par de nombreux acteurs tantôt en raison de son inefficacité, tantôt au nom de la liberté d’entreprise. De l’autre côté, la planification du commerce est perçue comme un moyen d’harmoniser développements commercial et urbain et de favoriser l’émergence d’une vision globale (opposée à régulation au coup par coup des commissions). Mais la planification se révèle être un instrument à double tranchant, soit trop souple pour encadrer les acteurs économiques, soit trop contraignant pour s’adapter à la souplesse du marché. Depuis les années 1990, les débats menés sur l’instrumentation de l’action publique en matière de régulation des implantations commerciales ont systématiquement opposé ces deux visions.

L’absence de prise en compte des débordements de l’économie sur la ville, puis la difficulté à les intégrer à l’agencement marchand, ont petit à petit renforcé le poids des préoccupations urbaines et environnementales dans le débat public. Celles-ci ont donné du poids aux défendeurs d’une vision « aménagiste » de la régulation du commerce. L’intégration de ces préoccupations s’est réalisée selon deux mouvements parallèles : d’une part, par le remplacement des critères et des membres dans les commissions d’aménagement commercial (CDAC/CNAC) ; et d’autre part, la prise en compte du commerce dans les documents locaux d’urbanisme et dans l’aménagement du territoire. Néanmoins, jusqu’au milieu des années 2010, la constante réforme de l’urbanisme commercial n’a jamais permis l’intégration complète de la régulation du commerce dans l’urbanisme. Des acteurs, aussi bien privés que publics, s’opposent à la suppression totale du régime d’autorisation préalable. Les distributeurs

pèsent évidemment dans les décisions par leurs pratiques de lobbying mais leur positionnement est loin d’être figé : tantôt, ils s’opposent virulemment au renforcement de la régulation (l’abaissement des seuils de passage en commission départementale par exemple), tantôt ils défendent l’existence de ces commissions, plus souples et plus favorables à la négociation locale que la planification urbaine. Les différents ministères de l’État sont eux-mêmes divisés en témoignent les discussions autour de la loi LME.

L’examen de ces controverses liées à l’instrumentation des politiques commerciales donne à voir les problématiques auxquelles sont confrontées les acteurs politiques dans leur travail d’agencing du commerce. La difficulté à hiérarchiser et à faire coexister l’ensemble des préoccupations au sein d’un même dispositif d’action publique conduit au maintien d’une pluralité d’outils.

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