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L’analyse du travail d’agencing des managers de centre-ville s’inscrit dans la lignée des travaux portant sur le rôle des « acteurs de marché » dans la fabrique de la ville (Pollard et Halpern, 2013) et plus précisément, sur celui des collectivités locales appréhendées comme des acteurs de marché. L’expression « acteurs de marché » désigne « les individus et organisations qui interviennent dans la fabrique matérielle ou dans la gestion des villes et dont les modes d’action sont empruntés à la

sphère marchande, par opposition aux sphères politiques et de la société civile », y compris des acteurs qui « ne sont pas a priori du marché » (Pollard et Halpern, 2013 : 3) tels que les collectivités locales, les acteurs de l’État, les chambres consulaires, les groupes professionnels, etc. Ces travaux se sont notamment intéressés aux pratiques marchandes des collectivités locales sur le marché du logement (Bonneval et Pollard, 2017 ; Piganiol, 2017), en parallèle de l’étude des pratiques des professionnels marchands plus « classiques » — tels que les promoteurs (Topalov, 1973 ; Pollard, 2009 ; Callen, 2011 ; Taburet, 2012 ; Vergriete, 2013 ; Maurice, 2014 ; Trouillard, 2014 ; Citron, 2016), les organismes de logement social (Steinmetz, 2013 ; Gimat, 2017) ou encore les agents immobiliers (Bonneval, 2011) — et de celle de leurs interactions avec les acteurs publics, dont les activités sont de plus en plus indépendantes (Dupuy, 2010 ; Gimat et Pollard, 2016). Ces travaux décrivent les formes d’intervention contemporaines des acteurs publics sur les marchés du logement. Selon les coordinateurs du dossier sur le logement (Bonneval et Pollard, 2017), les politiques publiques déployées visent essentiellement à orienter le comportement des acteurs privés et semi-privés, par des modes d’intervention moins directs fondés sur les partenariats et sur l’attraction de capitaux privés. De cette manière, les acteurs publics empruntent de plus en plus aux registres d’action des acteurs marchands, les soutiennent tout en contrôlant leurs activités (Persyn, 2017). La présence des acteurs publics sur le marché peut aussi induire des stratégies de marché particulières chez les promoteurs immobiliers (Maurice, 2012). Les objectifs de tels travaux visent à cerner les modalités d’intervention des acteurs publics sur les marchés urbains mais aussi de mesurer leur poids dans la gouvernance des villes et de qualifier les effets de leurs actions sur l’organisation de la ville.

Ces analyses ont été menées sur le marché du logement mais il n’est pas sûr que ces résultats soient extrapolables au marché de l’immobilier commercial, étant donné les spécificités du droit de l’urbanisme commercial et des dynamiques propres à ce marché. Par exemple, le marché de l’immobilier commercial ne souffre pas d’une « crise » causée par une pression trop forte de la demande et par une gestion « malthusienne » du foncier. Au contraire, il se caractérise plutôt par une « crise de l’offre » dont attestent les études récentes sur la vacance commerciale (cf. Madry, 2013 ; IVC, 2017). En effet, la croissance extensive des surfaces commerciales dans un contexte de décélération de la consommation suscite des pressions concurrentielles de plus en plus fortes sur les commerçants, sans compter l’augmentation croissante des loyers. Ces difficultés plongent les villes contemporaines dans un processus de déprise commerciale. Peu de sociologues ont pris pour objet le fonctionnement concret du marché de l’immobilier de commerce, ses logiques, ses

acteurs et ses professionnels, même si l’on peut citer ceux d’Alexandre Mallard sur les mesures législatives destinées à organiser la diversité commerciale (Mallard, 2015) et ceux d’Alexandre Coulondre sur le travail des promoteurs de centres commerciaux (Coulondre, 2015).

