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LES ANNEES 1990 : LE RETOUR DE TENTATIVES DE PLANIFICATION DU COMMERCE

Intégrer le commerce dans l’urbanisme, un processus inachevé

4.1. Favoriser l’intégration du commerce dans l’urbanisme

4.1.1. LES ANNEES 1990 : LE RETOUR DE TENTATIVES DE PLANIFICATION DU COMMERCE

4.1.1.1. L’échec des schémas de développement commercial et des observatoires départementaux Les années 1990 sont marquées par le retour de tentatives de planification du commerce. Certains parlementaires défendent l’idée qu’il faudrait plutôt planifier les ouvertures commerciales, en accord avc le développement du territoire urbain, plutôt que de gérer ces ouvertures au coup par coup sans vision d’ensemble. Les lois de décentralisation (1982-1983) ont certes donné du pouvoir aux maires en matière d’urbanisme, mais elles ont aussi accru la concurrence entre les communes pour l’arrivée de nouveaux équipements commerciaux, qui contribuent par le versement de la taxe professionnelle, à alimenter les recettes communales (Desse, 2013). Les communes ont la main sur l’urbanisme et sur le foncier. Les communes périphériques, grâce leurs réserves de foncier et à leur taxe professionnelle attractive, réussissent à attirer plus facilement les nouveaux équipements commerciaux, au détriment des communes-centre. L’exacerbation de la concurrence territoriale a ainsi favorisé le développement commercial et relancé les débats sur la nécessité d’une planification commerciale.

La loi Sapin (1993) prévoit la mise en place de schémas de développement commercial (SDC) censés orienter les installations d’équipements commerciaux. En parallèle des CDEC, la loi Sapin crée des observatoires départementaux d’équipement commercial (ODEC) dans le but de supporter les CDEC dans leur fonction d’arbitrage, de favoriser la prise en compte des équilibres commerciaux dans la ville. Ces observatoires, présidés par le préfet, sont composés d’élus locaux, de représentants de commerçants, de consommateurs et de personnalités qualifiées. Leur mission consiste à établir un inventaire annuel des commerces du territoire et à vérifier que celui-ci est conforme aux besoins des consommateurs. Mais la loi reste floue sur l’organisation de ces nouveaux services : certains sont intégrés aux services préfectoraux tandis que d’autres sont pris en charge par les chambres consulaires locales — qui rappelons-le sont aussi présentes dans les CDEC, leur conférant alors le double rôle de juge et d’expert dans les délibérations (Monnet, 2008). Faute de moyens financiers et humains dédiés à ces nouveaux services, les observatoires peinent à fonctionner correctement (Desse, 2001). Ils sont en effet incapables de réaliser leurs propres inventaires et doivent collecter des données de seconde

main émanant de l’INSEE, de la DGCCRF102 ou encore des CCI locales. Au vu de la pauvreté des informations disponibles, les débats menés au sein des observatoires ne permettent pas réellement aux ODEC de remplir leur rôle de conseil et d’expertise pour les CDEC (Desse, 2001).

Des débats parlementaires auront lieu entre 1993 et 1996 pour aller plus loin dans la planification et ne pas se limiter à l’observation de l’équipement commercial (Desse, 2001). À titre d’exemple, le sénateur Ambroise Dupont préconise que les ODEC puissent proposer une réflexion prospective sur l’avenir du commerce. Pour sortir de la logique purement régulatrice de la loi Royer, la loi Raffarin prévoit l’expérimentation nationale de schémas de développement commercial dont les résultats sont consignés dans un rapport103. La Fédération Nationale des Agences d’Urbanisme (FNAU) pilote cette expérimentation menée sur 18 de ses agences. Elle sera complétée par d’autres expériences initiées à titre individuel par des collectivités locales souhaitant tester le dispositif. La FNAU définit le SDC de la manière suivante :

« Il s’agit d’un document de planification stratégique, une charte d’action et un règle du jeu partenariale ; une visée stratégique à long terme de l’équilibre entre les formes de distribution et entre les divers pôles commerciaux qui s’intègrera au schéma directeur. Une charte d’action à court et moyen termes combine règlementation (POS), maîtrise foncière et actions opérationnelles » (in Desse, 2001).

René-Paul Desse identifie jusqu’à quatre niveaux de contrainte juridique dans les SDC expérimentés, allant du schéma purement indicatif (niveau le moins contraignant) aux orientations inscrites règlementairement dans les Plans d’Occupation des Sols (POS) (niveau le plus contraignant). Quelle que soit la solution choisie, elle ne remet pas en question le rôle des CDEC qui continuent d’exister en parallèle des SDC.

Le rapport fourni au ministre du commerce en février 1998 est extrêmement négatif. René-Paul Desse consigne ainsi l’avis des rapporteurs :

« La mise en place d’un instrument rigide de planification constituerait une réponse inadaptée à des situations complexes et changeantes. Par ailleurs, développer les schémas préconisés par les différents groupes de réflexion reviendrait à rechercher à travers un nouvel instrument de planification urbaine, la capacité à saisir l’insaisissable, c’est-à-dire l’orientation de l’investissement privé dans une démarche assise fondamentalement sur une vision de service public ».

102 Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes 103 FNAU, 1998

Le chercheur René-Paul Desse identifie trois grandes réticences face à l’instauration des SDC (Desse, 2001). Premièrement, se pose la question du territoire pertinent pour instaurer une planification du commerce : est-ce l’agglomération, l’intercommunalité, le département ou la région ? Des problèmes technico-institutionnels se posent dans la mesure où les territoires pertinents du commerce et les territoires administratifs — ceux de la CCI ou de l’intercommunalité par exemple — ne se recoupent pas nécessairement. Les acteurs économiques pensent en termes de zone de chalandise et font fi des frontières administratives et politiques. Deuxièmement, la valeur juridique des schémas (opposable aux tiers ou non) et leur intégration dans une législation complexe prise entre le droit de l’urbanisme et celui de l’équipement commercial suscitent de nombreuses questions. Les juristes du ministère de l’Équipement commercial semblent vouloir éviter tout blocage lié à un document trop contraignant (notamment si les documents d’urbanisme doivent s’y conformer ensuite) et pour cette raison, ils favorisent l’option d’un document indicatif. Enfin, le dernier argument concerne le processus de décentralisation et le retrait progressif de l’État de la gestion des territoires. Le commerce ne fait pas exception : l’État renvoie aux concernés la responsabilité de trouver un accord sur le développement commercial local. Il se positionne comme un animateur des dynamiques partenariales locales (Estèbe et Béhar, 1999) en encourageant l’usage de chartes élaborées collectivement par les acteurs locaux ou en favorisant les projets contractuels par le biais du Fonds d’Intervention pour les services, l’artisanat et le commerce (FISAC) (cf. encadré 3).

ENCADRÉ 3. Fonds d’Intervention pour les services, l’artisanat et le commerce (FISAC)

Créé en 1989 par la loi relative au développement des entreprises commerciales et artisanales et à l’amélioration de leur environnement économique, juridique et social, le Fonds d’intervention pour la sauvegarde de l’artisanat et du commerce (ou FISAC) a pour mission de répondre aux menaces pesant sur l’existence des commerces existants dans des zones rurales ou urbaines fragilisées. Concrètement, son action se traduit par le versement de subventions aux collectivités locales et/ou aux entreprises commerciales et artisanales pour financer des actions individuelles ou collectives de fonctionnement (animation, communication et promotion commerciale, recrutement d’animateurs de centre-ville, diagnostics, modernisation d’un point de vente…) ou d’investissement (halles et marchés, centres commerciaux de proximité, signalétique commerciale, aides directes aux entreprises…). Il est financé par l’excédent du produit de la TACA.

Au départ, le FISAC avait vocation à financer « des actions collectives visant à la sauvegarde de l’activité des commerçants dans des secteurs touchés par les mutations sociales consécutives à l’évolution du commerce ainsi que, dans les zones sensibles, à des opérations favorisant la transmission ou la restructuration d’entreprises commerciales ou artisanales ». C’est ainsi que le FISAC a pu financer des opérations « à caractère territorial » — en milieu rural telles que les opérations de restructuration de l’artisanat et du commerce (ORAC) ou encore les opérations « 1000 villages de France » et en milieu urbain avec les opérations « cœur de pays » ou encore « centre 2000 » — et des opérations sectorielles. Peu à peu, son champ d’intervention s’est étendu. La circulaire du 21 juin 1999 redéfinit les opérations éligibles et les classe en cinq catégories : les opérations urbaines, les opérations en quartiers sensibles, les opérations halles et marchés, les opérations rurales et les opérations sectorielles. En 2003, le dispositif FISAC est de nouveau modifié. Ce n’est plus seulement un instrument de sauvegarde du commerce et de l’artisanat, mais aussi un outil d’aide à la modernisation, à la création et à la transmission d’entreprises. Le dispositif est élargi aux activités de services et deviant alors le Fonds d’Intervention pour les Services, l’Artisanat et le Commerce (FISAC). Les conditions d’intervention sont de nouveau élargies en 2008 par la loi de Modernisation de l’Économie (LME) et précisées dans