À l’inverse, la géographie du commerce forme un champ d’études florissant sur le commerce de détail, sur les stratégies des acteurs du commerce, les tissus commerciaux, le comportement des consommateurs ou encore sur la place des pouvoirs publics dans l’organisation du paysage commercial. Les orientations de ces recherches ont été résumées par plusieurs chercheurs, par le biais de plusieurs grilles de lecture classant les travaux existants (Merenne-Schoumaker, 2003 ; Lemarchand, 2009 ; Desse, 2009 ; Dugot, 2019). Des géographes et dans une moindre mesure, des sociologues et des politistes, ont analysé le(s) rôle(s) du commerce dans la fabrique de la ville. Deux axes de recherche nous semblent pertinents pour alimenter notre réflexion. Le premier axe analyse l’évolution des instruments ainsi que les effets (sur la ville, sur les relations entre acteurs publics et privés, sur les flux urbains) des politiques d’urbanisme commercial déployées depuis les années 1960 (Péron, 1993 ; Desse, 2001 ; Gasnier, 2010 ; Desse, 2013 ; Mallard, 2015 ; Madry, 2018 ; Dugot, 2019). Le second axe de ces travaux interroge quant à lui, les liens entre évolutions commerciales et mutations urbaines22.

De tels travaux semblent avoir validé l’existence de liens entre le fonctionnement des marchés du commerce de détail et les mutations urbaines, mais ils n’abordent qu’en pointillés la question de l’instrumentation publique des dynamiques marchandes dans la fabrique de la ville. L’objectif de cette thèse est de comprendre la manière dont les dynamiques marchandes du commerce sont cadrées, agencées, mobilisées par les acteurs publics pour fabriquer (au sens de concevoir, animer, gérer) la ville. Ce travail d’agencing se fonde sur l’usage d’outils législatifs et règlementaires, sur l’emprunt aux registres d’action marchands et sur le recours aux ressorts de la concurrence pour orienter le comportement des acteurs économiques dans le sens désiré par la collectivité locale (Dubuisson-Quellier, 2017). Il articule une dimension politique, incarnée par des actions visant

22 Un ensemble d’analyses interroge les rôles du commerce et des commerçants dans les processus de gentrification. Celui-ci est analysé comme marqueur (Ley, 1996 ; Bridge, Dowling, 2001 ; Authier, 1989 ; Fleury et Van Criekingen, 2006), comme moteur (Beauregard, 1986 ; Rose, 2006 ; Zukin et al, 2009 ; Chabrol, 2011 ; Ranking et McLean, 2015 ; Daniau, 2017) voire comme frein (Clerval, 2011 ; Chabrol, Fleury et Van Criekingen, 2013) aux processus de gentrification. D’autres chercheurs interrogent la place du commerce ethnique dans la formation de centralités immigrées (Raulin, 1988 ; Ma Mung, 1994 ; Zalc, 2001 ; Endelstein, 2009 ; Hassoun, 2010). Enfin, certains travaux ont décrit le rôle du commerce dans la production de nouvelles centralités (Gueit, 2015), dans la promotion de la mixité sociale (Madry, 2010), dans la requalification des quartiers sensibles (Lestrade, 2004) et des centralités populaires (Fleury et Fol, 2018), dans les opérations de renouvellement urbain (Gasnier, 2013) ou encore dans la requalification des centres-villes (Filjakow et al, 2014 ; Daniau, 2017).

à légitimer l’intervention publique, à définir les enjeux de l’action publique, à mettre en œuvre les politiques publiques, et une dimension marchande, quand son activité prend la forme d’un travail du marché (Cochoy et Dubuisson-Quellier, 2000), mêlant des opérations de qualification (Callon, 2000) et de valorisation (Vatin, 2009, 2013 ; Berthoin Antal et al, 2015) — dont les cibles sont des biens atypiques : les quartiers, les locaux, les commerçants, les rues, l’offre commerciale locale dans son ensemble — et des formes d’intermédiation marchande qui donnent au manager la capacité de peser sur la définition de l’offre commerciale locale.

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