une circulaire de 2009. Cette loi permet au FISAC de financer des actions de fonctionnement et d’investissement, ce qui a engendré une forte augmentation des demandes.

En définitive, le champ d’intervention du FISAC n’a cessé de s’élargir et le nombre de dossiers déposés n’a cessé d’augmenter (783 dossiers en 2008, 1018 dossiers en 2009, 1366 dossiers en 2010, 1570 dossiers en 2011). Pourtant, selon Dominique Moreno (2014), le montant attribué au FISAC diminue constamment :

- en 2005 : 71,5 Millions d’euros (loi de finances pour 2005) - en 2008 : 60 Millions d’euros (loi de finances pour 2008) - en 2012 : 42 Millions d’euros (loi de finances pour 2012) - en 2013 : 32,3 Millions d’euros (loi de finances pour 2013)

Depuis 2012, on observe une tendance au resserrement du dispositif. En 2012, le FISAC a été recentré sur les actions bénéficiant directement au commerce de proximité. En 2014, la loi ATCPE change le fonctionnement général du dispositif en le dirigeant vers un système d’appel à projets (et non plus de guichet comme c’était le cas auparavant), limitant alors le nombre d’opérations éligibles et de dossiers retenus.

Sources : Moreno, 2014

Enquête de la Cour des comptes relative au Fonds d’Intervention pour les Services, l’Artisanat et le Commerce104

4.1.1.2. L’affirmation du rôle des collectivités locales dans l’organisation du commerce

Utiliser l’urbanisme comme un moyen de soutenir le commerce n’est pas une pratique nouvelle pour les pouvoirs locaux. En effet, nous avons déjà évoqué l’existence de politiques municipales de soutien au commerce dans les années 1980. Dès les années 1950, certaines municipalités ont converti certaines parties du centre-ville en plateau piétonniers afin de confirmer la fonction centrale de ces espaces dans la ville (Fériel, 2015). Les premières politiques piétonnières avaient vocation à revitaliser les centres urbains face à l’éclatement progressif de la ville. Les rues concernées par ces opérations sont le plus souvent les axes commerçants car l’ambition de ces aménagements est d’encourager la fonction commerciale et tertiaire des centres urbains105 (Fériel, 2015). Les espaces piétonniers doivent redonner du confort au piéton et favoriser les échanges dans le centre. Jusqu’aux années 1970, l’État était relativement absent de ces initiatives, ce sont surtout les échanges intercommunaux (par le biais de voyages d’études, de publications) qui ont permis la diffusion de ces projets (Fériel, 2015). Ainsi, si les communes utilisaient déjà l’urbanisme comme un moyen d’encourager la vocation commerciale des espaces urbains, il faut attendre les années 1990 pour que l’État confirme le rôle des collectivités dans l’organisation et le maintien du commerce.

104 Source : « Enquête de la Cour des comptes relative au Fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (FISAC) », site internet du Sénat [en ligne] : https://www.senat.fr/rap/r05-257/r05-2574.html (consulté le 22/09/2019) 105 À partir des années 1970, la piétonnisation doit aussi favoriser la patrimonialisation et « l’humanisation » des rues centrales (Fériel, 1970)

Depuis les lois de décentralisation (1982), le rôle des collectivités locales dans l’aménagement du territoire s’affirme et c’est aussi vrai pour l’organisation du commerce urbain. La loi du 13 juillet 1991 d’orientation pour la ville (LOV) institue le commerce comme une compétence des collectivités locales. Elle déclare que celles-ci doivent « prendre toute mesure tendant à maintenir et [à] développer le commerce et les autres activités économiques de proximité ». Petit à petit, le gouvernement donne aux collectivités locales des outils pour peser sur le développement du commerce. Par exemple, la loi du 2 février 1995 sur « le renforcement de la protection de l’environnement » permet aux communes d’interdir les constructions sur les grands axes routiers si celles-ci n’ont pas la « qualité » architecturale et esthétique requise. Par cette mesure, l’État espère ainsi lutter contre l’amoncellement des « boîtes à chaussures » à l’entrée des villes, dans la même lignée que la loi Raffarin. En outre, la circulaire du 21 juin 1999 étend le champ d’application du FISAC aux opérations urbaines destinées à « aider les communes à conserver et à fortifier un tissu commercial et artisanal diversifié en centre-ville ou dans certains quartiers délimités de la ville par des actions et travaux d’intérêt général »106. Avec le FISAC, l’État opère un certain renversement dans le lien entre commerce et ville : c’est l’urbanisme qui doit s’adapter aux besoins du commerce (et non plus l’inverse). Le commerce doit répondre aux besoins des consommateurs, défini officiellement comme l’intérêt général motivant l’intervention publique (Monnet, 2008).

Dans le domaine du commerce, la mise en place de l’intercommunalité à la fin des années 1990 doit permettre de tempérer la concurrence intercommunale évoquée plus haut. De ce fait, la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU) a renforcé l’échelon intercommunal comme un niveau d’action publique pertinent. Cette loi propose de substituer aux Schémas Directeurs d’Aménagement et d’Urbanisme (SDAU) des nouveaux Schémas de Cohérence Territoriale (SCoT) conçus à l’échelle de l’intercommunalité pour les communes réunies dans un Établissement Public de Coopération Intercommunale (EPCI). Dans ces SCoT, les EPCI peuvent définir des objectifs relatifs à « l’équipement commercial et artisanal, aux localisations préférentielles des commerces, à la protection des paysages, à la mise en valeur des entrées de ville et à la prévention

106 Le but du FISAC est « d’aider les communes à conserver et à fortifier un tissu commercial et artisanal diversifié en centre-ville ou dans certains quartiers délimités de la ville par des actions et travaux d’intérêt général. Cet objectif de redynamisation du tissu commercial et artisanal doit être inséré dans une démarche globale de développement économique et d’adaptation de l’urbanisme aux besoins du commerce et de l’artisanat. [ ] Une convention de partenariat doit déterminer le périmètre d’intervention et le programme d’actions et de travaux de l’opération envisagée. Elle doit être précédée d’une ou plusieurs études portant sur l’adaptation quantitative et qualitative du tissu commercial et artisanal aux besoins du consommateur, sur l’accès aux zones commerciales (circulation et stationnement), et sur l’aménagement des locaux destinés à accueillir des activités commerciales et artisanales ».

des risques ». Le commerce est désigné comme l’un des grands secteurs d’intervention urbanistique, au même titre que le logement, le transport et l’environnement. Ces SCoT107 doivent donner à voir les choix des collectivités locales en matière d’urbanisme commercial mais dans les faits, seul un petit nombre de collectivités territoriales s’est attelé à concevoir des SDC (Desse et Fournié 2008).

Pour résumer, l’État encourage le recours aux outils de planification commerciale et délègue aux collectivités locales la responsabilité d’encadrer le développement commercial en collaboration avec les acteurs économiques locaux. Petit à petit, les collectivités deviennent des acteurs majeurs dans le travail d’agencing politique des marchés. Toutefois, ces tentatives peinent à émerger au vu du manque de moyens déployés par l’État leur fonctionnement ou de la complexité juridique et administrative de ces dispositifs. La planification est souvent perçue soit comme trop contraignante, manquant de souplesse pour s’adapter à la rapidité des évolutions marchandes ; soit à l’inverse, trop latitudinaire pour être pleinement efficace et suivie par les acteurs économiques. Pour toutes ces raisons, le travail politique d’agencing des marchés peine à reposer sur la planification commerciale et à trouver le bon équilibre entre liberté des acteurs économiques et encadrement des implantations commerciales en lien avec les considérations urbanistiques. Ces tentatives de planification confirment néanmoins le rapprochement progressif entre urbanisme et agencement du commerce. Plus généralement, elles participent à diffuser l’idée que l’action publique est nécessaire pour organiser le développement commercial, compte tenu des impacts que produisent les équipements commerciaux sur le territoire et sur sa structuration.

4.1.2. LES ANNEES 2000 : DES NOUVEAUX OUTILS POUR AGENCER LA DIVERSITE

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